J’ai eu une enfance sportive: mes parents m’ont encouragé à la pratique du sport, et j’ai répondu à leurs attentes, même si ma curiosité naturelle m’a amené à « papillonner » d’un sport à l’autre. Avec le recul, je pense que ce qui m’intéressait beaucoup, c’était surtout la progression. Dès qu’il fallait faire beaucoup beaucoup d’efforts pour une progression minime, le sport concerné m’intéressait beaucoup beaucoup moins.
J’ai donc pratiqué le foot, la natation, le tennis, le ski et la voile avant mes 18 ans, puis l’aviron et le handball pendant mes années d’étudiants, et enfin la spéléologie, le badminton et le squash pendant mes années parisiennes.
Que s’est-il passé ensuite ?
Le travail, les enfants, le confort et le poil dans la main ont fait que je suis resté sur des acquis physiques que je pensais éternels. Quelques petites alertes m’ont fait changer d’avis: une sortie spéléo dans un gouffre un peu « sportif » duquel j’ai bien cru ne jamais sortir, un essoufflement persistant à la montée des escaliers, une sainte horreur de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un effort d’endurance… J’ai donc pris la décision qu’il fallait prendre dans ce cas là: j’ai arrêté tout effort sportif… Exit donc la spéléo, les sports de raquettes, et aussi tout ce qui ressemblait à une compétition. Et pour asseoir cette décision dans la durée sans regret, rapport à l’essoufflement, j’ai pris l’ascenseur.
Dix années ont passé, heureuses et pleines d’occupations. Mon activité professionnelle m’amène à me bouger un peu, essentiellement à pousser sur les bras pour déplacer mon fauteuil à cinq roulettes. J’aime les bons repas et les bonnes bouteilles. Ce qui devait arriver donc arriva: je me suis encroûté.
Heureusement, les enfants, La Femme et les potes sont là pour me faire bouger un peu! Tout a pourtant commencé par une décision que j’ai prise tout seul, et à laquelle mes proches ne croyaient pas un instant: aller au travail tous les jours en vélo, quelque soit le temps. Je me tiens depuis plus de deux ans à cette décision, que j’explique un peu dans ce billet. J’en ai même fait ici le bilan un an après.
Ensuite, j’ai décidé de reprendre l’aviron, une fois par semaine, dans un club très éloigné de celui avec lequel j’avais découvert ce sport: je suis inscrit en loisir, ce qui n’empêche pas les ampoules.
Enfin, mes potes me poussent à travers des défis qui m’apparaissent extrêmes: les 24h du Mans vélos l’année dernière (Vue de ma selle) et cette année (Les défis des potes). Et ce week-end, le marathon de Jersey par équipe.
Si, dans cette longue introduction, vous avez zappé un élément important pour comprendre la suite du billet, je le rappelle ici: je ne suis pas un grand fan des compétitions d’endurance. Et pourtant, MES POTES M’ONT FAIT PARTICIPER A UN MARATHON CE WEEK-END !!!
Le principe du marathon par équipe est très simple: vous courez sur le même parcours que les marathoniens (42,195 km), mais en effectuant des relais. Chaque membre de l’équipe cours un bout du marathon et passe un témoin au suivant. Nous étions cinq dans l’équipe, et j’avais à courir la distance extraordinaire de 7,2 km…
C’était donc ce week-end. Samedi matin, départ pour l’île de Jersey.
Pourquoi Jersey?
Question posée au coach de notre équipe, et beau-frère par la même occasion. Réponse: « parce qu’il y a un marathon, que je n’y étais jamais allé et que les organisateurs proposent à la fois un marathon classique et un marathon par équipe idéal pour un défi des potes ».
Samedi, tourisme sur cette île magnifique, si anglaise et pourtant très française. Je vous passe les détails: paysages magnifiques, gens accueillants, histoire très riche, châteaux forts, campagne anglaise et vaches typiques.
Dimanche, nous voici sur la ligne de départ. J’encourage avec enthousiasme la première relayeuse de mon équipe (qui en plus est mon épouse…), avant d’aller prendre le bus qui m’emmène à mon point de relais: je suis 4e coureur de l’équipe.
Une fois sur place, je m’hydrate, je me concentre… et je sens monter une certaine anxiété. C’est une chose de courir pour soi, c’est autre chose de courir pour une équipe. Vais-je savoir donner le meilleur de moi-même ? Et si je pars trop vite ? Vais-je être le boulet de mon équipe ? Je regarde tous les coureurs autour de moi, et je vois beaucoup de jeunes, beaucoup de sportifs, beaucoup d’équipements, et très peu de boulet-like. D’après nos savants calculs, ma relayeuse devrait arriver vers midi pour me transmettre le témoin. Après, bah, ce sera à moi de jouer…
Midi arrive, j’ai le cœur qui bat à 100 à l’heure. Je n’ai qu’une seule envie, c’est de me mettre à courir. Les dernières minutes semblent plus longues que les autres. J’ai vu passer un bon nombre de marathoniens (la course individuelle se fait en même temps que la course par équipe, le départ des individuels se faisant simplement 1/2h avant). Je suis admiratif de l’aisance et du style de la plupart des personnes qui sont passées. Mais plus que les autres, j’admire ceux pour qui c’est dur. Je me dis que ceux qui souffrent vraiment sont plus méritant que ceux pour qui c’est « facile ». J’applaudis chaque participant.
Midi 5, ma relayeuse arrive, je suis chaud-bouillant. Elle me donne le bracelet-témoin et je m’élance. C’est à moi de donner. Les 5 premières minutes sont magnifiques, je cours sans effort, emporté par l’adrénaline. Le parcours est sinueux, avec quelques montées, quelques descentes, des virages parmi les arbres. Je rattrape quelques personnes, la plupart courant depuis plus de trois heures, mais aussi quelques relayeurs qui viennent juste de partir comme moi.
Mais très vite mon corps commence à résister. Les muscles envoient des signaux d’alarme au cerveau: « QU’EST CE QUI SE PASSE ??? ». Je cours pour une cause: la lutte contre le cancer. Mais mon corps ne le sait pas. Chaque pas, chaque mètre, chaque verge anglaise est une lutte contre une envie de s’arrêter, de se mettre à marcher. Au bout d’un quart d’heure, je suis à bout de souffle. Je suis parti trop vite. Mon cœur d’informaticien va exploser. Mes poumons, plus habitués aux rythmes des sports de ma console Wii, crient AU SECOURS. Et cette petite voix lancinante dans ma tête qui se fait de plus en plus pressante: « et si tu marchais un petit peu, juste pour reprendre des forces? ».
Une demi-heure s’est écoulée. Le soleil tape fort, je transpire beaucoup. Soudain, je comprends que de mettre un bandana pour éviter la transpiration dans les yeux n’est pas forcément une bonne idée. J’étouffe. Je suis une cocotte minute. J’enlève le bandana. Cela va un peu mieux. A chaque carrefour, un groupe de personne de l’organisation m’encourage en applaudissant et en criant « Well done ! Come on ! ». C’est fou le bien que cela peut faire. Je leur réponds en français un « Merci ! Merci beaucoup ! » qui les fait rire. J’entends parfois en retour un « bienvenue ! » ou « bonjour ! ». Le public nous encourage également. Je cours depuis 1/2h et j’ai l’impression que ça fait une éternité.
Les panneaux indicateurs sont en miles. J’ai vu passer le panneau des 17 miles. J’ai vu aussi celui des 19 miles. Des repères pour les marathoniens individuels… Mais à chaque fois, je suis incapable de répondre à la seule question qui m’intéresse: combien me reste-t-il à faire avant le prochain relais…
Une table de ravitaillement se profile. Un homme au milieu du chemin tient des bouteilles: deux bouteilles d’eau dans une main et deux bouteilles de Gatorade colorées dans l’autre. Je lui crie « orange » et il me tend un Gatorade à l’orange. Je ne savais pas que c’était a priori réservé aux marathoniens individuels. J’aime le sucre, on ne se change pas et les mauvais taux de ma dernière analyse sanguine sont le cadet de mes soucis. J’arrive encore à respirer, à boire maladroitement et à courir. Je me refuse à abandonner la bouteille au bord du chemin, malgré les centaines de cadavres déjà présents. Je trouve une poubelle adhoc quelques centaines de mètres plus loin. Je suis très fier de moi. Petite victoire sur moi-même.
La voix dans ma tête hurle de plus en plus fort: « MAIS ARRÊTE DONC DE COURIR ET MARCHE ». Une grande ligne droite me permet de voir qu’il reste encore beaucoup à courir. Mon moral baisse. La ligne droite est en fait une montée. Mon moral baisse encore. Un coureur me double comme une fusée. Mon moral baisse et je me mets à marcher. Un mètre, deux mètres, dix mètres.
Il paraît qu’au bout d’un certain temps d’efforts, le corps du coureur à pied sécrète des substances euphorisantes qui concourent au plaisir du sportif. Soit je n’arrive pas à attendre assez longtemps, soit mon bonheur habituel est tel que je suis déjà saturé d’euphorie, soit mon corps ne sait pas sécréter ce type de produit car j’ai plutôt le sentiment d’une souffrance qui augmente avec le temps d’efforts !!!
Pour moi, courir, c’est surtout courir contre soi-même. Après dix mètres de marche, j’arrive à redonner l’impulsion mentale nécessaire pour reprendre un rythme de course, quel qu’il soit. Je suis un boulet, je suis une brêle, je suis un mauvais, mais purée, ces 7,2 km, je les ferai en courant!
Je double un marcheur. Je l’entends se ressaisir et reprendre la course. Il me double. Je le redouble un peu plus loin quand il s’est remis à marcher. Le jeu se répète encore. Je regarde ma montre: cela fait 45mn que je cours au maximum de mes possibilités. L’arrivée doit être proche. J’accélère. Je suis en vrac, j’ai mal partout. Le temps s’étire. J’entends le haut parleur qui annonce aux relayeurs le numéro du coureur qui arrive. J’accélère. J’entends mon numéro. Je vois ma prochaine relayeuse. Je lui tends le bracelet. C’est fini. Je m’assois dans l’herbe et je cherche mon souffle. 7,2 km en 49 mn…
J’ai probablement été le boulet de mon équipe de filles, mais nous avons fait chacun notre premier marathon à cinq en 4h30 et notre classement général n’est pas ridicule.
Maintenant, deux jours après cette aventure, j’ai les deux jambes dures comme du bois. Le manque d’entraînement sans doute 😉
Pour moi, courir, c’est avant tout courir contre soi-même.
Félicitations, vous verrez, on s'habitue!
Un "truc" pour limiter la douleur si vous avez des marches à monter ou a descendre (imaginons qu'il n'y ait pas d'ascenseur): faites le en marche arrière. Vous aurez l'air ridicule, mais je vous juge qu'on oublie vite sa fierté quand on se rend compte qu'on peut aller à plus de 2 km/h pour monter ou descendre une marche!
Je veux bien essayer aussi… mais je crains la descente des marches ! Je sens que je vais me retrouver plus vite que prévu en bas ! ^^
C'est pas si casse-gueule que ça, c'est ce qu'on utilise pour descendre les marches lorsqu'on est chargé en bateau (avec les bouteilles de pompier par exemple).
Pour élargir la réflexion, l'histoire de The Oatmeal https://theoatmeal.com/comics/running
Merci beaucoup pour ce comic, c'est aussi drôle qu'inspirant.
félicitations ! je ne sais pas si j'aurais eu le courage mais c'est vrai que la pression devait être forte. Je pense que dés que j'aurais commencé à marcher, ça aurait été fini.
Aïe aïe aïe, ces "je coure" un peu partout, ça fait mal aux yeux !
Personnellement, la moyenne finale m'encourage plutôt à marcher, vu que je tourne à 7 km/h par ce moyen. Je dois probablement aller moins vite moi aussi en courant.
Arggg. C'est corrigé. Merci…
comme le commentaire d'anonyme ci-dessus, je ne puis que plusso-ier et vous recommander chaudement l'excellent webcomic THE OATMEAL et la très belle histoire du "pourquoi il court" (ou "I believe in the Blerch")
https://theoatmeal.com/comics/running
Au plaisir de continuer à vous lire.
Philippe
J'ai trouvé cet article extrêmement touchant. Félicitations.
Bonjour,
une petite faute s'est glissée au 5eme paragraphe: "tout les jours en vélo" –> "tous les jours en vélo".
En tout cas, Bravo!
Corrigé, merci !
Merci Zythom pour ce témoignage, mon métabolisme félin est pire que le votre sur l'endurance. Si ça vous intéresse, il y a l'essai de Murakami sur la manière dont il a, progressivement, appris à courir :
https://www.quandletigrelit.fr/haruki-murakami-autoportrait-de-lauteur-en-coureur-de-fond/
Par égard pour mes articulations, je crois que je vais en rester au stade où j'en suis…