Une histoire simple et banale – Conclusion

Ce billet est la suite de celui-ci.

Cette série de billets commence avec celui-ci.

Ce billet conclut cette petite série que j’ai pris plaisir à écrire. Il y avait longtemps que je souhaitais vous raconter un peu plus en détail le déroulement complet d’une expertise, comme si vous y étiez.

Les leçons que j’ai essayées de vous faire tirer de cette série de billets sont les suivantes:

– l’expert ne doit donner son avis que sur les questions qui lui sont posées. Dans certains cas, les magistrats élargissent un peu le périmètre avec des missions plus générales, ce qui était le cas ici avec “donner tout élément utile à la manifestation de la vérité”. Il est toutefois délicat de donner un avis basé “simplement” sur une expérience personnelle, qu’il est difficile de justifier scientifiquement.

– en choisissant une histoire où un “gros” essaye de faire payer un “petit”, qui en plus est son client, j’ai essayé de vous montrer que les sentiments personnels, les opinions politiques ou une certaine vision du monde, n’ont pas leur place lorsqu’un magistrat vous demande votre avis. Vous devez lui fournir tous les éléments techniques à votre disposition pour l’éclairer. C’est lui le juge, pas vous. Et c’est souvent difficile. C’est d’ailleurs à mon avis l’un des rôles les plus importants des avocats lors de l’expertise: s’assurer que l’expert donne un avis objectif et technique sans sortir de son rôle.

– le savoir faire réellement technique n’est en fait qu’une petite partie de l’expertise. Ce n’est pas pour rien que j’ai intitulé cette série “une histoire simple et banale”: simple car la partie technique est facilement accessible (une base de données), et banale car on est loin de l’ambiance technophile des experts judiciaires de l’univers cinématographique ou télévisuel. La plupart des actions entreprises par l’expert judiciaire sont affligeantes de banalités. Un expert judiciaire, ce n’est pas un super spécialiste hyper pointu en sécurité des systèmes d’informations, c’est un ultra généraliste (en informatique) qui a en général beaucoup d’heures de vol. Cela explique parfois les reproches qui me sont remontés sur des confrères du genre “mais cet expert est nul, il ne sait même pas faire une injection SQL!!” (mes contacts sont suffisamment gentils pour ne pas me faire ce type de reproches directement ;-). C’est souvent une question de confrontation de générations. J’ai personnellement rarement vu (mais cela existe) un jeune informaticien qui soit un excellent généraliste, alors que j’en ai vu beaucoup qui soient de super bons spécialistes.

– les avocats ne sont pas des adversaires. Il faut comprendre leur métier, leur rôle de conseil auprès de leur client et écouter les remarques qu’ils ont à faire. Il faut bien sur rester sur le terrain technique, votre domaine, mais se laisser un peu emmener sur le terrain juridique, surtout s’ils sont de bons guides. Il faut les laisser faire leur travail, et en général ils vous laisseront faire le votre. C’est vrai que l’expert judiciaire est un peu seul face aux parties. Je rêve d’ailleurs d’un système où l’expert serait assisté d’un avocat. C’est, par chance, mon cas… Je dois dire que c’est surtout parce que c’est aussi faire le constat que la justice française ne dispose pas de moyens suffisants pour remplir sa mission. Bien sur, tant que vous n’êtes pas concernés, vous vous en fichez un peu, mais le jour où vous y aurez à faire… Néanmoins, en tant que citoyen, je serais prêt à travailler gratuitement pour la justice, si par contre l’Etat me donne accès aux outils logiciels adaptés aux missions que la justice me confie.

Alors certains vont me demander la décision finale du tribunal dans l’affaire éditeur de ERP/PGI c/ ARRAKIS et CORRINO. Je sens que je vais les décevoir, car la mission de l’expert judiciaire s’arrête lorsqu’il dépose son avis sous forme de rapport. Il n’est pas tenu au courant des suites données à l’affaire. Je crois savoir que parfois cela vaut mieux pour lui car les avocats ne sont pas nécessairement tendres avec un rapport qui leur est défavorable… Bien sur, il est possible de contacter le greffe au bout d’un certain temps pour savoir si l’affaire est terminée et savoir quelles ont été les décisions prises. J’aimerais toujours connaître l’avis du magistrat qui a lu mon rapport, savoir s’il l’a trouvé clair, et en discuter avec lui. Mais le système ne fonctionne pas comme cela. C’est parfois dommage, et toujours un peu frustrant. J’espère partager ici un peu de ma frustration 😉

J’aime pourtant à croire que le “gros” éditeur de ERP/PGI s’est fait débouter de toutes ses demandes, que les sociétés CORRINO et ARRAKIS continuent de travailler en bonne intelligence et que M. Leto conserve une sauvegarde sans limite de temps avant et après chaque migration importante.

8 réflexions sur « Une histoire simple et banale – Conclusion »

  1. A ben flute alors …

    Pas de fin Hollywoodienne, avec le tribunal qui explose pour faire disparaitre les preuves de la méchante grosse entreprise vilaine qui voulait prendre de l'argent à la gentille société qui n'avait rien demandé à personne et qui faisait sont travail honnêtement dans son coin, à la sueur du front de son patron, homme dur mais juste, à l'écoute de ses salariés ?

    Dommage.

  2. Avec un tribunal qui explose en flamme, derrière un expert qui marcherait face caméra, au ralenti ?
    Encore plus dommage? !

  3. En tout cas très intéressant à lire comme "série".

    Je suis curieux de savoir combien de temps cette affaire vous a occupée.

    PS : il n'est plus possible d'utiliser le compte google pour s'identifier sans avoir à créer un compte blogger. Je n'aime pas que google me force la main, je resterais anonyme.

  4. Bon, maintenant que cette affaire est terminée, on peut dire que vous n'êtes plus concerné en tant qu'expert.

    Bref, vous pouvez donc nous donner votre avis en tant qu'informaticien !

    Alors, d'après vous, d'après votre intime conviction, que c'est-il passé, qui c'est le coupable ?…

  5. @Anonyme: Mon avis d'informaticien ne vaut rien, car vous me demandez de juger, de décider de la culpabilité, ce qui m'est complètement étranger.

    La fonction de magistrat est certainement une des plus délicates qui soient.

    Plus en tout cas que toutes les intimes convictions que je peux avoir du fond de mon fauteuil confortable d'informaticien.

  6. Ralala, ces experts, veulent jamais se mouiller !

    C'est fini Zythom, pour cette affaire vous n'avez plus la casquette "expert".

    Ma question, c'est un peu comme si je m'adressais à un garagiste qui a encore les mains pleines de cambouie et du noir sur le nez, en lui demandant :
    "alors chef, c'est quoi le problème d'après vous ?… la durite qu'a pété, le gasoil qu'est pourri ou l'informatique embarquée qu'à un bug ?

  7. Ahhh que de souvenirs. Nous on était dans un camion et ils ont lâché les gaz sans prévenir, sur la route. Ce n'était pas du gaz lacrymogène mais un truc pas sympa. Panique totale, les lanières qui s'accrochaient, les mecs qui toussaient, les yeux,la gorge. Il fallait rester serein mais effectivement, il y en a qui ne peuvent pas retenir leur souffle. Nous aussi on aurait eu plein de morts. Des souvenirs de l'armée, on en a plein, et des très drôle comme cet adjudant qui s'évertuait à faire défiler au pas des types sélectionnés car justement ils n'arrivaient pas. Je n'ai jamais tant ri. Merci de ce petit intermède.

  8. @Anonyme: Je ne pense pas qu'il vous répondra, et c'est exactement le meme type de réponse que vous donnera par example un manipulateur radio voire meme un radioloque : on l'appelle pour une tache précise et il n'a pas à donner de conclusion sur un ensemble.

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