On ne peut pas penser à tout. Le plan B peut être défaillant, le plan C aussi. On peut imaginer que les utilisateurs vont réagir comme cela, on peut penser prévoir tous les évènements possibles. Mais dans la réalité…
Un jour, pour changer un peu la routine de l’exercice d’évacuation incendie de l’école où je travaille, j’ai eu l’idée de pimenter celui-ci avec des fumigènes… Pour corser un peu le problème, j’ai déclenché les fumigènes dans le hall de l’école, où tous les étudiants ont l’habitude de se réunir pendant les pauses de la journée. Je précise que les fumigènes étaient placés dans un local technique pour simuler un feu d’armoire électrique.
Et j’ai observé le déroulement de l’exercice.
Au bout de 10s, la fumée a envahi le hall et a été détectée par le système de sécurité incendie. Notre système a une temporisation de 2mn avant le déclenchement des sirènes d’évacuation (c’est interdit depuis par la règlementation, mais pourtant bien pratique pour éviter les fausses alertes). Dès le début de la détection, les téléphones de l’équipe sécurité se mettent à sonner. Je les vois commencer à s’agiter. Quelques étudiants qui passaient par là par hasard s’approchent du local technique avec un extincteur. Je les remercie et leur explique qu’il s’agit d’un exercice. Je suis fier d’eux.
A M+2mn, les sirènes se mettent en route. Elles sont assourdissantes. Comme il pleut dehors, tous les étudiants choisissent de passer par le hall, au lieu de sortir par les issus de secours. Une partie non négligeable passent tous près de l’incendie en toussant pour rejoindre le lieu de regroupement. Les autres font demi tour et accélèrent le pas en voyant la fumée. Certains veulent rester dans les salles « parce qu’il pleut ». Les enseignants appliquent les consignes et forcent les récalcitrants à sortir.
M+4mn, tout l’établissement est évacué, la pluie s’arrête, beaucoup de monde est présent au point de regroupement. L’appel est en cours par les enseignants. Mon équipe de sécurité incendie inspecte tout l’établissement pour s’assurer que tout le monde est sorti.
Je repère quelques étudiantes qui sortent des toilettes. Je les presse de rejoindre l’extérieur. Je visite les salles informatiques. Je repère un étudiant avec son casque de musique sur la tête en train de travailler dans une salle en libre service. Le responsable de zone me dit qu’il est sur que la salle était vide. L’étudiant me confirme être en train de se connecter et qu’il vient d’arriver pour travailler. Il n’a pas entendu les sirènes. Je suis sceptique. Je l’envoie vers le point de regroupement.
Un responsable de zone m’informe que des étudiants souhaitent rentrer dans leur salle de cours pour prendre leurs affaires car ils veulent aller manger. Nous sommes à M+6mn et l’incendie est toujours en cours. Je n’imaginais même pas que l’on puisse penser à rentrer dans un bâtiment en feu pour une telle raison.
M+7mn, je déclare la fin de l’alerte à l’ensemble des personnes regroupées. C’est à ce moment là que les pompiers sont arrivés, prévenus par téléphone par plusieurs personnes qui ont vraiment cru à un incendie.
Les pompiers ont été très gentils et ont trouvé mon idée originale et sympathique. Ils m’ont simplement demandé de les appeler avant pour les prévenir de l’exercice.
On ne peut pas penser à tout.
J’ai depuis modifié mon cours de présentation des consignes incendie, renforcé les contrôles post-évacuation. Je préviens toujours les pompiers lors des exercices. Et j’essaye d’imaginer tous les cas de figures possibles.
Il faut penser à tout.
Toujours aussi intéressant ce blog !
Le volume des écouteurs de l'élève devait vraiment être très élevé pour qu'il n'entende pas les sirènes qui sont généralement très sonores.
Et on peut se féliciter que la classe affamée n'ait pas prit ses affaires lors de l'évacuation déjà…
Combien d'élèves ont tranquillement remballés leurs portables avant de sortir ? Chez nous (quand on sait que c'est un exercice), on se presse pas trop, et on laisse pas nos affaires derrière nous :p
@Jhon: Parmi les consignes que je donne maintenant, je conseille de ranger rapidement ses affaires et de les emmener, au moins les plus précieuses. Justement pour éviter la tentation de revenir au plus vite les récupérer, quand on découvre qu'il s'agit d'un incendie réel.
J'explique aussi clairement aux étudiants qu'il faut sortir en moins de 5mn dans le calme.
Je dois dire que cela fonctionne pas mal.
Mais c'est vrai ils sont a la ramasse d'appeler les pompiers alors qu'il y a visiblement une procedure en place… L'alerte sonne donc le responsable va s'en charger ! Et ils ont dit quoi au telephone ? "Il y a un feu dans l'ecole, je sais pas trop ou, je sais pas quelle taille, je sais pas de quelle nature…?"
Toujours intéressant de lire que la réalité ne se déroule pas toujours comme prévu.
Cela me rappelle le billets sur concernant les anecdotes d'expert qui parlait d'un crash de sauvegarde et de la pauvre secrétaire qui exécutait sans comprendre que tout allais dans le mur : tout prévoir est parfois indispensable.
Bonne continuation
Sinon pour l'anecdote :
Quelques étudiants qui passaient par là par hasard s'approcheNT du local technique
Coffee Lemon: laquelle des deux alternatives suivantes est préférable ? (1) Les pompiers sont prévenus par plusieurs sources, même si certaines informations sont imprécises (2) Les pompiers ne sont prévenus par personne, si, par exemple, la personne chargée de le faire est indisposée ?
Personnellement je préfère la (1). Le dispatcher a l'habitude de gérer les alertes multiples, cela arrive tout le temps si, par exemple, plusieurs personnes remarquent de la fumée dans un immeuble ou sortant d'une voiture.
@Lurik: Corrigé, merci.
@Coffee Lemon: Je suis assez d'accord avec Sam, il est préférable d'appeler plutôt que de passer son chemin. Le seul à avoir fait une erreur, c'est moi en ne prévenant pas les pompiers de mon exercice assez "réaliste".
Cet article est un concentré de ce blog : intelligent et drôle. Merci !
Ce n'est peut-être qu'une légende urbaine, mais quand j'étais lycéen, la rumeur courait que quelqu'un avait déjà essayé le coup des fumigènes pour rendre une alerte incendie "plus vraie". Sauf que bloqué par la fumée, un élève avait préféré sauter par la fenêtre du je-ne-sais-combientième étage.
@Coffee Lemon: Dans un cas réel, et contrairement à Zythom, pour moi les pompiers étaient bien prévenus et c'est même eux qui avaient mis le fumigène et devaient intervenir avec la grande échelle pour évacuer du personne bloqué dans un étage. 15min après le début de l'exercice tout le monde avait évacué depuis longtemps et la caserne des pompiers nous appelle pour savoir si l'exercice était toujours prévu?
Personne n'avait donné l'alerte, l'équipe sécu étant restée passive pour voir comment le personnel réagissait.
Dans un grand bâtiment on pense toujours qu'un autre à déjà prévenu…
@ Zythom
Je tenais à saluer votre disponibilité, dans autant de domaines de compétences qui font la richesse de votre blog.
Permettez-moi de commencer par la conclusion :
Je hais les exercices d'évacuation.
Au fur et à mesure de mon déroulement de carrière et de l'abandon d'un statut d'élu du personnel (suite à un pari stupide que j'ai gagné), je suis devenu agent de Direction, responsable de tout ce qui pouvait avoir un lien quelconque avec la sécurité des personnes ou des biens.
En style télégraphique, nous résumerons en "évacué/vaguement impliqué/formé/formaté/formateur/collectionneur de patates chaudes."
Avec votre permission, je vous propose de revenir en ces lieux pour y conter quelques anecdotes.
Devoir de réserve oblige, seuls les faits seront réels, les personnages et les lieux étant protégés par le secret professionnel.