Une impression d’inutilité m’envahit. Je me sens las. Je rentre du travail, les enfants sont dans leurs chambres, ma femme travaille encore dans son cabinet, je m’isole dans mon bureau et je pleure tout seul.
Je me surprends à lire les conditions de mon assurance décès pour le remboursement de l’emprunt des études de ma fille.
J’ai de beaux enfants, une femme formidable, un métier passionnant. Je suis en bonne santé, entouré par des gens qui m’aiment et que j’aime. Je vis dans un pays en paix, dans un confort appréciable…
J’ai tout pour être l’homme le plus heureux de la terre et cela amplifie ma honte de ne pas ressentir ce bonheur.
Je dors beaucoup, je me réveille fatigué. Je broie des idées noires.
J’ai envie de tout envoyer paître, j’ai envie d’en finir.
Je tombe sur un article concernant la dépression… et j’en ressens la plupart des symptômes. Je me regarde dans la glace, et je me dis que ce n’est pas possible. Pas moi.
La honte.
Je suis le roc sur lequel mes enfants s’arriment et se hissent pour voir plus loin. Je suis l’un des boosters de la fusée familiale et je n’ai pas le droit de lâcher, surtout sans raison.
Et pourtant, je suis assis, las, à me demander pourquoi je me sens si vide, pourquoi un grand gaillard comme moi est entré dans une boucle négative de dévalorisation de soi si intense. Le syndrome de l’imposteur puissance 10.
Rien ne justifie cette sensation. Rien.
Je lis que la dépression est une maladie, qu’elle se soigne, qu’il faut consulter.
Mais j’ai honte !
Les semaines passent, la souffrance est toujours là, inutile, incompréhensible. Impossible de la cacher auprès de mon épouse qui fait pour le mieux, j’arrive à épargner mes enfants. Au travail, je manque de convictions, d’énergie. J’envisage la démission, le départ, l’abandon.
Tristes sensations.
Je refuse toute aide. Mon médecin est un ami de la famille, j’ai trop honte de lui dévoiler cette faiblesse inavouable. J’ai encore un peu de fierté pour essayer de m’en sortir seul. Tous ces atouts de mon côté et se sentir nul de chez nul, je ne me comprends pas.
J’écris. Je me souviens du bien que cela me faisait quand j’étais anonyme parmi les anonymes et que j’affrontais les démons de l’univers de la pédopornographie pendant mes expertises judiciaires. J’écris, mais je ne publie pas. Trop de monde me connaît sous ma vraie identité sur ce blog. Mes enfants me lisent, des magistrats, des avocats, des journalistes me lisent.
De quoi peut-il bien se plaindre, il a tout pour être heureux. La honte !
Alors, j’écris pour moi. Sur du papier, avec un stylo. J’écris des horreurs. J’écris mes idées noires. J’écris mon envie de donner un petit coup discret de guidon en vélo dans ce carrefour si fréquenté par des voitures qui roulent vite. J’écris cette descente en enfer incompréhensible. J’ai l’impression d’être dans cette course de voiture absurde de la nouvelle de Dino Buzzati intitulée « Les dépassements »…
Je noircis des feuilles.
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Épilogue.
J’ai écris ce texte il y a quelques semaines. Je suis sorti maintenant de cette mauvaise passe, avec l’aide de mon épouse. C’est elle mon roc, mon soutien. Et à deux, nous sommes les moteurs de notre petit avion familial, qui vient de fonctionner quelques temps avec un seul propulseur.
Je publie ici ce texte parce que même si j’en ai encore honte, je pense que cela peut peut-être donner une petite lueur d’espoir à quelqu’un qui serait dans le 36e dessous, et qui aurait des idées noires.
Je considère que j’ai attrapé une sorte de virus, que je n’y suis pour rien, et que maintenant j’en suis guéri… J’ai fait une petite déprime d’homme 😉
Je ne suis ni un héros, ni un zéro. Je fais de mon mieux. Et parfois, ce n’est pas terrible.
[EDIT du 19/12/2016]
Merci pour tous vos messages de sympathie, en commentaire ou en direct, qui m’ont fait énormément plaisir.
MERCI ♥♥♥ !
Bonjour,
12 ans que je me bas avec ma dépression, j'ai 37 ans et donc presque un tiers de ma vie à m'interroger de la même façon que vous.
à l'extérieur tout peut paraître parfait, mais à l'intérieur c'est le grand vide. Des jours avec et des jours sans mais ca allait quand même.
J'ai changé de travail il y a 4 mois, et également de type de poste, en fait je me retrouve avec un poste comme le vôtre alors que j'étais technique. là je me suis en difficulté. Je suis perdu, je n'arrive à rien, j'ai envie de tout lâcher. Je pleure, je pense au suicide, l'envie d'avoir un bête accident de voiture.
En tout cas, c'est bien de pouvoir s'en sortir. Des que les symptômes sont apparus, je suis allé voir un médecin qui m'a dit que ce n'était pas grave… Il m'a fallu 4 ans avant de pouvoir en reparler à un médecin, 4 ans où je m'en voulait d'être dans cet état.
J'ai néanmoins pu continuer à construire une famille mais c'est difficile.
Il faut dire au gens de ne pas avoir honte d'être en dépression, c'est une maladie. il faut consulter un médecin, et ne pas avoir peur d'en parler.
Merci pour ce texte et sa publication donc.
Le soutien de votre épouse semble avoir été décisif et il est heureux que vous aillez pu lui permettre de vous l'apporter.
Sans le savoir, vous-même avez sans doute été son roc, parfois…
Bien cordialement
C'est une drôle d'expérience, n'est-ce pas ?
Une dépression m'est arrivée il y a trois ans déjà, au printemps. Et pendant deux mois, chaque jour sans faute, au moment de m'endormir, je pensais au suicide. Sans jamais l'envisager, et sans raison de le faire. C'étaient simplement ces idées noires qui venaient remplir systématiquement mon esprit.
Le même genre de fierté que la vôtre sans aucun doute m'a empêché de chercher de l'aide. Je voulais croire que je pouvais dominer mon propre esprit.
Je m'en suis sorti finalement sans médicaments, avec du temps et du dialogue. Ce qui m'inquiète toujours un peu. Si une telle chose devait m'arriver à nouveau, je n'ai pas l'assurance que je saurais vraiment mieux y faire face; aujourd'hui encore, je frissonne en repensant à cette période noire, ou lorsque j'ai des idées sombres en me couchant.
Mais j'ai sans aucun doute l'impression de mieux me comprendre, d'avoir brisé des illusions de maîtrise absolue; et j'évoque cette période sans aucune honte désormais.
Merci pour ces quelques lignes.
Je me retrouve totalement dans vos propos… sauf que ça fait 2 ans que ça dure et que je n'arrive pas à en sortir.
Par moment ça va un peu mieux, mais la rechute est toujours derrière, à reprendre le dessus.
Souchon a écrit un très belle chanson à ce sujet.
https://www.youtube.com/watch?v=u7b9y8-zaUg
Merci pour ce billet: c'est très exactement ce qu'on ressent quand les choses commencent à ne plus aller… Je te souhaite de tout coeur de ne pas sombrer, d'aller mieux et de recommencer à voir le beau dans ta vie. Quant au sentiment d'imposture, je crois que c'est un gage de santé mentale: toujours se méfier de ceux qui sont trop sûrs d'eux 😉
Bonsoir, nous ne nous connaissons pas (IRC ou IRL), je commente peu ; je vous lis avec assiduité ici et sur les réseaux sociaux, vous écoute aussi lors d'interventions publiques (OLN tout récent, PSES). Je fais sans doute partie de ces anonymes lecteurs dont vous ne pouvez mesurer le volume mais pour qui toute leur sympathie et intérêt vous sont acquises.
Je suis heureux de lire que cette période est terminée, et comme pour un ami à qui cela aurait pu arriver, je culpabilise de ne l'avoir pas discerné entre deux lignes et deux mots.
Votre justesse, votre humilité, votre droiture, vos compétences et vos états d'âme sont précieux au Net français 🙂 Préservez-vous et prenez soin de vous pour qu'on puisse vous lire et vous écouter encore longtemps.
Amitiés numériques, Gf.
Bien que lecteur régulier du blog, je ne publie que rarement des commentaires, que le sujet me parle techniquement ou bien me touche humainement. C'est d'ailleurs peut-être même mon premier commentaire ici, je ne saurais dire.
Mais c'est presque avec un petit sentiment de révolte que je l'écris. La fierté ne fait grandir personne. Certains même peuvent en mourir. La dépression est une maladie, et peut parfois nécessiter un traitement. Certains s'en sortent par eux-mêmes, de la même manière qu'on peut sortir d'un rhume par exemple — le cas d'une déprime, par exemple liée à un événement particulier. Mais on peut aussi tomber sur une dépression de type un diabète, et c'est médication obligatoire, et parfois pour longtemps.
J'ai la chance d'habiter aux États-Unis, où les problèmes liés à la dépression ne sont pas diabolisés, ne sont pas stigmatisés dans la société (il y a beaucoup de choses que l'on peut reprocher à la société américaine, mais sans doute pas celle-ci). Le premier pas est d'accepter d'être malade (et non, il ne s'agit ni d'un coup de froid, ni d'un dérèglement passager sans raison). Le deuxième pas est d'appeler à l'aide. Ça passe évidemment par ses proches, mais il est à mon sens nécessaire d'aller voir les professionnels qui sont mieux armés pour comprendre les racines du mal : les psychologues. L'appel au psychiatre peut venir en troisième étape, sur les conseils d'un psychologue (dommage que tout cela soit regroupé sous le terme « psy » en français).
La route est parfois très longue… Bon courage, et n'ayez surtout pas honte (je n'ai encore jamais vu de diabétique honteux de l'être).
M
Alors je vous embrasse. De toute ma propre humanité.
Mais, c’est vous mon héros.
Plus que Eolas ! Eolas est un géant, qui combat les méchants ! Trop facile pour un géant.
Vous, vous êtes un humain, avec toutes ses faiblesses. C’est vous mon modèle.
Courage, vous faites plus pour la justice que n’importe quel politicien qu’on peut voir à la télé. Votre blog est un modèle d’humanité.
Merci encore pour tous vos écrits.
Krka
Je fais parti de ces nombreux anonymes qui vous lisent depuis plusieurs années.
Il y a quelques années j'ai fait une dépression, une descente aux enfers qui a duré un an. Ce qui m'a sauvé : accepter la maladie et demander de l'aide à mes proches.
Je me souviens très bien de mon premier rendez-vous chez le psy. La personne en face de moi m'a dis "vous verrez on sort plus fort d'une dépression, ça vous aidera pour plus tard".
Paradoxalement c'est la meilleure chose qui m'est arrivé. J'ai beaucoup appris sur moi même, sur les autres. Je me suis intéressé à tout un tas de choses.
C'était il y a tout pile 6 ans. J'ai vu un psy pendant 1 an et depuis tout va pour le mieux. Il avait entièrement raison, j'affronte bien mieux les épreuves de la vie.
Tout ça pour vous dire qu'il faut accepter les choses, accepter l'aide des autres, laisser faire le temps. Dans quelques années ça ne sera plus qu'un mauvais souvenir.
Bon courage dans cette épreuve.
Sur beaucoup de sujets, nous pouvons dire que nous sommes les multiples rouages de notre société.
Certains d'entre eux la servent plus encore, comme ceux de la santé ou de la justice.
Aider cette dernière à prouver solidement des actes délictueux ou criminels, est à n'en pas douter une tache essentielle.
Découvrir ces horreurs pour les dénoncer peut causer une fêlure.
Même les plus endurcis de nos policiers y sont confronté, mais quand on veut faire flic on sait qu'on devra approcher le côté obscur des hommes.
Les études d'informatique n'y préparent sans doute pas.
Allez rencontrer ceux qui savent soigner cette blessure qui fait tant pleurer.
Les flics le font bien eux.
Amicalement,
Philippe
Bonjour,
La pratique du zen depuis une vingtaine d'année m'a permis de passer au-dessus de toutes les difficultés. Pas une religion, plutôt une philosophie.
J'ai du mal à comprendre cette question de honte. D'autant plus qu'en exerçant un métier où l'on est à longueur d'année confronté au pire de ce que les êtres humains peuvent infliger, il y a de quoi finir par perdre ses forces, s'épuiser le moral.
Et d'autant plus bravo d'en avoir parlé à qui pouvait aider à se faire aider puis d'en faire état ici parce que cet exemple pourra secourir d'autres personnes qui n'osent pas faire ce qu'il faut (ou n'ont déjà plus la force).
Au passage merci pour tous les billets techniques que je lis comme tant d'autres depuis un paquet d'années et qui permettent de se sentir moins bêtes après.
L’automne aussi… Ma mère, psychiatre en hôpital, craint cette saison chaque année. C’est toujours, selon elle, la plus difficile, la plus porteuse de dépressions, de suicides, d’afflux dans les salles d’urgence. Je suis heureux que vous alliez mieux — l’an prochain, méfiez-vous de l’automne.
Bonjour, comme je vous comprends (la honte, la difficulté à demander de l'aide)… J'ai découvert que la dépression était une maladie récemment, car elle concernait une personne de ma famille, qu'il existait des soins, et surtout que comme maladie, on ne peut pas y faire grand chose à part accepter les soins. La psychologie reste pour moins un mystère, passionnant mais vaste ! Après comme j'ai la foi en Dieu, les mystères j'ai l'habitude dirons-nous 😉 Je vous félicite pour votre humilité ! C'est une grande vertu (qui n'est pas réservée aux personnes catholiques!). A la suite de cet article je vous propose de prier pour vous, et pour ceux qui dans les commentaires ont dit avoir cette maladie. (Je ne veux nullement imposer ma foi, je la propose.) Enfin pour ce qui est idées noires et quête de sens, je propose les témoignages de ce site https://une-solution-existe.com/ (Je précise que c'est un site catholique, pas d'une secte…) A tous je souhaite un bon Noël et une bonne année ! Nathanaël
M'sieur Zythom. Comme d'autres ici, je fais partie de ces inconnus totaux qui vous lisent dans l'ombre, mais qui vous admirent tellement. C'est rare de lire quelqu'un d'aussi…humain, rendu aussi humain par des expériences, des fragilités, des combats, des apprentissages si difficiles.
Vous êtes un héros.
La dépression n'est pas quelque chose d'anodin, il faut savoir appeler à l'aide quand elle vous tombe dessus. Quitte à ravaler son orgueil.
J'ai moi-même mes soucis à trimballer, mes souffrances, et je puis vous affirmer que le trou noir dans lequel vous étiez il y a encore peu est vaste, profond, gluant et inextricable sans aide. Vous avez eu un sacré courage d'affronter tout cela en famille et d'en plus porter un petit message d'espoir sur votre blog. J'ai connu des tas de gens qui auraient aimé lire ce genre de message, au détour d'un blog, à une époque.
Ayez confiance en vous, se tirer d'une dépression tient plus de l'héroïsme que vous ne le pensez a priori.
Et mille mercis pour ce blog emprunt de sensibilité et d'humanité. Que la Force soit avec vous… à tout jamais !
je suis également passé par là et, aux dire du psychiatre qui m'a aidé, j'ai touché le fond
après beaucoup de travail, je suis aujourd'hui considéré comme stable
j'étais, avant de craquer, ce qu'on appelle un hyper adapté social, ce qui fait que j'ai pu donner le change pendant près de 30 ans. j'étais le roc de pas mal de monde, et beaucoup comptaient sur moi. c'est beau, mais c'est épuisant
le jour où ça a craqué, j'ai mis des années à me sentir vraiment mieux
heureusement, j'ai pu rencontrer un excellent psy, qui n'a pas essayé de m'apporter des solutions toutes faites, mais m'a plutôt permis de réfléchir sur le pourquoi de ma chute et sur les moyens d'agir mieux sans se laisser submerger
j'utilise maintenant tout cela dans ma vie de tous les jours, y compris dans mon travail
je tire de cette expérience deux enseignements, qui je l'espère pourront vous servir et servir à vos lecteurs :
– il n'y a pas de honte à demander de l'aide, et la maladie peut frapper tout le monde
– la deuxième est un point que m'a dit mon psy : il est extrêmement dommage que les gens n'osent pas consulter dans ces cas, car ils continuent à souffrir alors qu'aujourd'hui (à condition de trouver un bon psychiatre), on sait très bien gérer ce genre de situation, un peu avec des médicaments si nécessaire et pour un temps limité, mais surtout par de l'écoute et de la discussion
"Je suis l'un des boosters de la fusée familiale et je n'ai pas le droit de lâcher, surtout sans raison… J'ai encore un peu de fierté pour essayer de m'en sortir seul. Tous ces atouts de mon côté et se sentir nul de chez nul, je ne me comprends pas.
De quoi peut-il bien se plaindre, il a tout pour être heureux. La honte !"
Moi, çà a commencé comme çà et j'ai raisonné comme vous, serré le cul tant que j'ai pu et me suis accroché jusqu'à l'apothéose en un splendide "burn-out" : je me suis finalement résolu à consulter le médecin quand – par peur de la lancinante tentation des piliers de pont sur lesquels me précipiter au volant – je n'ai plus même osé me rendre au boulot.
J'y ai à l'époque laissé 15 kg (et sûrement quelques mauvaises graisses) en 3 mois, mon emploi, 27 ans de compétences et d'expérience professionnelle à la trappe, puis le couple, la maison, mes ambitions et projets, les relations sociales, les derniers lambeaux de mes rêves, …! J'ai bien suivi près d'un an de formations informatiques intensives pour négocier une reconversion, mais quel employeur serait assez fou pour embaucher un admin réseau junior âgé maintenant de 57 ans???
Et voilà! Par incapacité d'encore tolérer que mon alimentation nécessite de tuer, j'ai arrêté la viande!
Je compte désormais, aussi précaire qu'inutile, au rang des sans-dents. Et si même, sans avenir et faute parfois de me sentir simplement exister, j'ignore quel sens trouver ou donner à tout çà, je persiste néanmoins et malgré la honte je vis, certains jours moins bien, d'autres mieux!
Je me réjouis donc d'autant plus que vous ayez ré-émergé sans trop de dégâts que j'ai toujours plaisir à vous lire! Veillez sur vous!
En vous présentant mes cordiales salutations!