Les gens sont méchants.
Un de mes amis proches dont le nom commence par Z tient un blog et s’attire parfois les foudres d’un internaute mécontent. Les foudres en question consistent en générale en un envoi d’emails rageurs et insultants, dont le niveau d’intelligence égale le niveau de bonne foi.
Ce blogueur a parfois la tentation de jouer un bon tour: publier un des emails croustillants sur son blog et faire une bonne contre publicité à son interlocuteur…
Question à deux euros: ce blogueur est-il en faute? Peut-il impunément publier un email sous prétexte qu’il lui était adressé nommément et personnellement?
Je ne suis pas juriste, ma réponse ne vaut donc pas grand chose et mon meilleur conseil est de consulter une avocate (ou un avocat, je ne suis pas sexiste).
Bon, avant d’ennuyer une femme (ou un homme) de Loi, cherchons un peu dans les codes:
article 226-15 du Code Pénal (l’augmentation de graisse est de moi)
Le fait, commis de mauvaise foi, d’ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d’en prendre frauduleusement connaissance, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende.
« Adressées à des tiers »: donc cela ne s’applique pas quand vous êtes destinataire du message. La suite du même article:
Est puni des mêmes peines le fait, commis de mauvaise foi, d’intercepter, de détourner, d’utiliser ou de divulguer des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications ou de procéder à l’installation d’appareils conçus pour réaliser de telles interceptions.
« De divulguer des correspondances reçues par la voie des télécommunications »: Bingo, sauf erreur de ma part, on ne peut donc pas, sans l’accord express de l’expéditeur, publier un email dans un blog, même s’il vous est destiné.
Finalement, cela ressemble fort à du bon sens: un petit con vous écrit, vous publiez son texte pour le ridiculiser, fort de votre grande audience. Mais la loi protège toujours le petit…
Qui c’est qui aura l’air con pendant le procès ? La question reste ouverte.
Après tout, il n’y a en jeu qu’une Citroen C6 Lignage avec quelques options à 45000 euros.
Mais les gens sont vraiment méchants.
Ajout:
Merci à mes lecteurs de lire ce commentaire très instructif dont Me EOLAS me fait l’honneur, mais aussi ce billet de François sur blog-droit.over-blog.com.
Ajout complémentaire:
Puis-je mettre sur mon site ou sur mon blog un courrier que j’ai reçu ?
Et n’oubliez pas: si c’est sur internet, c’est que c’est vrai:)
PS: Après avoir discuté avec mon avocate favorite, il semble qu’elle soit d’accord avec Eolas et que l’article 226-15 du Code Pénal ne s’applique pas ici.
De plus, s’il n’y a pas d’article interdisant de publier par le destinataire une correspondance privée sans demander l’autorisation à l’expéditeur, c’est donc que c’est possible!
Exemple: dans un divorce, Madame verse au dossier un courrier que Monsieur lui a envoyé et dans lequel il avoue sa faute. Il n’y a pas violation du secret des correspondances privées.
Gare à ceux qui vont m’écrire des emails vengeurs et insultants !
Reste à vérifier qu’ils ne se cachent pas derrière une identité d’emprunt pour lui nuire et me brouiller avec elle! Mais cela, c’est une autre histoire…
Bonjour, merci pour votre information, en consultant un blog il y a deux trois jours qui publiait un mail (un mail sympathique), je m’étais justement dit que je n’aimerais pas qu’on publie un mail que j’envoie…Merci, bonne journée à vous 🙂
Hé non, Monsieur l’expert. La publication d’un e mail qui vous est destiné ne tombe pas sous le coup de la loi pénale. Le législateur n’a pas jugé utile de rajouter la précision « destinée à des tiers » figurant au premier alinéa du fait de la dématérialisation de la communication électronique, qui, contrairement aux correspondances traditionnelles, ne transitent pas par les mains de tiers.
Illustration tirée d’un arrêt de la cour d’appel de Paris : relaxe d’un avocat ayant produit dans une instance prud’homale (ce qui est une divulgation) de correspondances destinée à son ancienne salariée, qui utilisait l’adresse e mail de son employeur (il faut être bête).
Motif : Les messages dont le contenu a été divulgué ont en effet été reçus sur la messagerie personnelle de l’employeur de la partie-civile, cette dernière ayant utilisé l’adresse électronique de son employeur à son insu pour envoyer des messages. Elle ne pouvait ignorer que ce faisant, elle s’exposait à ce que celui-ci lise sa correspondance.
CA Paris, 11e ch.B., 5 mai 2004.
Juris-Data : 2004-247684
Mais si vous ne publiez pas l’adresse de l’auteur, ça change tout, non?
Oui, mais c’est moins drôle, non ?
@Eolas: j’ai modifié la fin de mon billet pour faire un renvoi vers votre commentaire, et ajouter une de mes sources vers laquelle je vous renvoie également.
Dans le cas que vous citez, le fait que l’adresse email est professionnelle était primordial, ce qui n’est pas mon propos ici.
De plus, il est possible pour un tiers d’avoir accès à des emails à l’insu du destinataire, y compris dans le cas d’une adresse email non professionnelle. Il y a les cas d’écoute « légale », mais aussi tout simplement les administrateurs des domaines concernés (qui peuvent dénoncer des crimes s’ils en prennent connaissance lors d’opérations de « maintenance »).
Mais mon propos ne se centrait pas sur les tiers, mais sur la possibilité de se « venger » d’une personne en étalant son message aux yeux de tous.
Il me semble bien que cette « vengeance », stupide j’en conviens – mais parfois si tentante – n’est pas autorisée par le législateur.
Et c’est tant mieux.
Je ne comprends pas la position de Maître Eolas et de votre avocate favorite.
Pourquoi l’article du code pénal ne s’appliquerait-il pas ici ?
Que manque-t-il pour qu’il s’applique ? La mauvaise foi ?
Les avis sont quand même contradictoires entre les sites que vous citez (droitdunet, etc) et votre avocate favorite/Maître Eolas…
C’est pour cela qu’il faut faire des études de droit, ou payer quelqu’un qui le connait bien.
A mon avis, les avocats sont mieux placés que les sites que je cite…
Mais dans mon cas, abstention…