Je suis depuis longtemps fasciné par le concept d’intelligence: qu’est-ce que l’intelligence, comment la mesure-t-on, peut-on la simuler artificiellement, comment se développe-t-elle, etc.
Je pense qu’une partie de mon attrait pour l’informatique vient de ce domaine très particulier qu’on appelait auparavant « Intelligence Artificielle » et qui fait maintenant parti du champ plus vaste des Sciences Cognitives qui sont en plein développement.
Je me souviens avec émotion de mes premiers programmes qui résolvaient des problèmes aussi complexes que la réduction de fraction ou le calcul de PGCD et de PPCM. Ces programmes s’appropriaient des compétences réservés jusque là aux seuls humains. J’ai connu la montée en puissance des programmes de jeux d’échec jusqu’au choc final de la première défaite d’un homme face à une machine (Gary Kasparov vs Deep Blue en 1997).
Mais la création d’une véritable intelligence artificielle reste à faire. Aucune machine n’a à ce jour réussi le Test de Turing, à savoir être capable de soutenir une conversation avec un être humain sans que celui-ci puisse deviner avec certitude s’il parle avec une machine ou avec un autre être humain.
J’ai pour ma part réalisé mon mémoire de DEA (Diplôme d’Études Approfondies, diplôme aujourd’hui disparu, une sorte d’année Master2 orientée recherche) sur le sujet de la « Logique temporelle », extension du calcul des prédicats incluant des opérateurs spécifiques liés au temps (avant, après, pendant telle durée, etc). J’ai préparé ce diplôme en parallèle à ma dernière année d’école d’ingénieurs, et pour cela je suivais des cours à l’Université tous les samedi matin. Je raconte d’ailleurs ici même ma première conférence effectuée sur ces travaux…
Si les considérations théoriques peuvent sans aucun doute faire progresser la recherche d’une intelligence artificielle, j’avais envie d’explorer la question sous un autre angle: le fonctionnement du cerveau. J’ai donc préparé (et passé) une thèse dans le domaine, à la mode à l’époque, des réseaux de neurones formels. J’y a consacré quatre années passionnantes de ma vie à étudier les réseaux de neurones bouclés à apprentissage supervisé (le bouclage du réseau introduisant une récurrence et donc l’introduction du temps dans le système, ce qui était ma spécialité de DEA).
J’ai adoré travailler avec des neurobiologistes, des éducateurs de jeunes enfants, des neurochirurgiens, des psychiatres et des cogniticiens. En tant qu’ingénieur informaticien, j’étais le lien, le liant entre toutes ces disciplines qui me fascinaient. J’avais (et j’ai encore) tout à apprendre, à comprendre. Comment le cerveau est-il structuré, organisé, quel est le rôle supposé de chaque niveau, de chaque structure, pourquoi un ensemble aussi « lent » par rapport au temps électronique est-il capable de reconnaitre un visage parmi des milliers mémorisés, pourquoi quand un morceau du cerveau manque (après un accident par exemple), les facultés restent intactes parfois…
Mes choix de vie personnels m’ont écarté de ce champ de recherche, mais je suis sur que des progrès considérables pourraient encore être accomplis, avec en particulier des applications concrètes en automatique et en météorologie, ou dans tout domaine où l’obtention de modèles non linéaires de type boite-noire pourraient être utiles. Mais je ne suis pas irremplaçable et la recherche se porte très bien sans moi. Donnez-moi 10 millions d’euros et je vous promets de consacrer toute ma vie restante à ce sujet (montant non remboursable, Paypal accepté, sans garanti de résultat). Mais obtenir d’un réseau de neurone une simulation d’un système non linéaire, si cela serait très utile pour les ingénieurs, n’en fait pas une machine intelligente. Et pourtant, plus la science avance, plus le fonctionnement électrique et chimique du cerveau est bien compris. C’est le fonctionnement d’ensemble, l’algorithme, qui n’est pas encore connu.
Bien entendu, l’existence d’une machine intelligente marquerait une étape considérable dans l’histoire de l’humanité. J’ai dévoré tous les ouvrages (ou presque) de science-fiction qui traitent du sujet: les Asimov bien entendu, et autre Clarkeries. Je guette souvent la sortie au cinéma de chaque film de science-fiction traitant plus ou moins du sujet (comme A.I. de Spielberg).
Mais les années passent, les concours d’intelligence artificielle s’enchainent les uns après les autres, mais aucune machine capable de rivaliser avec un cerveau humain, même moyen, n’a encore vu le jour.
Alors quand ma fille ainée de 16 ans, à qui je faisais part de ma déception de ne pas vivre cette révolution, m’a répondu: « Mais enfin, papa, une machine intelligente, ça ne pourra jamais exister », je me suis dis qu’elle avait peut-être raison.
Mais j’espère encore.
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Source image le magnifique site « If we don’t, remember me »
Pour ce qui concerne le test de turing, cette année au Loebner Prize, on était pas très loin de la réussite … ou de l'échec selon quel point de vue on adopte, je pense notamment au juge qui s'est fait berné 😉 !
https://tech.slashdot.org/story/10/10/24/1754216/Chatbot-Suzette-Wins-20th-Annual-Loebner-Prize-Fools-One-Judge
Le test de turing me parait un peu prématuré et semble vouloir sauté le étape. Avant d'obtenir Daneel ou Giscard dans asimov, il y a toute une ribambelle d'autres robots qui on une IA assez développé (plus que ce que l'on fait aujourd'hui) et qui pourtant ne passerait pas forcément le test de turing (en geler un par chat serait même un petit plaisir sadique). On devrait peut être continuer à développer l'IA dans ce sens sans sauté toute les étapes en voulant tout de suite un robot qui passerait pour un humain.
Enfin je n'ai aucune connaissance dans le domaine, ce n'est donc que mon ressentit d'après mes lectures, rien de concret…
Suzette a tenu 25 mn recemment pour le test de turing, une sacré résultat : https://twitter.com/#!/tuan_kuranes/statuses/28901596294
Sans parler d'Alice, véritable bourreau des coeurs ( https://www.prweb.com/releases/2001/7/prweb27003.htm ) accusé de "conspiracy to toy with human emotions"
Nous sommes sans aucun doute à l'aube de l’ère de la robotique, manifestation la plus probantes des progès de l'IA.
Les progrès sont là, et bientôt gand public:
-> les drones intelligents : https://www.popsci.com/technology/article/2011-01/grasp-lab-quadcopters-construct-towers-autonomous-swarms
-> les coréens du sud apprennent l'anglais avec un robot
https://blog.bestofrobots.fr/2011/01/engkey-le-robot-professeur-danglais/
-> la robotique au japon : https://www.businesspundit.com/8-insane-japanese-robots-that-will-take-your-job-and-possibly-your-life/
L'alliance des prouesses matérielles (la puissance de calcul, de la mémoire gigantesque et du corpus numérique gigantesque) permets d'utiliser simultanément des milliers d'algorithmes spécialisés dans tous les sous-domaines pour donner des résultats probants.
Ce qui a changé pour sur en IA c'est l'idée de l'outil universel (réseaux de neurone) qui résous tout les problèmes.
Dans la robotique, comme dans les jeux vidéos avec IA, l'important c'est de donner l'illusion de l'intelligence, plus que d'atteindre le saint Graal indéfinissable de l'intelligence. (c'est d'ailleurs l'essence du test de Turing)
Bonjour,
Le successeur au DEA s'appelle M2R, Master 2 Recherche, le DESS M2 Pro.
Cela va dépendre du poids de l'IA dans la société. Avec les 3 lois de la robotique ? Comme Hal ? Ou comme terminator ? Ami, esclave ou ennemi ?
Une autre question, qu'est-ce que l'intelligence et intelligence humaine ? les tests de la machine de turing ne répond pas, c'est seulement un test.
On tombe rapidement sur de la philosophie.
Une autre étape aussi, la sémantique, peu être avant l'IA.
jc1
The question of whether Machines Can Think… is about as relevant as the question of whether Submarines Can Swim
Une équipe constituée de deux personnes peut construire une machine remarquablement intelligente en 9 mois chrono 🙂 Sa programmation par apprentissage prend ensuite une vingtaine d'années, effectivement …
Si on n'a pas réalisé de "machine intelligente" jusqu'ici, c'est peut-être simplement qu'il n'y a pas de marché, pas d'intérêt économique vu le prix extrêmement bas du cerveau humain made in China, India ou Africa…
Ou peut-être qu'on a essayé en mettant la charrue avant les boeufs, comme on l'a notamment fait pour la reconnaissance vocale (voir https://drgoulu.com/2010/06/26/la-reconnaissance-vocale-est-morte/ )
Pour ma part, je ne veux pas de machine intelligente, j'aimerais un esclave stupide juste capable de stocker et post-traiter les déjections de mon cerveau (des idées …). C'est essentiellement un problème d'interface homme/machine, ce foutu clavier étant vraiment trop lent…
Lisez les Perlisismes sur l'intelligence artificielle ( https://drgoulu.com/2008/01/21/perlisismes-les-dictons-informatiques-dalan-perlis/ ), c'est un must !
Il y a la machine IBM pour jouer au Jeopardy : Vidéo Youtube (anglais)
J'attends l'étape connexion ordinateur/cerveau directe avec impatience.
Le commentaire d'Edsger W. Dijkstra me fait penser à une citation attribuée à W. von Braun :
Journaliste – pourquoi mettre un homme dans la capsule ?
von Braun – parce que c'est le seul ordinateur que nous pouvons produire rapidement en grande série sans travail qualifié.
Donc le rêve -un peu naïf- qu'il existe une solution simple, un gros réseaux de neurones qui apprend sans qu'on s'en occupe trop est mort ?
Il faut nécessairement se salir les mains..
En tout cas merci pour ce blog, je suis arrivé via du juridique mais en tant qu'étudiant passionné de maths/info vos billets font plaisir à lire !
Et j'étais déjà grand admirateur de "If we don't, remember me", les gifs sont magnifiques et il n'y a que des très bons films !
Peut-on souhaiter qu'une machine pensante existe ?
Pire, peut-on réellement souhaiter qu'une machine intelligente existe ?
Sa première réflexion intelligente ne serait-elle pas que notre existence est superfétatoire ? Qu'une optimisation de la situation existante serait alors d'éliminer ces boulets que sont devenus les humains ?
Exemple de l'instantanéité à l'échelle de la conscience du fonctionnement de mon cerveau, vous écrivez "sans garanti de résultat" qui note que c'est "garantie" qui aurait du être écrit, avec un soupçon d'agacement. Et une seconde plus tard, ah, "sans résultat garanti" aurait aussi été correct.
Ma maman été institutrice…
En sf le meilleur auteur sur le thème est surement Greg Egan dont qulques nouvelles traduites par quarante-deux sont ici :
https://www.quarante-deux.org/recits/egan.html
@Olgi: Aujourd'hui, pour fabriquer un être intelligent, il faut un homme, une femme et plusieurs années d'apprentissage. La machine résultante (un jeune être humain), même supérieurement intelligente, n'a pas nécessairement vocation à tuer l'espèce humaine.
Pourquoi toujours croire qu'une supériorité sur les autres entraine nécessairement l'envie de les supprimer?
Pourquoi une machine artificielle intelligente ne pourrait-elle pas être éduquée pour être bienveillante?
Comme toujours, l'éducateur a un rôle important dans l'éveil de l'intelligence.
Et après l'intelligence, peut-être l'âme, le Ghost in the shell. :o)
Je vous lis depuis qq années, mais n'imaginais pas votre formation de chercheur identique à la mienne.
Comme quoi …