L’interrogatoire

Ce billet est le 3e d’une histoire qui commence avec ce billet.

Le jour J arrive. Stressé et angoissé, j’arrive 4 heures avant le rendez-vous. Je trouve mon chemin, je repère les lieux, je tourne en rond dans la ville.

Je discute avec mon avocat qui essaye de me détendre.

L’heure H arrive enfin. Je frappe à la porte du bureau du magistrat. A la Cour d’Appel, on l’appelle un conseiller. Mon avocat m’accompagne. Dès la porte du bureau ouverte, il demande au conseiller l’autorisation d’assister à mon audition. Le conseiller refuse poliment, expliquant que les textes ne prévoient pas la présence d’un avocat. Mon avocat m’avait prévenu. Me voici seul.

Le bureau est une jolie pièce avec plafond en voute. Deux personnes m’attendent: le conseiller et son greffier. Je m’assoie sur une chaise et me sens coupable. Mais je ne sais pas pourquoi.

Bonjour Monsieur, J’ai été saisi par le chef de Cour dans la mesure où vous tenez un blog et que l’on s’interroge pour savoir si vous considérez que ce blog est compatible avec l’obligation de réserve à laquelle vous avez prêtée serment.

Patatras.

Le ton est froid, professionnel. Sur ma chaise, je maîtrise avec peine mon stress.

Pendant une demi heure, sur un ton très courtois mais ferme, je suis interrogé sur mon blog, principalement sur ce billet. J’essaye d’expliquer mes motivations. Mon cerveau fonctionne à plein régime, mais ma voix trahit mon stress. C’est le premier interrogatoire auquel j’assiste, et c’est moi l’accusé.

Curieusement, ma voix légèrement chevrotante me fait penser à cette voix de vieillard dont j’ai déjà parlé dans cette anecdote. Seulement cette fois, le stress est resté jusqu’au bout tellement j’étais impressionné.

Le magistrat est parfaitement correct dans son rôle de neutralité absolue: froid sans être glacial, sans sourire mais sans sècheresse. Des questions courtes, factuelles. Je réponds (enfin j’essaye de construire une réponse intelligente). Le greffier prend des notes avec rapidité. Le magistrat prend le temps de répéter ses questions, et de reformuler mes réponses, sans en trahir le sens, pendant que j’écoute en silence.

Ce qui m’a surpris le plus, malgré mon stress, c’est que le greffier n’utilisait pas d’ordinateur, mais une simple feuille et un stylo. Lorsque je lui ferai remarquer, il m’expliquera qu’il est plus à l’aise comme cela, avec le sourire désabusé que je connais pour le voir souvent sur les personnes plutôt réfractaires à l’informatique. Je ne lui donne pas tort, d’autant que son écriture est fine et plutôt lisible. Les phrases sont complètes, les mots aussi. Il n’y a pas d’abréviation, ni de faute d’orthographe.

Dernière question du conseiller: « Avez-vous quelque chose à ajouter? »

Réponse instantanée: « Oui… mais… j’ai mille choses à ajouter! »

Puis je réfléchis en silence.

Le conseiller laisse ce silence s’installer.

Je regarde ce professionnel et comprend qu’il ne laissera transpirer aucun sentiment, aguerri qu’il est à ce type de situation.

Mais je lui sais gré de me laisser le temps de la réflexion, de ne pas me brusquer.

Je présente en quelques phrases le fait que je mets mes compétences au service de la Justice et que ce blog me permet de faire un retour d’expérience, avec des affaires transposées, déformées et méconnaissables, sous le couvert d’un pseudonyme, afin de partager ces expériences avec d’autres, professionnels du droit, experts confirmés, experts en devenir ou simples citoyens. Ce n’est pas incompatible à mon sens avec une obligation de réserve.

Mon anonymat n’est pas celui du dénonciateur anonyme.

Je sens que la messe est dite. Inutile de me ridiculiser. Je me sens déjà assez humilié.

Le conseiller me demande de relire le procès verbal du greffier. Je déchiffre son écriture étroite en me demandant pourquoi il n’a pas utilisé l’ordinateur. Le compte rendu est fidèle à l’esprit de mes propos. Je signe malgré l’absence de mon avocat.

Pourquoi avoir refusé la présence de mon avocat? Certes, sa présence n’était pas obligatoire, mais le magistrat aurait pu accepter sa présence. Car si son travail m’a semblé remarquable, je suis sur que l’avocat aurait du en être le témoin, en complément du greffier.

Je demande s’il m’est possible d’avoir accès au dossier, pour savoir qui a entamé cette procédure contre moi. Le conseiller m’indique qu’à ce stade de la procédure, ce n’est pas possible.

Le silence s’installe.

Le conseiller m’informe que l’audition est terminée.

Il ne me dit pas si je serais informé des suites, ni quand.

Je dois reconnaître que j’ai oublié de poser la question.

Mon avocat me ramasse à la sortie à la petite cuillère.

L’attente cruelle commence.

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Remarques:

– J’ai écris ce billet le lendemain de l’audition. Le soir même, j’étais trop fatigué. Et l’expérience m’a appris qu’il n’était jamais bon de réagir à chaud: un peu de recul ne nuit jamais à la réflexion. Je publie aujourd’hui ce billet sans retouche particulière. Sauf les présentes remarques.

– J’ai un rapport à l’autorité très respectueux. Les magistrats, la police, les gendarmes, les militaires et les politiques m’impressionnent beaucoup. Ils portent beaucoup de responsabilités et de pouvoirs sur les épaules, sans attirer la sympathie et la reconnaissance qui leur sont dues. Les voir travailler de près reste pour moi une source permanente d’étonnement, même quand je suis moi-même au cœur de leurs préoccupations.

– En venant avec mon avocat, malgré les avertissements de celui-ci, je pensais réellement que le magistrat accepterait sa présence, puisqu’il avait le choix. J’en veux beaucoup aux lois françaises (votées par les députés) de ne pas imposer la présence d’un avocat dès qu’un citoyen le souhaite. J’ai sans doute abusé un peu des séries américaines, mais les Etats-Unis ne peuvent pas se tromper sur tout…

– Il faut beaucoup, beaucoup de détachements pour relativiser sa propre affaire, se dire qu’il y a des cas beaucoup plus graves, des affaires où des vies sont en jeu, etc. Je me suis rendu compte que je n’en suis pas capable: cette affaire m’a rongé et m’a inquiété pendant des mois. J’y reviendrai.

Billet suivant: La lettre du procureur.

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Photo: détail du fronton du palais de Justice de Boulogne sur Mer (rien à voir avec moi… ou pas:).

7 réflexions sur « L’interrogatoire »

  1. Ça fait un moment que je lis votre blog, avec énormément d’intérêt. Je ne suis pas juriste, je n’ai aucun moyen de dire si, sur le plan légal, ce blog pose ou non un problème.

    Sur le plan de sa légitimité, en revanche, c’est une source d’information très appréciable, de grande qualité, et qui (de mon point de vue) n’entame en rien votre obligation de réserve, étant données les précautions prises pour qu’on ne puisse reconnaître ni les affaires, ni les personnes.

    Ce n’est pas grand chose, mais vous avez tout mon soutien, et sans doute celui de vos nombreux lecteurs. J’avoue avoir été stupéfait ce matin à la lecture de ce billet, et je ne sais pas trop que vous dire de plus. Courage.

  2. Bon, le maintien en ligne du billet mentionné semble indiquer que votre position a convaincu in fine… Cela supprime certes un peu du suspense, mais on ne s’en plaindra pas pour autant ! Merci encore de cette série de billets for intéressante.

  3. Quelle situation horrible, j’admire la résistance dont vous avez fait preuve.

    Depuis que je lis votre blog, j’envisage régulièrement la possibilité de faire profiter de mes connaissances techniques l’institution judiciaire.

    Mais avec ce billet, c’est terminé. Car j’ai peur de l’autorité et de toutes ses formes d’abus. Je sais comment une vie peut être détruite sur un malentendu avec un homme à qui un peu de pouvoir a été confié. Je traverse les rues dans les clous pour éviter d’avoir affaire à la police et j’ai des maux d’estomac rien qu’à lire ce qui vous est arrivé, et malgré l’issue heureuse qu’on devine.

    Je continuerai à le lire votre blog avec au moins autant de passion, je voulais juste vous faire part du changement dont je viens de prendre conscience 🙂

    Jerome.

  4. Lecteur assidu de votre blog, je suis passé d’anonyme à LEPERE.

    Je suis à la fois admiratif de votre courage face a cet évènement, et aussi dubitatif quant à cette société dans laquelle nous évoluons.

    Bref ! pour faire simple, je pense que le soutien que vous apportent vos lecteurs doit contribuer à vous conforter dans l’idée que vous avez raison de tenir ce blog.
    Aussi pour ma part, je continuerai à vous lire avec assiduité et avec grand plaisir.

    Courage, tenez bon Zythom ! vos lecteurs se languissent de vous lire.
    Thierry.

  5. Ma question est sans doute un peu sotte et naïve mais est-il possible qu’un expert judiciaire soit désigné pour faire le point sur les griefs dont vous faites l’objet ?
    D’ailleurs, si c’était le cas ce serait sans doute un expert en informatique : un comble et une situation somme toute ubuesque !

    Malgré tout, le bon côté des choses si je puis dire, c’est qu’on découvre vos réelles qualités d’écrivain et votre talent pour faire passer les émotions au travers de vos billets.

    Faites-moi savoir dès que vous aurez écrit vos mémoires ; je serais l’un de vos premiers et plus fidèles lecteurs.

    « Zythom, les mémoires d’un expert »… : je suis sûr que ce sera un best-seller !

    ps :Je vous réserve d’ors et déjà un exemplaire, non 10, pour les offrir (j’ai plusieurs proches dans le milieu judiciaire et dans l’expertise).

  6. Bonjour,
    Tout mon soutien. Peut-être vos confrères ont eu peur que cette publication vous permette d’augmenter votre notoriété et par là être plus nommé ou contacté pour des missions privées. Je suis moi aussi en butte avec mes collègues parce que j’accepte soit disant trop de mission de conseil privé (à peu près 5 par ans). Je ne vois pas pour ma part ce qui est contraire à la déontologie dans ce que vous faites et que je lis régulièrement. Il me semble au contraire que communiquer est nécessaire pour une meilleure compréhension de la justice par les citoyens et que cela rejoint particulièrement votre serment étant une contribution à la justice au sens général. Je ne tiens pas de blog, mais je comprends très bien que l’on puisse par ce biais essayer de casser l’isolement dans lequel nous confine notre rôle (encore plus en instruction que vous semblez pratiquer beaucoup), et qu’il permette d’évacuer positivement une partie des interrogations qui nous taraudent parfois. Mais tant qu’à aller à la cour d’appel, il vaut mieux que ce soit pour ça que pour la contestation de vos méthodes ou du contenu d’un rapport, ou de la taxations des honoraires…
    Continuez…
    Cordialement, FL.

  7. @Zythom : juste une question bête : le conseiller avait-il eu la curiosité (conscience professionnelle ?) de se rendre sur le blog pour voir de lui même ce qu’il en était ? Après tout, c’est la façon la plus simple de se faire une idée…

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