Cette expertise s’annonçait particulière, comme à chaque fois devrais-je dire. Il s’agissait une perquisition, ce que je n’aime guère, mais avec une particularité : le mis en cause habite sur un voilier. Je regarde les quelques informations qui me sont fournies dans l’extrait de dossier que l’on m’a adressé : aïe, la personne est un informaticien. Techniquement, cela signifie que le niveau de difficulté risque d’être plus élevé.
Le jour J, j’arrive à l’heure au rendez-vous pris avec la maréchaussée (sans jeu de mot) dans ce petit port. Tout est calme et silencieux, à part le vent qui fait vibrer toutes les drisses et balancines contre les mâts, à part bien sûr les raillements des goélands et les rires des mouettes. Bref, on ne s’entend plus parler à voix basse…
Nous voici tous serrés dans cette petite cabine de voilier, auprès de laquelle une coquette studette parisienne semble être un luxueux palace. Le chef des gendarmes fait assez justement remarquer que compte tenu de la coopération du mis en cause, il n’est peut-être pas nécessaire de tous rester dans la cabine, et me voici donc à accomplir ma mission sous l’œil attentif de l’habitant des lieux, et celui de l’OPJ qui suit scrupuleusement les opérations.
La mission ? Trouver tous les éléments, sur tous supports, permettant d’être utile à la manifestation de la vérité (voir détails dans le dossier).
Les voileux savent qu’une cabine, toute petite qu’elle soit, contient un grand nombre de rangements, de coins et de recoins. Me voici donc à la recherche de tous les supports, papiers et électroniques, susceptibles de contenir une information intéressant le juge d’instruction. C’est une fouille que je n’aime guère tant elle consiste à entrer dans l’intimité des gens.
J’essaye de ne pas déranger l’ordre des rangements, ni de déballer outrageusement la vie privée du mis en cause. Je fouille les différents tiroirs et caissons, et m’intéresse plus particulièrement à l’ordinateur, au téléphone, au disque dur externe et aux clefs USB.
Je ne trouve aucune donnée concernant l’enquête, ni aucune donnée manifestement illégales.
Je m’approche du système de navigation du voilier et je m’intéresse un peu au GPS marin. Je demande alors au mis en cause : vous avez des cartes marines numériques ? Sa réponse est un peu hésitante et confuse. Je regarde alors le GPS et en extrais une carte SD que j’examine sur mon ordinateur portable d’expertise. RAS, mais je fais une copie bit à bit de la carte SD que j’analyse aussitôt avec l’excellent logiciel PhotoRec. Et là bingo : des données effacées s’avèrent très intéressantes. La carte SD avait servi dans un appareil photo, et comme outil de transfert entre deux ordinateurs.
J’ai ainsi pu vérifier in extremis le principe de l’échange de Locard, qui veut qu’on laisse toujours une trace de son passage.
Note : ce billet respecte les recommandations du procureur de la République au sujet de la confidentialité des dossiers d’expertise.
Bonjour,
Est-ce que c’est normal que ce soit l’expert qui réalise la fouille et non pas l’OPJ (qui vous transmettrait ensuite tous les supports numériques) ?
Peut-être que l’OPJ n’aurait pas pensé au GPS, mais c’est également probable que l’OPJ ait plus d’expérience sur les différentes façons de dissimuler un objet.
La présence de l’OPJ est obligatoire, et dans la pratique l’expert l’aide dans la recherche des éléments de preuve (sous l’autorité de l’OPJ). Le but est d’aller assez vite, car tous savent que les copies bit à bit des disques durs ou des différents supports numériques peuvent parfois prendre des heures.
Merci pour cette anecdote !
Je crois (sous couvert de votre confirmation) qu’il faudrait écrire “le mis en cause” au masculin s’il s’agit d’un homme ? 🙂
1ère occurrence corrigée (les autres étaient bonnes, ouf).
Merci 🙂