Contrôle parental

Un expert judiciaire doit procéder régulièrement à la destruction des documents qu’il a pu conserver, et en particulier des anciens rapports d’expertise et de leurs annexes. C’est ainsi qu’en rangeant d’anciennes archives de mon coffre fort numérique, je suis retombé sur l’histoire d’un petit garçon, que j’appellerai Erwan.

Erwan avait neuf ans. Il aimait jouer sur l’ordinateur familial qui trônait dans le salon. Il passait des heures sur le jeu que lui avait installé son père.

A neuf ans, Erwan est un petit garçon curieux de tout : il aime taper sur le clavier – mais pas trop fort – et cliquer sur les personnages de son jeu. Il a vite compris comment allumer l’ordinateur et l’éteindre correctement – comme lui a dit son papa.

Son père lui a également fait plusieurs recommandations : ne pas parler aux inconnus, ne pas sortir de l’école seul, ne pas abîmer les objets qui coûtent chers, ne pas dire de gros mots. Erwan est fier de savoir allumer l’ordinateur et l’utiliser comme un grand.

Enfin, presque comme un grand. Parce que son père a installé un logiciel de contrôle parental pour bloquer tout usage non autorisé d’internet. Du coup Erwan ne peut qu’utiliser le site de son jeu et quelques autres sites placés en liste blanche. Erwan se sent un peu à l’étroit dans cette petite bulle. Surtout que ces copains lui racontent monts et merveilles sur internet et ses vidéos rigolotes.

Alors Erwan, neuf ans, utilise le navigateur internet autrement. Il navigue, non pas sur internet, mais sur l’ordinateur familial en ouvrant les images qui sont stockées localement dans des dossiers bien rangés par son père.

En tout cas, c’est ce que l’historique du navigateur montrera lors de l’enquête dans laquelle je suis intervenue en recherche d’images et de films pédopornographiques. Les jours et heures de navigation “locale” correspondent à la présence d’Erwan à la maison, seul, sur l’ordinateur familial. Ordinateur familial partagé et utilisé par son père pour télécharger des images et des films pédopornographiques et pornographiques. Beaucoup. Et bien rangés, à l’abri – croyait-il – de son fils, grâce au logiciel de contrôle parental.

Un père assouvissant ses penchants en toute discrétion, protégeant son fils des prédateurs sexuels avec un logiciel dont il pensait – à tort – qu’il empêchait son fils d’accéder aux images qu’il amenait lui-même sur l’ordinateur familial.

J’ai détaillé dans le rapport tout l’historique du navigateur, et extrais des entrailles de l’ordinateur toutes les images et tous les films qui hantent encore mes nuits.

Je pense à Erwan et à l’effroi qui devait le saisir quand il se promenait du haut de ses neuf années, “comme un grand” seul sur l’ordinateur familial.

Je pense à son père criminel et pourtant protecteur.

Je pense à tous ceux qui croient qu’il suffit d’un logiciel “magique” pour protéger leur enfants, alors que la meilleure solution est la présence et l’accompagnement parental qu’on appelle l’éducation.

Je pense à tous ces politiques qui utilisent l’excuse de la protection des enfants pour imposer plus de “contrôles”.

Et je suis là encore aujourd’hui, à feuilleter ce rapport que je m’apprête à détruire, et qui me brûle l’écran.

11 réflexions sur « Contrôle parental »

  1. Une petite pensée de quelqu’un qui ne sait pas trop quoi dire pour soutenir un expert qui a trop souvent du affronter ce genre de chose seul dans son coin.

    merci pour tous ces récits, d’expertise ou de vie professionnelle/personnelle.

    j’ai toujours eu plaisir a vous lire.

    Si un jour j’ai l’occasion, je serait de payer la bière pour échanger un brin.

    • Prendre le temps et faire l’effort de déposer un commentaire d’encouragement, c’est très suffisant pour mon cœur de blogueur <3

  2. Tu dois tout balancer ? c’est logique d’un côté mais il doit y avoir un côté frustrant à ne garder aucune trace de tant de travail non ? Ou au contraire tu es content de faire disparaitre ces dossiers particulièrement pesant ?

    • C’est mon assurance en responsabilité civile qui est contente. Je détruis tous les éléments d’analyse et tout le travail réalisé, c’est-à-dire en général le rapport et ses pièces jointes. J’ai détruis depuis longtemps les copies numériques des scellés. Je ne garde plus que les éléments administratifs du dossier : désignation par le magistrat, accusé de réception, réponses, etc. Ces éléments ne contiennent rien qui puisse m’être reproché d’avoir été gardé.

  3. Je commente peu pas par paresse par manque “d’originalité” et de pertinence 😉
    mais je trouve ce récit important.

  4. Hé bé, satanée histoire!
    Que dire?
    Qu’au moins le père ne s’est pas servi sur son gosse. Qu’il a essayé de le protéger de ses semblables (au père).
    Que d’un autre coté il est effrayant qu’il ait si peu de considération pour les enfants des autres.

    Vous avez vraiment du fourrer le nez dans de satanées affaires!

  5. Merci beaucoup pour ton histoire, nous rappelant que la meilleure des sécurités est l’éducation.

    Tu dois certainement avoir documenté ça quelque part, mais tu utilise quoi comme coffre fort numérique ?

  6. Ca me rappelle une histoire.
    Quand j’étais en fac, à l’époque du 56k, le meilleur moyen de voir des images de cul c’était de regarder le cache de windows explorer.
    Parfois le contenu faisait peur.

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