Le poids des maux 2/9

Résumé du texte qui suit : Vincent vient cacher ses malheurs et son désarroi devant son monde qui s’effondre. Il nous révèle ici son secret.

20 juin

Il m’a fallu presque une semaine pour trouver le courage de franchir le pas et reprendre le chemin de ce carnet. Je pense qu’au stade où j’en suis, cela devrait me faire du bien de mettre des mots sur mon mal-être. Je crois avoir réussi à tromper tout mon monde, à part peut-être Gaston, le chauffeur qui m’a amené ici.

Alors voilà, comme dirait Baptiste Beaulieu…

Depuis des mois, je me plains d’une grande fatigue générale qu’aucun sommeil ne répare, assortie de douleurs abdominales. J’ai donc vu le médecin qui m’a prescrit des analyses. La semaine dernière, les résultats sont tombés et le médecin m’a demandé de venir le voir pour en parler. C’était la semaine dernière, et j’ai déjà l’impression que c’était il y a un mois.

Mon médecin généraliste est un ami depuis 30 ans. Il me connaît bien et soigne toute la famille, ma femme Sylvie, mes enfants et petits-enfants. Mais cette fois-ci, j’ai bien vu dans son accueil un regard particulier. J’ai remarqué également que la salle d’attente était bien vide par rapport à d’habitude.

“Vincent, j’ai un truc terrible à t’annoncer. Tu as un cancer du pancréas. Un cancer fulgurant…” J’ai senti un froid glacial m’envahir. J’ai balbutié un vague “mais c’est quoi le traitement ?”

“Il n’y a aucun traitement à part des soins palliatifs contre la douleur.”

Quand j’y repense aujourd’hui, je revois encore sa mine déconfite. Et le petit mouvement de sourcil quand je lui ai dit : “ah ben au moins le truc positif c’est que je sais maintenant ce que j’ai. Et j’en ai pour combien de temps ?”

“Il te reste environ six mois…”

Le monde s’est écroulé autour de moi.

Puis j’ai pris la décision la plus importante de ma vie.

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Commentaire de l’auteur :

Sur le même principe que le texte précédent, le billet est court. Ils le seront tous, c’est pour moi une conséquence directe de l’idée de trouver un carnet de note vierge dans une chambre d’auberge.

Le texte précédent devait respecter une contrainte littéraire importante (facultative) : “Les initiales des phrases successives devront suivre l’ordre alphabétique. Après épuisement des vingt-six lettres, si le texte continue on redémarre à la première ou on repart dans l’ordre inverse.“ Vous pouvez le relire et vérifier : mission accomplie.
Le présent deuxième texte n’était soumis à aucune contrainte littéraire.

J’avais un peu peur de l’effet de ce billet sur l’ambiance de l’auberge, tant côté lecteurs, que du côté du forum des auteurs. En effet, c’est l’été à l’auberge (dont le temps est synchronisé avec celui de la réalité), les billets sont plutôt joyeux, et la pandémie de COVID-19 a été soigneusement bannie par les organisateurs du projet.

Et effectivement, le billet a fait l’effet d’une (petite) bombe. C’est le billet le plus noir à ce moment là de l’aventure collective qui débute. Certains auteurs m’ont contacté en direct pour me demander si c’était réellement une fiction, les commentaires sous le billet montraient une certaine surprise, voire une inquiétude. J’étais content de moi.

J’ai découvert à ce moment là une complexité à laquelle je ne m’attendais pas du tout, digne du film “Inception”. En effet, j’existe dans la vraie vie sous une identité normale. J’écris dans ce projet comme auteur une fiction sous le pseudonyme Vincent-auteur où je mets en scène un personnage Vincent-personnage. Sous les textes que je publie, et sous les textes des autres auteurs, je commente sous le pseudonyme Zythom pour qu’il n’y ait aucun rapport avec Vincent-auteur ou Vincent-personnage. Cela fait beaucoup de personnes dans une seule tête…

Sur le forum des auteurs, il y a beaucoup de discussions, des demandes d’interactions, des encouragements, des questions sur l’écriture, mais aussi des réactions sur les histoires que chaque auteur développe. Or, j’ai une idée très précise de l’histoire que je souhaite raconter, et je veux que ni les lecteurs des textes, ni les auteurs qui échangent avec moi sur le forum n’en devinent la suite avant publication. Cette contrainte a été pour moi très difficile à tenir et a limité plutôt fortement les interactions avec les autres personnages.

A propos d’interaction, la phrase “Je crois avoir réussi à tromper tout mon monde, à part peut-être Gaston, le chauffeur qui m’a amené ici.” renvoyait originellement un lien vers le texte du chauffeur de l’auberge qui m’avait amené. Comme nous ne sommes pas sensé connaître les notes écrites dans les carnets des autres joueurs, nous ne devions pas faire de lien vers les billets publiés, et les organisateurs m’ont suggéré gentiment de supprimer le lien. J’aimais pourtant bien l’idée de liens croisés entre tous les textes, à chaque interaction, tant que les liens n’étaient pas exploités par les auteurs pour faire croire aux lecteurs que les notes étaient lues par les personnages.

Ici, je peux le faire : il s’agissait du texte intitulé “Monsieur Vincent”. Je n’ai pas réussi à créer une interaction plus forte que de citer fugitivement l’existence de Gaston, ni à développer une suite avec lui qui soit cohérente avec l’histoire que je voulais raconter, tout en la cachant à Gaston-auteur. C’est à cela aussi que l’on voit que je suis un écrivain débutant.

Ceux qui ont lu ma série “25 ans dans une startup” sur mon blog précédent, savent que j’aime bien essayer de placer des cliffhangers. Et ici, la phrase finale a fait son petit effet 🙂

Le billet suivant s’appelle “Le bonheur à tout prix“.

“Toutes blessent, la dernière tue”
Source Wikipedia, photo de Peter Potrowl — Travail personnel, CC BY-SA 3.0

Une réflexion sur « Le poids des maux 2/9 »

  1. J’aime beaucoup que tu re-publies ainsi avec un “débriefing” a posteriori de tes intentions et de ton cheminement pendant le jeu, ravivant l’ambiance des coulisses de l’auberge ! passionnant ! Merci à toi.

    J’avais rencontré cette même difficulté à faire co-exister tant de personnes dans ma propre tête, et j’avoue que je m’y étais finalement bien embourbée !

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