Gruyère Surprises 4/9

Résumé du texte qui suit : Vincent prépare sa sortie et organise la mise en ordre de ses explications pour ses proches. Mais la vie s’accroche et est toujours pleine de surprises.

23 juin

Neuf jours que je suis planqué dans cette auberge à faire semblant… Je reste discret et fidèle à mes habitudes : je limite mes interactions avec les humains. Je n’ai parlé à personne pendant l’exercice incendie de mardi dernier (ou la fausse alerte, je n’ai pas bien compris). Mais curieusement, je me suis inscrit à la promenade nocturne de samedi, organisée par le syndicat d’initiative de L’Éreintante. J’ai adoré me promener de nuit dans la forêt. J’avais pris une canne de marche et un petit sac à dos pour y glisser une torche, une gourde, un sifflet et une couverture de survie. Tout cela m’a rappelé l’époque des sorties spéléos dans le coin, où l’on passait la journée sous terre et où l’on ressortait à l’air libre en pleine nuit. Tout cela me semble si loin. Je me souviens d’un seul nom : la Traversée Gruyère-Surprises, qui fait se rejoindre la lésine du Gruyère et le gouffre des Surprises. Il faudrait que je demande à Mme Lalochère, la patronne de l’auberge si c’est vraiment dans le coin.

Les jours passent. Je suis cloîtré dans ma chambre et je fais des listes : je note tout ce que je dois mettre en ordre avant de, avant de… Bref je mets en ordre ce qui doit être mis en ordre. J’ai commencé par écrire (oui écrire) le mot de passe de mon coffre-fort numérique qui contient tous mes mots de passe. J’ai indiqué où se trouve ma clé d’authentification multifactorielle, et le code de mon téléphone. J’ai écrit le message qui doit être mis sur mon blog, sur mon site pro, sur mes comptes de réseaux sociaux. Et chaque jour, j’écris une lettre à chacun de mes proches. En commençant par Sylvie, l’amour de ma vie. Une lettre par enfant. Une lettre par petit-enfant. Ce que je veux que chacun garde de moi doit tenir sur une feuille.

Je mange toujours seul à une table du restaurant. M. Carolo, l’homme d’action de la propriétaire, me laisse m’installer dans un coin d’où je peux regarder le spectacle de la petite communauté des clients. Les visages fournissent tellement d’indications…

Je regarde le mien dans le miroir de la salle de bain, et je me trouve le teint jaune. Enfin, un peu plus jaune que d’habitude. Mes origines japonaises sont accentuées par la maladie, mais cachent son symptôme le plus visible. Au moins les gens ne me

TOC TOC TOC

On a frappé à la porte de la chambre pendant que j’écrivais dans le carnet. Après avoir ouvert, je suis resté bouche bée.

Imaginez : devant moi se tient Sylvie, ma femme.

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Commentaire de l’auteur :

Le premier paragraphe est un exemple d’interaction de groupe proposée par la Direction de l’auberge (une promenade nocturne dans les environs). Comme indiqué précédemment, j’ai une idée précise de l’histoire que j’ai décidé de raconter, ce qui me met un peu hors jeu concernant les interactions. Les organisateurs (expérimentés) du projet avait prévu le cas et il était possible d’indiquer si l’on acceptait ou refusait les interactions libres avec les autres auteurs. Mais c’est aussi le sel de ce projet que de voir les autres joueurs venir potentiellement bouleverser ses plans, et j’ai donc laissé mon choix sur « oui, j’autorise les interactions libres », tout en croisant les doigts.

Par contre, il y avait également un deuxième type d’interaction possible : les interactions concertées. Le fait de faire écrire par Vincent-personnage dans son carnet « Je reste discret et fidèle à mes habitudes : je limite mes interactions avec les humains. » prépare le terrain à un refus poli si l’interaction proposée ne cadre pas avec le script prévu pour ma marionnette.

Dans les règles du jeu, les organisateurs nous avaient indiqué que l’auberge, bien que fictive, était située approximativement dans le Jura. Il se trouve que j’ai beaucoup pratiqué la spéléologie dans le Doubs et le Jura pendant mes jeunes années. Je me suis donc amusé à faire écrire Vincent-personnage un souvenir de sortie spéléo dans le coin : la Traversée Gruyère-Surprises, qui fait se rejoindre la lésine du Gruyère et le gouffre des Surprises. C’est l’une des deux sorties spéléos où j’ai emmené Mme Zythom pour lui faire découvrir la pratique de ce sport qui lui volait son fiancé un week-end sur deux. Il s’agit d’un petit réseau simple à équiper en cordes et pouvant accueillir des débutants bien encadrés. Il y a 4 entrées possibles et autant de sorties. Vous entrez et descendez, puis vous progressez sous terre avec des difficultés intéressantes (ressauts, toboggan, puits, étroitures) qui illustrent assez bien toutes les sensations que procurent ce sport :-). Puis vous remontez et sortez à la même hauteur que là où vous êtes entrés. Ce qui a beaucoup amusé mon épouse, c’est qu’il a fallu 4h sous terre de l’entrée « Gruyère » jusqu’à la sortie « Surprises », et 5mn de marche en extérieur pour revenir de « Surprises » à « Gruyère » chercher nos affaires… Elle garde aussi un bon souvenir des étroitures (ce qui est rare), où pourtant seul son casque apparaissait !

La fin du billet bute sur une incohérence qui je l’espère est passée inaperçue de la plupart des lecteurs : comment écrire la scène de la surprise de Vincent-personnage lors de l’ouverture de la porte, sachant que ce que vous lisez est une note écrite par Vincent-personnage dans son carnet ? J’ai beaucoup cherché, et je n’ai pas trouvé de solution qui me satisfasse pleinement. Personne n’écrit « TOC TOC TOC » dans un carnet intime ! Mais il me fallait une rupture justifiant l’arrêt d’écriture (la phrase « Au moins les gens ne me » n’est pas terminée). Dans la vraie vie, si l’on est arrêté en pleine écriture, on reprend simplement là où l’on a été interrompu ! Mais c’est moins dramatique. J’apprends mes limites de Vincent-auteur…

Le billet suivant s’appelle « La Force est avec lui« .

Topographie de la Traversée Gruyère-Surprise. Source Jura Spéléo

2 réflexions sur « Gruyère Surprises 4/9 »

    • Je ne sais pas, mais j’imagine : quand je rédige un rapport et qu’on sonne à la porte, je n’écris pas « Ding dong » dans mon rapport 🙂

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