Ce billet est à lire après
– Analyse du rapport Bussière/Autin 1ère partie, et
– Analyse du rapport Bussière/Autin 2e partie.
Résumé des épisodes précédents: le rapport Bussière/Autin (téléchargeable ici) a été rédigé par un groupe de travail constitué de magistrats, d’avocats, d’experts et de représentants d’associations de consommateurs. Ce groupe a été chargé de réfléchir à l’amélioration, au travers la mesure d’expertise, de l’accès à la Justice et de la qualité des décisions rendues dans des délais acceptables. Le rapport qu’ils ont remis est très intéressant, clair et propose 38 préconisations que je m’amuse à commenter à mon petit niveau. Les billets précédents commentaient les 20 premières.
A.3 La déontologie des experts.
Shorter: Les obligations déontologiques des experts judiciaires sont éparpillées dans plusieurs textes de loi et manquent de précision. De plus les textes se limitent aux experts inscrits sur les listes de cours d’appel et sur la liste nationale de la Cour de cassation. Quid des experts non inscrits et de ceux intervenant devant les juridictions administratives ou dans des procédures amiables?
Préconisation n°21: « Insérer l’ensemble des principes déontologiques des experts sous l’article 22 du décret du 23 décembre 2004. Proposition de rédaction: après l’article 22, insérer les dispositions suivantes:
Art.22-1 – L’expert doit remplir sa mission en toute indépendance. Il en fait la déclaration au juge qui le commet ou au juge chargé du contrôle lors de l’acceptation de sa mission.
Art.22-2 – L’expert peut être récusé pour les mêmes causes que le juge. S’il s’estime récusable, il doit immédiatement le déclarer au juge qui l’a commis ou au juge chargé du contrôle.
Art.22-3 – L’expert accomplit personnellement la mission qui lui est confiée avec diligence, impartialité et objectivité.
Dans le respect de la procédure applicable, il fait preuve de discrétion et de prudence dans l’utilisation des informations recueillies.
Art.22-4 – L’expert informe immédiatement le juge qui l’a commis ou le juge chargé du contrôle de toute difficulté dans l’exécution de sa mission, notamment quant au respect des délais qui lui sont impartis.
Art.22-5 – Dès le début des opérations et au plus tard à l’issue de la première réunion, l’expert informe le juge et les parties des délais et du coût prévisibles de l’expertise ainsi que de l’existence d’une assurance couvrant sa responsabilité civile professionnelle, de la nature et de l’étendue du risque couvert et des coordonnées de l’assureur. »
Ma remarque: « Shorter: clap clap, clap, mais ».
Reprenons au ralenti ces différentes propositions.
Art.22-1: shorter: l’expert doit déclarer être indépendant.
Cela me paraît une chose importante. Mais la définition d’indépendance peut être trompeuse. Si je me réfère à wikipédia, l' »indépendance est l’absence de relation (de sujétion, de cause à effet, de coordination) entre différentes entités. » Cela soulève beaucoup de questions dès lors que l’on mesure une certaine gradation dans les relations possibles entre un expert et une partie. Un exemple simple pour ne pas alourdir le billet: si j’utilise le logiciel TRUC dans mon entreprise, et que je suis lié par un contrat de support avec l’éditeur de TRUC, dois-je considérer que je suis dépendant de l’éditeur de TRUC? Alors même que le fait de bien connaître le logiciel TRUC et son éditeur peut être un avantage dans le cadre d’une expertise judiciaire technique? Remplacez « TRUC » par un logiciel très courant de traitement de texte…
Art.22-2: la récusation.
La récusation d’un magistrat fait l’objet de plusieurs articles de lois (Code de procédure civile, Code de l’organisation judiciaire, Code du travail, Code de procédure pénale, etc.). Je trouve un peu court la simple mention « L’expert peut être récusé pour les mêmes causes que le juge« . L’expert n’est pas un juge. L’expert a peut-être beaucoup d’autres raisons d’être récusé. Il ne le sait peut-être même pas lui-même. Et pourtant, il lui faut estimer cela par lui-même, alors même qu’il n’est pas juriste et ne connait sans doute pas toute la jurisprudence, ni même tous les liens qui pourraient être cachés, directs ou indirects avec les parties. Et pourtant « s’il s’estime récusable, il doit immédiatement le déclarer au juge qui l’a commis ou au juge chargé du contrôle. » Et bien entendu, je suppose, faire une croix volontairement sur tous les frais engagés depuis le début de la procédure, à moins d’envisager de faire payer l’une des parties, alors même que l’expert disparaît du dossier… Je pense que cet article mériterait un sérieux développement, avec par exemple une procédure de récusation préalable à l’expertise et qui, une fois l’expert confirmé, lui permettrait ensuite de travailler jusqu’au bout.
Art.22-3 (1ère partie): « L’expert accomplit personnellement la mission qui lui est confiée avec diligence, impartialité et objectivité. »
L’expert doit accomplir personnellement la mission. Le but est, je suppose,de ne pas voir de sous-traitance abusive se développer. Oui, mais tous les experts judiciaires connaissent le problème posé par le sapiteur. A ma connaissance (mais je peux me tromper) le mot même de « sapiteur » n’apparaît pas dans les textes de loi. Rien que ce sujet mériterait un billet complet.
Diligence, impartialité et objectivité. Je reconnais que ces concepts « sonnent » justes. Mais donnez moi une mesure objective de chacun d’entre eux permettant de l’évaluer avec précision…
Art.22-3 (2nde partie): « Dans le respect de la procédure applicable, il fait preuve de discrétion et de prudence dans l’utilisation des informations recueillies. »
Le culte du secret… Je me souviens d’une affaire informatique en France dans laquelle un groupe d’experts avaient été désignés, parmi lesquels un américain. Une fois le rapport déposé, les magistrats (et les experts français) avaient découverts un peu surpris que l’expert américain, consultant et fort conscient de la bonne publicité qu’il pouvait se faire, avait publié son avis sur son site internet! Autre culture, autre vision.
Pour ma part, je trouve le concept peu clair et laissant le champ libre à trop d’interprétations.
Art.22-4: « L’expert informe immédiatement le juge qui l’a commis ou le juge chargé du contrôle de toute difficulté dans l’exécution de sa mission, notamment quant au respect des délais qui lui sont impartis. »
Clap, clap, clap. J’ajouterais, si je puis me permettre cette suggestion, « et attend les informations que le juge lui adresse immédiatement« .
Art.22-5 (1ère partie): « Dès le début des opérations et au plus tard à l’issue de la première réunion, l’expert informe le juge et les parties des délais et du coût prévisibles de l’expertise »
Clap, clap, clap. J’ajouterais, si je puis me permettre cette suggestion, « et attends pour démarrer ses opérations d’expertises, le feu vert du juge, celui-ci ayant demandé aux parties leurs avis (prévoir un délai imposé aux parties pour leur réponse)« .
Art.22-5 (2nde partie): « Dès le début des opérations et au plus tard à l’issue de la première réunion, l’expert informe le juge et les parties de l’existence d’une assurance couvrant sa responsabilité civile professionnelle, de la nature et de l’étendue du risque couvert et des coordonnées de l’assureur. »
Je soupçonne la plupart des experts judiciaire n’appartenant pas à des compagnies de ne pas souscrire à une telle assurance (en général parce qu’ils n’ont pas conscience des risques qu’ils prennent). C’est probablement le cas des experts désignés hors liste.
Remarque générale sur toutes ces règles déontologiques:
Toutes ses règles inscrites dans la loi mériteraient leur pendant en terme de sanction: que se passe-t-il si un expert n’a pas respecté l’une de ces règles? Volontairement ou involontairement? Est-il « déporté » d’office? Son travail sera-t-il rémunéré? Est-il radié des listes?
Préconisation n°22: « Créer «une déclaration d’acceptation de mission, d’indépendance et d’information» par l’expert, y compris sur l’existence d’une assurance, avant le début de ses opérations. »
Ma remarque: Cette déclaration permettra à l’expert de faire le point sur les parties en présence et ses liens éventuels, parfois très indirects. Le problème de l’assurance est un point essentiel car trop d’experts font l’impasse sur le sujet et en particulier les experts choisis hors listes.
A.4 L’évaluation des experts.
Shorter: Il n’existe pas aujourd’hui de dispositif permettant d’évaluer le travail des experts (sic).
Préconisation n°23: « Rendre obligatoire l’établissement contradictoire de fiches d’évaluation des expertises par les juridictions du fond, limitées à la pertinence, la clarté, les respects des délais, la précision des réponses apportées et communiquées à la cour d’appel préalablement à la réunion de la commission de réinscription. »
Ma remarque: L’évaluation du travail de quelqu’un est une chose complexe. Arriver à évaluer correctement le travail de tous les experts qu’un magistrat peut désigner à travers les 4 critères retenus me semble une aberration et complètement illusoire:
– nombre de pages utiles
– clarté des explications
– précision et pertinence des réponses apportées
– respect des délais impartis.
Comment évaluer un rapport lorsque les missions ont été mal définies? Qu’appelle-t-on « pages utiles »? Faut-il éviter les annexes? A quel public le rapport s’adresse-t-il? Quel est le niveau technique des personnes qui vont le lire? La clarté des explications supporte-t-elle le flou ou le gris de certaines réponses (tout n’est pas noir ou blanc)? Qui juge de la pertinence des réponses apportées? La personne qui juge de la pertinence des réponses apportées est-elle capable d’en percevoir la pertinence? Le respect des délais inclut-il les manœuvres dilatoires des parties, l’irréalisme parfois de certains délais fixés arbitrairement et imposés à l’expert?
La suite concerne l’amélioration de la qualité de la justice. Elle sera traitée dans un prochain billet.
Peut-être.
Merci de prendre le temps de faire ce commentaire, je suis depuis le premier opus et c'est intéressant ! J'apprécie lire votre point de vue d'expert judiciaire