J’ai étudié le fonctionnement du cerveau humain lorsque j’ai travaillé avec des neurologues et des éducateurs de jeunes enfants, pendant ma thèse sur les réseaux de neurones formels. Cela me passionnait et la complexité du cerveau humain me fascine toujours, surtout quand il s’agit du fonctionnement de mon propre cerveau. Je suis d’ailleurs un adepte de l’introspection.
L’introspection (du latin « introspectus ») désigne l’activité mentale que l’on peut décrire métaphoriquement comme l’acte de « regarder à l’intérieur » de soi, par une forme d’attention portée à ses propres sensations, états ou pensées.
Il s’agit en psychologie de la connaissance intérieure que nous avons de nos perceptions, actions, émotions, connaissances, différente en ce sens de celle que pourrait avoir un spectateur extérieur.
Source Wikipédia
Hélas, l’introspection a ses limites, car comme l’a si bien écrit Auguste Comte : « On ne peut pas se mettre à la fenêtre pour se regarder passer dans la rue« . Et j’en ai fait l’amère expérience.
Remontons un peu dans le temps, de quelques mois. En tant que responsable de la cybersécurité, je dois mener à bien dans mon entreprise beaucoup de projets de sécurité informatique, et ces projets m’amènent à travailler avec beaucoup de personnes. Comme dans toutes les entreprises, cela se passe parfois bien, et parfois moins bien : je me heurte à des résistances ou des comportements hostiles.
Rien de neuf sous le soleil, mais cette fois j’ai eu à gérer un comportement très hostile qui m’a demandé beaucoup d’énergie. Sans entrer dans des détails inutiles, je me suis attaché à remplir mes missions et à garder une attitude professionnelle, mais la collaboration se passait très mal. J’ai changé mes méthodes, mes analyses, mes outils, mes arguments. Je me suis remis en cause, j’ai travaillé plus, et plus longtemps. Et, sans vraiment m’en rendre compte, je me suis mis à tourner comme un hamster dans sa cage : beaucoup d’énergie dépensée pour peu de résultats.
Ma hiérarchie demande des résultats, et c’est bien normal puisqu’en échange je touche un salaire avec une partie liée à des objectifs. Donc, moins j’avais de résultats, plus je déployais d’efforts, d’analyses, de stratégies, de techniques de contournement, pour arriver à avancer sur mes projets. Petit à petit, la pression augmentait. J’essayais de remettre en cause mes compétences, mes connaissances, mon savoir-faire, mon savoir-être, mais rien n’y faisait.
Mon regard introspectif et ma logique d’analyse de mes propres sensations ne me donnaient aucun indice sur ce qui était en train de se passer dans mon cerveau : une petite voix intérieure me soufflait de stopper cette spirale infernale d’épuisement mental.
Quand j’écris « petite voix intérieure », le lecteur que je suis (comme vous, je lis ce texte, je suis même le premier à le lire), le lecteur que je suis, donc, imagine quelqu’un qui parle à voix basse, comme une sorte de diablotin/ange posé sur l’épaule. Mais ce n’est pas cela du tout : la partie consciente de mon cerveau, celle qui tient les commandes, est seule à la manœuvre.
la conscience serait un phénomène mental caractérisé par un ensemble d’éléments plus ou moins intenses et présents selon les moments : un certain sentiment d’unité lors de la perception par l’esprit ou par les sens (identité du soi), le sentiment qu’il y a un arrière-plan en nous qui « voit », un phénomène plutôt passif et global contrairement aux activités purement intellectuelles de l’esprit, actives et localisées, et qui sont liées à l’action (par exemple la projection, l’anticipation, l’histoire, le temps, les concepts…).
Extrait de la page « conscience » de Wikipedia
La conscience s’appuie sur un ensemble complexe de circuits neuronaux qui s’organisent en réseaux pour traiter les entrées sensorielles, les relayer jusqu’au cortex, puis les traduire en sorties comportementales ou psychiques. La variété des comportements nécessite que certains réseaux soient sélectionnés en fonction des différents types de situations vécues. Cette sélection est réalisée par les neurones dits modulateurs, qui libèrent de la sérotonine, de la noradrénaline ou de la dopamine.
La conjonction de plusieurs disciplines – l’anatomie, la neurobiologie comportementale et la neuropharmacologie – a permis de définir une entité dénommée « circuit de la récompense », constituée de structures cérébrales en interrelation (noyau accumbens, septum, amygdale, hippocampe, cortex préfrontal), elles-mêmes sous la dépendance des afférences dopaminergiques venant de l’aire tegmentale ventrale.
Le cortex préfrontal est impliqué dans la motivation et la focalisation de l’attention, l’amygdale est considérée comme étant le centre des émotions, et l’hippocampe serait le régulateur de la mémoire. Quant au noyau accumbens, il jouerait un rôle d’interface entre les émotions et les sorties motrices. Toutes ces structures se projettent sur l’hypothalamus, qui régule les fonctions neurovégétatives de l’organisme, c’est-à-dire les fonctions vitales telles que le rythme cardiaque ou la régulation thermique, des fonctions métaboliques comme la faim et la soif, et également la reproduction. L’aire tegmentale ventrale, enfin, reçoit les informations de plusieurs régions cérébrales, dont l’hypothalamus, et transmet ses ordres au noyau accumbens et au reste du circuit de la récompense en modifiant la libération de dopamine
Source « Le circuit de la récompense » de Jean-Pol Tassin
Un stress intense peut briser le circuit de la récompense en modifiant la libération de dopamine.
Non seulement j’étais de plus en plus déprimé en quittant mon travail, mais j’y allais de plus en plus « avec la boule au ventre ». Plus le temps passait, plus le fonctionnement « normal » de mon cerveau se dégradait et j’en étais le spectateur inconscient. La dopamine est indispensable à la survie de l’individu car elle joue un rôle dans la motivation. Ma « petite voix intérieure » me soufflait de plus en plus fort de tout arrêter PAR TOUS LES MOYENS et mon angoisse se transformait en pensées sombres.
Je me mettais à transpirer abondamment en pleine réunion, ou à balbutier en pleine intervention, comme une crise de panique sans raison. Je dormais beaucoup mais mal, je me réveillais au milieu de la nuit sans pouvoir me rendormir. J’étais tout le temps fatigué.
Les gens sont parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles. Sous la tension produite par la vie dans notre monde complexe leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte.
Herbert J. Freudenberger, psychologue et psychothérapeute américain
Vous l’avez compris, j’ai été victime d’un épuisement professionnel (je vous invite à lire cette page très intéressante de Wikipédia car elle décrit beaucoup d’autres situations très différentes de la mienne).
Bref, j’ai fait un « burn-out« .
Si j’ai décidé d’écrire ce billet, c’est parce que je m’en suis sorti grâce à deux RSSI qui ont osé briser le tabou du silence et témoigner lors d’une conférence à laquelle j’ai assisté. Je n’oserai sans doute pas faire de même car j’ai encore du mal à en parler, mais j’ai la chance d’avoir ce blog qui me sert de thérapie.
Je m’en suis sorti grâce au soutien de Mme Zythom qui a su m’entourer de son amour sans me juger ni me donner les conseils bateaux du type « non mais ça va aller » ou « il y a plus à plaindre que toi ». Le burn-out est un incendie intérieur ne laissant qu’un vide immense.
Je m’en suis sorti grâce à l’intervention de mon nouveau chef qui a su reconnaître ma situation d’épuisement et prendre les bonnes décisions de soutien.
Ce qui est sûr, c’est que je ne m’en suis pas sorti grâce à mon cerveau.
J’ai connu ce type de situation, surement en plus « léger » et en parler avec des amis m’a aussi permis de voir que c’était hélas de plus en plus commun. Nos réflexes mentaux de techniciens nous ont fait analyser la cause, et à chaque fois cela venait d’un manager qui ne méritait pas ce titre.
Notre incompréhension vient de l’attitude des dirigeants qui constatent au minimum l’énorme turnover des équipes de ces personnes mais ne prennent aucune décisions adaptées, voire pas de décision du tout alors que cela nuit fortement à l’entreprise.
Je vous souhaite un très bon rétablissement et espère que vous arriverez à aimer à nouveau votre travail.
Salut Zythom,
je viens de découvrir ton billet et ton état psychique, et j’espère sincèrement que tu vas un peu mieux.
Bienvenue au club, si j’ose m’exprimer ainsi…
Je suis navré de constater que toi aussi,tu y as eu droit, à cet épuisement. Bienvenue au club, des joyeux incendiés, donc. Je constate également d’après ton récit poignant que le problème semble lié à une confrontation avec un individu, à des soucis de communication et de résultats. Qu’au sein de ton environnement professionnel, tu ne sembles pas avoir été aidé par la hiérarchie, les collègues, les RH. Je ne connais que trop bien ces différents éléments.
Je ne connais pas le contexte précis dans ton cas mais il semble, une fois de plus, que la cause racine n’est pas d’ordre technique ou de tes compétences, mais bien lié au rapport humain, que je qualifierai d’ailleurs d’inhumain vu les conséquences. J’en suis navré, vu tes qualités tant humaines que professionnelles. C’est un gâchis.
La fin de ton billet me rassure cependant. Que ta conjointe t’ai soutenue tout du long et ai pu reconnaître ton épuisement c’est primordial. Elle a pu comprendre la situation et cela ne s’est pas terminé en séparation et divorce comme je l’ai vécu (pour ma part, je souris de voir que depuis une année environ mon ex-femme a fini par comprendre la gravité de ma situation depuis toutes ces années et m’aide désormais dans mes démarches administratives… un peu tard mais je lui en suis reconnaissant toutefois car elle me soutient quand même alors que le divorce est prononcé et que nous ne vivons plus ensemble!).
Rassuré également de voir que tu as un nouveau chef au fait des difficultés psychiques dans un contexte tendu, le métier de RSSI étant particulièrement enclin à générer du stress… Après tout, l’acronyme du titre précise bien que si Responsable il y a en cas de souci de sécurité, voire globalement de gestion des risques, c’est bien le seul et unique Responsable Sécurité SI qui doit prendre les coups, comme tu le mentionnes au début de ton billet il est d’ailleurs payé pour cela ! Bon au moins tu as un nouveau chef compréhensif. Reste à voir l’attitude du management N+x, des RH et des collègues… Souvent c’est mal perçu. Je croise les doigts pour toi.
Je ne sais pas si tu évoques les deux RSSI qui ont témoigné aux Assises, Eric et moi-même. En tout cas si j’ai pu sortir de ma coquille pour évoquer ces aspects et que cela a pu aider un tant soit peu quelques professionnels tendus et fragilisés, tant mieux. J’ai l’impression d’avoir un peu servi à quelque chose !
N’hésite pas, en tout cas, à rester en contact. Tu sais comment, et cela me ferait bien plaisir tu t’en doutes. On pourra évoquer tout cela, et si je peux te donner des pistes c’est avec joie.
Amicalement,
Bruno
Merci.
Simplement, sincèrement : merci.
Et bon courage, ainsi que mes meilleurs voeux de paix intérieure et de bonheur.
« Ma hiérarchie demande des résultats, et c’est bien normal puisqu’en échange je touche un salaire avec une partie liée à des objectifs. Donc, moins j’avais de résultats, plus je déployais d’efforts, d’analyses, de stratégies, de techniques de contournement, pour arriver à avancer sur mes projets. »
Hum…
Je m’intéresse depuis longtemps aux manipulations, aux dérives humaines, l’expérience de Palo Alto, la 3ème vague, tout ça.
Ce que vous décrivez s’appelle l’injonction contradictoire.
https://en.wikipedia.org/wiki/Double_bind
On vous demande de faire une chose sans vous en donner les moyens. Et quand vous objectez, on vous reproche votre incompétence.
C’est -heureusement- rarement voulu. C’est malheureusement fréquent et vicieux, surtout si vous êtes quelqu’un d’honnête, de travailleur. Cela peut vous tuer. Au sens propre.
Le management qui privilégie les résultats sur la qualité fait souvent cet erreur.
Vous y avez survécu, bravo, ce n’est pas le cas de tout le monde. Des gens vous ont aidés: bravo à eux, ce n’est pas un acte facile. Ces RSSI, c’est la trempe des gens qui en 1940 ce seraient levés pour partir à Londres, pour monter au maquis. Il y en a peu mais ils sont très précieux. Ils le paient parfois très cher mais je pense que cela en vaut la peine. Ceux qui vous ont soutenus, comme votre épouse: bravo: c’est dans la merde la plus totale que l’ont reconnait ses vrais amis.
Moi je l’ai vécu. Mais thérapie ou pas, je suis devenu quasi incapable de faire confiance. Tout mot, toute attitude qui évoque le vocabulaire de mes anciens dirigeants me rend très méfiant, cynique. Ce qui est très mal perçu. Bilan, chômage à long terme. Il faudrait renverser la peur, comme disait l’autre.
Bonjour Zythom !
Merci pour ce billet qui mets des mots sur des maux.
Je suis également RSSI et j’ai subi cette année la même maladie.
J’ai vécu quelques mois avec des sensation de fatigue et de vide intenses.
L’analogie de l’incendie est tellement vrai.
Je me suis réveillé lorsque mon moi intérieur était totalement cramé.
Aujourd’hui cela repousse doucement et comme une jeune forêt tout reste fragile.
Je fais de la méditation, un peu de sport et du travail à mi-temps.