J’ai toujours eu peur des piqures et pourtant, je suis un adepte du principe du don du sang. Il me faut donc lutter en permanence contre ma phobie et faire un effort surhumain pour aller donner mon sang.
Les étudiants de l’école d’ingénieurs où je travaille organisent régulièrement la venue d’une équipe de collecte de sang. A chaque fois, je sens une peur panique monter en moi à l’idée même de devoir me faire piquer le bras.
Cela remonte à l’époque de mon service militaire.
Nous étions tous en file indienne, les 180 appelés du régiment, pour passer la visite médicale. Pourquoi celle-ci n’était-elle pas organisée en petit groupe avec horaire de convocation, je ne le saurai jamais. Une longue file d’attente était donc en place, depuis la porte de l’infirmerie, jusque dans la cour, en passant par toute une série de couloirs dans lesquels nous attendions silencieux. L’entrée dans l’infirmerie se faisait par une porte, la sortie par une autre un peu plus loin, dans le même couloir.
J’étais dans le début de la file.
A chaque sortie d’un appelé, celui-ci remontait tout le couloir pour sortir dans la cour. Nous lui demandions ce qui se passait à l’intérieur, et surtout si ça faisait mal. Les réponses étaient variables, un peu floues, et l’inquiétude régnait dans la file.
Mon tour est vite arrivé. J’entre dans la pièce. Je salue l’infirmière d’un « bonjour madame ». Elle me répond sèchement: « On dit bonjour Capitaine, et je suis médecin ». Oups. Elle me demande de me dévêtir pour l’examen. « Heu, dévêtir comment? ». « Vous vous mettez torse nu et en sous vêtement. » « Oui Capitaine. Ai-je l’autorisation de garder mes chaussettes? ». Son regard noir m’a servi d’autorisation.
[Je vous passe l’épisode toujours embarrassant de la palpation des testicules, pour en arriver directement à la prise de sang.]
« Allongez-vous ici, et tendez votre bras en serrant le poing ».
J’obtempère en prenant la précaution de regarder attentivement un détail sur le mur opposé à mon bras. C’est d’ailleurs intéressant de constater que je n’ai absolument aucun souvenir de ce que mes yeux pouvaient bien observer, mais que je sens encore aujourd’hui l’aiguille entrer dans mon bras. Je me souviens très bien également des mots utilisés par ma Capitaine-médecin en retirant l’aiguille: « Merde, merde, merde » tout en courant à l’autre bout de la pièce chercher un énorme paquet de coton.
A ma question posée d’une voix blanche: « Heuu, qu’est-ce qu’il se passe? », elle a répondu succinctement: « Rien, j’ai juste claqué la veine ».
A ce stade du récit, je dois préciser que mes notions d’anatomie remontent au découpage d’une grenouille et au dépeçage d’une moule au lycée, et que pour moi, une veine est une sorte de tuyau dans lequel coule du sang. Une « veine claquée » est donc pour moi l’équivalent d’un tuyau d’arrosage sous pression qui vient d’éclater.
En fixant le mur de plus en plus intensément, l’image qui s’impose à mon cerveau concernant mon bras gauche est donc un petit geyser de sang qui doit éclabousser toute une partie de l’infirmerie.
Je palis légèrement.
Le médecin revient immédiatement avec un ÉNORME paquet de coton qu’elle place entièrement sur mon bras blessé, en me demandant de bien vouloir le maintenir en place avec ma main valide, tout en exerçant une pression pour arrêter le sang.
Je palis un peu plus.
Elle s’empare d’une bande et entreprend d’effectuer le plus gros bandage que j’ai jamais pu voir sur un bras en emprisonnant l’intégralité du paquet de coton. Elle me montre le flacon de sang ponctionné et étiqueté. Elle me prie de bien vouloir sortir pour laisser la place au suivant.
Je me lève et me dirige avec précaution vers la sortie.
A ce moment là, une méchante idée a germé dans mon cerveau mauvais. Et si je faisais une blague à mes compagnons d’infortune?
J’ai donc mis ma veste de survêtement sur l’épaule, ouvert la bouche et essayé d’avoir la tête la plus livide possible (ce qui était relativement facile).
Je suis sorti dans le couloir.
Un grand silence s’est aussitôt fait.
J’ai remonté doucement la file d’attente.
A chaque question « qu’est-ce qui s’est passé? », je répondais « ha la vache, y m’ont pas raté! », en tenant mon bras bandé comme s’il était cassé.
Je ne sais pas si c’était les vapeurs d’éther dans le couloir ou le temps d’attente débout excessivement long, mais je sais que plusieurs appelés sont tombés dans les pommes après mon passage.
Le lendemain, je soulevais doucement l’emplâtre de coton, et miracle de la cicatrisation, seul restait de l’explosion veineuse un petit bleu.
De cette expérience, j’ai attiré beaucoup d’estime et de respect de mes camarades.
Et une peur bleue des piqures.
C’est pour cela que je dois me forcer pour aller donner mon sang.
Parce que je risque de tomber dans les pommes devant les étudiants.
Mais surtout parce que c’est nécessaire.
——————————–
PS: Lorsque j’ai pu jeter un coup d’œil à mon dossier militaire, j’ai pu y lire « flacon de prise de sang égaré ». Tout ça pour ça…
L'occasion était trop belle, je crois que pas grand-monde louperait une farce pareille !
Vous avez réussi à voir votre dossier médical militaire ??? Alors là bravo ! Respect… Et pour le don du sang aussi d'ailleurs 🙂
Nous on étaient plutôt pressés de donner du sang.
En effet outre rhin on est payé pour ça.
Moi aussi j’aime pas les aiguilles et donner mon sang je suis partant.
Lors de mes classes je l'aurais volontiers donne mais je devais vraiment avoir une sale tete et la toubib n’a pas voulu faire le prelevement mais elle m’a donne le ticket permettant aux donneurs de se restaurer… j’ai juste pris un sandwich, j’avais l’impression d’abuser.
La seule piqure qui ne m’a pas fait mal c’est a une infirmiere sud coreenne que je la doit. J’ai demande a l’amie coreenne (qui m’acompagnait comme traductrice) de la feliciter et de la remercier pour cela. L’infirmiere lui a repondu qu’elle avait sentie mon inquietude et avait agit en consequence. Mais impossible de me souvenir de ce qu’elle avait bien pu faire !!