J’ai été élevé dans l’amour de la langue française, et dans sa théurgie opératoire qu’est la dictée. Les années ont passé, et avec elles, ma maîtrise de l’orthographe et de la grammaire.
C’est pourquoi, lorsque j’ai publié ce blog sous forme de livres gratuits (sans DRM), j’ai demandé de l’aide auprès de ma mère institutrice.
Un jour, en installant un dictionnaire sous LibreOffice, j’ai vu apparaître une version « réforme de 1990 ». Je me suis renseigné (essentiellement sur cette page), et depuis le tome 2 (paru en 2012), j’essaye de tenir compte de l’évolution de la langue française.
Mais les pièges sont nombreux et il m’est souvent difficile d’éviter une cacographie, surtout en travaillant dans le domaine de l’informatique : doit-on dire « la wifi » ou « le wifi », faut-il reprendre quelqu’un qui parle de « cryptage » quand il ne parle pas de mise en crypte ?
Je vais prendre l’exemple qui me parle le plus : l’utilisation du mot « digital ». Dans mon souvenir, la première fois où j’ai vu ce mot mal utilisé, c’était sur une affiche publicitaire « Orange – La Révolution Digitale ». J’étais stupéfait de voir une énormité pareille s’étaler en 4×3.
J’écris ceci pour ma mémoire et celle de mes (petits)enfants. J’ai connu une époque où le mot « digital » était simplement un adjectif associé au substantif doigt (exemple : empreinte digitale). C’est également un mot anglais qui signifie : « Digital usually refers to something using digits, particularly binary digits. »
Et comme tout le monde le sait, « digits » ce sont les chiffres. Ça vient d’ailleurs du latin « digitus« , qui veut dire « doigt ».
Mais alors, « révolution digitale », ça veut dire « révolution des doigts » ?
Oui.
Mais on compte bien sur les doigts ?
Oui.
D’ailleurs les anglais utilisent le même mot « digit » pour doigt et chiffre.
Oui.
Finalement, « révolution digitale », c’est la révolution des chiffres ?
Moui.
Et aujourd’hui, les chiffres, on les manipule surtout avec des ordinateurs ?
Mmmmoui
Alors, « révolution digitale » et « révolution numérique », c’est pareil, non ?
Rrrrrhaaaaaaaa
Et donc l’univers marketing s’est emparé de l’univers numérique pour en faire un univers digital, parce que, Coco, l’angliche, ça sonne mieux. Au début, ça fait un peu mal, mais après ça glisse (tiiiitre!).
Les années ont passé, et maintenant, c’est moi qui passe pour un vieux con au boulot parce que j’ai osé faire une remarque sur le sujet à quelqu’un. Ça m’a quand même fait réfléchir : est-ce un combat qui vaille la peine d’être mené ?
J’ai pesé le pour et le contre. J’ai eu un flash sur les grammar nazis, ceux qui interviennent dans une conversation pour corriger une typo… Je me suis vu en train de rager à chaque fois que quelqu’un utilise le mot digital en lieu et place de numérique. Je me suis dit que c’était de l’énervement mal placé, qu’il fallait que je sois au dessus de ça pour me concentrer sur le contenu, plus que sur la forme.
Donc, je suis en train d’apprendre à accepter l’utilisation du mot « digital » imposée par le marketing. Il me reste à accepter « au jour d’aujourd’hui », « cryptage », « darkweb », « malgré que », « autant pour moi » et tant d’autres. Il en va de ma plasticité synaptique autant que de ma tranquillité d’esprit.
Vous pouvez réviser votre goétie et me faire part de votre désapprobation en commentaire 😉
Même démarche… et je passe aussi pour un vieux con !
Même sans anglicisme, dans les irritants je relève "Au jour d'aujourd'hui", "A partir de dorénavant" et "mettre en MEP" (sachant que MEP signifie Mise en Production).
"mettre en MEP", c'est du niveau des anglophones qui parlent de "PIN number"… une auteure web américaine dont j'apprécie les travaux a fait une nouvelle particulièrement drôle sur le sujet (en anglais, donc) : https://www.alexandraerin.com/2015/05/fiction-the-redundant-man-who-was-redundant/
Ah? MEP pour moi c'est Mechanical – Electric – Plumbing. Déformation professionnel. Voir Revit(c) MEP
J'approuve ce billet, notamment la volonté de rigueur mais aussi l'acceptation plutôt que l'énervement. Par contre je trouve que l'explication pour la traduction digital <-> numérique est un peu faiblotte. Les origines de l'informatique sont en partie électroniques et en électronique, pour parler de signal, on traduit bien digital (par opposition à analog) par numérique (par opposition à analogique) en français.
Merveilleux article !
Je me suis posé les mêmes questions.
Et, je sais que cela vous fera plaisir, j'ai découvert de nouveaux mots !
Merci.
Je ne pense pas que l'énervement en vaille la peine, mais je pense que corriger les gens vaut le coup. Le langage évolue en fonction de son utilisation, si suffisamment de gens l'utilisent d'une certaine façon, ça déterminera quel mot sera progressivement oublié et quel mot survivra.
Tant que notre opinion est donné clairement, tant que les raisons qui nous ont conduit à notre opinion sont données, c'est suffisant, après c'est à nos interlocuteurs de décider ce qu'ils souhaitent faire de leur vocabulaire.
J'ai longtemps pensé la même chose, et depuis peu, je considère le "digital" comme l'informatique avec les doigts, sur tablette, sans clavier ni souris. Du coup, je râle moins souvent.
"digits" se sont les chiffres !!! tu es sûr ? moi j'aurai écrit "ce sont les chiffres". Ceci dit, même combat…
Rhaaa ! Corrigé, merci 😉
Bonjour, merci pour votre article. Pour ma part je continuerai à défendre le numérique et le chiffrement. Dans votre conclusion vous citer un certain nombre d'expression dont le très connu "autant pour moi". Malheureusement cette expression est français quand elle est bien écrite: "au temps pour moi". Elle est issue du monde militaire à l'époque où les soldats s'entraînaient à l'ouverture du feu en ligne pendant que leurs camarades rechargeaient leur arme. Afin de fournir un feu nourri cette organisation demandait un chronométrage précis orchestré par l'officier commandant les troupes. Ce dernier, quand il se trompait devait laisser passer un temps pour récupérer le rythme d'où le temps pour lui 😉
Commandant Michel Dubois (officier d'active)
En êtes-vous si sur ? Je vous invite à regarder cette vidéo…
Pareil, digital me dérange tout comme candidater à la place de postuler, solutionner pour résoudre…
J'ai quitté la France il y a presque 5 ans, pour les États-Unis. Et j'ai assisté, de loin, horrifié, à l'invasion de ce mot infâme qu'est digital: d'abord réservé aux kékés du marketing de la tech qui voulaient faire "classe", il est désormais partout. Vous n'êtes pas un vieux schnock, c'est totalement normal de protéger sa langue: Emprunter à une autre langue un mot pour un nouvel objet ou concept (couscous, e-mail, etc.) est tout à fait normal et preuve de vivacité, mais dans ce cas, digital n'est qu'un pâle synonyme pompeux de numérique: Si vous en avez l'occasion, demandez à un des ses utilisateurs "éclairés" la différence entre digital et numérique: leurs réactions atterrées et leurs explications ineptes sont des délices que Courteline a célébré en son temps: "Passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est une volupté de fin gourmet." Je vous conseille notamment ce somptueux article : https://digitaldigestmarketing.wordpress.com/2016/02/14/quelle-difference-entre-digital-et-numerique/
Bonjour,
Merci pour le billet. Dans un premier temps je me suis posé. Je me suis dit que vous aviez peut-être raison, que cela n'en valait pas la peine et que si on cherchait bien on trouverait potentiellement un moyen d'y raccrocher un sens à ce fichu digital… Seulement voilà, les mots ont un sens et accepter les abus volontaires c'est comme accepter la novlangue.
C'est juste renoncer.
Oui ! C'est aussi accepter que la langue évolue et le sens des mots aussi. C'est accepter le changement, même quand il nous déplaît. C'est renoncer pour se consacrer à des combats plus importants.