Chaque année, les étudiants de l’Année spéciale de journalisme (DUT en un an) de L’École Publique de Journalisme de Tours (EPJT) réalisent de A à Z un magazine appelé Innova. Cette publication a la particularité d’être thématique et d’être réalisée intégralement au sein de l’EPJT, par des étudiants encadrés par des professionnels spécialisés en presse magazine : rédacteurs en chef, maquettistes, secrétaires de rédaction. Cette année, le numéro 24 s’intitule « L’intimité mise à nu » et contient un article qui me cite et consacré aux perquisitions : « Sortie brutale du réel ».
Je reproduis ici cet article, avec l’aimable autorisation de l’étudiant journaliste, Ambre Philouze-Rousseau. J’ai également ajouté ensuite l’interview complète avec mes réponses.
PERQUISITION SORTIE BRUTALE DU RÉEL
UNE VIE FOUILLÉE, SCRUTÉE À LA LOUPE. LA PERQUISITION N’EST ANODINE POUR PERSONNE. NI POUR LES PERQUISITIONNÉS NI POUR LES PERQUISITIONNEURS. RÉCIT CROISÉ D’ISABELLE ET DE SON FILS THOMAS, PERQUISITIONNÉS EN MARS 2016 ET DE ZYTHOM, INFORMATICIEN EXPERT JUDICIAIRE
C’est un mercredi matin comme les
autres. Les parents se préparent à aller
donner leurs cours, leur fils est en
route pour sa classe préparatoire. Et
puis des coups. Des coups frappés à la
porte de la maison familiale. Il est 7 h 45, le mari va
ouvrir. Sa femme, Isabelle*, observe par la fenêtre et
voit trois personnes devant l’entrée. Lorsqu’elle
remarque les brassards rouges marqués « Police », ils
sont déjà à l’intérieur. « Nous venons pour une
perquisition, annonce froidement la policière. Je
suis inspectrice de la brigade des mineurs. » Pour
Isabelle, qui se tient au milieu de l’escalier, l’incom-
préhension est totale. Tout s’écroule : « Ça t’arrête
dans tes gestes, dans tes paroles, tu t’arrêtes de res-
pirer, tu t’arrêtes de penser. » Près d’un an après, elle
a enfin trouvé les mots : « Cette perquisition a été
une rupture brutale, indélébile et irrémédiable. »
Les suspects ne sont pas les seuls à être atteints par
une perquisition, c’est également le cas de leur
entourage. « C’était violent dans leur parler et leur
façon d’être, se souvient Thomas*, le fils d’Isabelle.
J’avais l’impression qu’ils s’en fichaient complète-
ment, comme s’ils n’étaient pas impliqués. »
Les perquisitionneurs doivent en effet se garder de
toute empathie. La police n’agit pas toujours seule.
Elle a parfois besoin de s’entourer de personnes
comme Zythom, informaticien expert judiciaire.
Les autorités font appel à ses services pour analyser
le contenu de matériel informatique. Il assiste depuis
1999 des huissiers de justice, des juges d’instruction
ou des policiers dans des perquisitions et raconte
son vécu dans son blog. Malgré sa longue expé-
rience, il ne s’habitue pas à la violence de cette intru-
sion. « Une maison est un lieu privé. Quand vous
entrez avec les forces de l’ordre chez quelqu’un, c’est
d’une brutalité incroyable, explique-t-il. En plon-
geant dans les données numériques stockées sur le
disque dur, j’entre dans la vie intime des gens, pour
le meilleur et pour le pire. » Ce sentiment de « viol
de l’intimité » ne le quitte jamais.
ASSISTER À LA FOUILLE DANS LA RÉSIGNATION
Pour autant, Zythom a vécu des perquisitions plus
éprouvantes que d’autres. Comme celle lors de
laquelle il rencontre Léo, 7 ans. « C’est un petit gar-
çon volontaire, écrit l’informaticien sur son blog.
Il me dévisage sans peur, mais avec une lueur
d’incompréhension dans le regard. » Zythom tente
de sauver les apparences : « Je lui fais un grand sou-
rire. Je force mon visage à se détendre, raconte-t-il.
“ Ta maman a un petit problème avec son ordina-
teur. Nous sommes venus pour voir si on peut le
réparer ’’, c’est la seule chose qui lui vient à l’esprit. Le
petit Léo, rassuré, reste malgré tout soucieux, mais
pour d’autres raisons. « J’espère que ce n’est pas mon
nouveau jeu qui a abîmé l’ordinateur de maman »,
s’inquiète-t-il. Une innocence touchante et déchi-
rante pour Zythom. « Mon cœur se brise mais au-
cun muscle de mon visage ne bouge, poursuit-il. La
dernière image que j’aurai de Léo est son départ
pour l’école tenant son petit frère par la main et
accompagné par une voisine. Je lui ai fait un petit
signe avec le pouce levé. » L’informaticien ne peut
s’empêcher de terminer son récit en avouant : « Que
c’est dur, une perquisition. »
Cette rudesse, Isabelle et Thomas l’ont ressentie.
Non sans quelques sanglots dans la voix, le jeune
homme décrit une sortie brutale du réel. « À partir
de ce moment, tu te dis que rien n’est vrai,
raconte-t-il. Tu es dans le déni. » Il souligne égale-
ment la difficulté à prendre du recul et « à accepter
que des gens viennent chez toi pour prendre tes
affaires, pour fouiller dans ta vie. » Les trois étages
de la maison, les chambres, la salle de bains, les
placards, le garage ou encore la voiture, rien n’est
laissé au hasard. C’est dans le silence et la résigna-
tion qu’Isabelle et Thomas ont dû assister à
ces fouilles, pires qu’un cambriolage. « Un
cambrioleur, tu ne le vois pas faire, pré-
cise Isabelle. Là, tu les vois passer
partout et ils sont maîtres chez toi.
Tu n’as plus le droit de parler, de
bouger, tu n’es plus rien. »
Malgré plusieurs tentatives
d’échange, Isabelle reste dans
l’ignorance. « Vous cherchez quoi ? »
demande-t-elle aux policiers. « Des
indices » est la seule réponse qu’elle
obtient. Au delà de l’impuissance, elle se
dit marquée par l’attitude des forces de l’ordre qui,
sur l’instant, lui retire sa dignité. « Je savais qu’ils
ne venaient pas pour moi. Mais dans leur façon
d’être, ils me culpabilisaient de la même façon,
explique-t-elle. Je n’avais plus l’impression d’être
une victime, mais une coupable. » Un sentiment
qui ne la quittera pas, même une fois la perquisi-
tion achevée, puisqu’une convocation pour un
interrogatoire lui sera remise dans la foulée.
Le moment du départ reste, pour Zythom, tout
aussi marquant que celui de l’arrivée. Il se souvient
ainsi d’une perquisition d’un domicile familial en
2010. Seule la mère de famille était présente. Au
moment de quitter le logement, il lui présente ses
excuses. « Je revois encore aujourd’hui la rage dans
son regard », raconte-t-il.
Isabelle s’est quant à elle sentie abandonnée. « Ils
sont partis de chez moi, mon mari menotté. Ils ne
m’ont rien demandé. Même pas si j’avais besoin d’un
soutien psychologique », déplore-t-elle. Comme si
l’après importait peu. « Tu le prends bien. Tant
mieux. Tu le prends mal. Tant pis », avance la quin-
quagénaire d’une voix entrecoupée de silences. Pen-
dant les quarante-huit heures qui ont suivi la per-
quisition, Isabelle n’a pas eu de nouvelles. Son mari
en garde à vue, elle s’est accrochée aux quelques
mots glissés par l’inspectrice au terme de six appels
téléphoniques : « Vous aurez des nouvelles en temps
voulu. » Face à ce mutisme, son fils évoque une
« nonchalance qui ne respecte pas les sentiments ».
LE PREMIER JOUR DU RESTE DE SA VIE
Malgré la violence des émotions qui l’ont animé ce
jour-là, le fils d’Isabelle a réussi à prendre de la dis-
tance. « Ceux qui perquisitionnent le font à lon-
gueur de journée. S’ils ne prenaient pas les choses
froidement, ils ne pourraient pas le faire », résume le
jeune homme. Cette prise de conscience, sa mère l’a
eue lors d’une discussion téléphonique avec
l’inspectrice. « Ça a été un moment fort, parce
qu’elle m’a parlé de femme à femme, plutôt que
d’inspectrice à femme de suspect », se souvient-elle.
La policière évoque alors la nécessité qu’elle a de
s’interdire toute empathie. Elle concède cependant
que cela peut être extrêmement violent. Pour
Isabelle, ces mots sont libérateurs. « Cela m’a fait un
bien fou, j’ai compris que sa crédibilité était aussi en
jeu », avance-t-elle.
Pour Zythom, beaucoup de métiers impliquent de
devoir faire face à des situations désagréables tout
en mettant ses sentiments de côté : « Un pompier
choisit-il son métier pour les tragédies auxquelles il
va assister ? s’interroge-t-il. Lorsqu’on décide de
mettre ses compétences au service de la justice, il
n’est pas question de choisir les interventions en
fonction de ses goûts. »
Un an plus tard, Isabelle considère cette
perquisition comme « l’acte premier,
celui que l’on n’oublie pas ». Même si le
traumatisme va au-delà de la perquisi-
tion en tant que telle, c’est bel et bien
ce jour qui aura déclenché le boulever-
sement profond de sa vie intime. D’un
rire jaune, elle lance : « C’est désormais
un anniversaire supplémentaire. »
ANA BOYRIE, AMBRE PHILOUZE-ROUSSEAU
ET CLÉMENT PIOT
(*) Les prénoms ont été modifiés.
Le numéro 24 de la revue Innova est téléchargeable en cliquant sur ce lien (l’article commence en page 10).
—oOo–
Interview réalisée par Ambre Philouze-Rousseau
– Depuis quand participez-vous à des
perquisitions ?
Je suis inscrit sur la liste des
experts judiciaires depuis 1999. Ma première perquisition a été
une assistance à Huissier de Justice l’année suivante.
– Pourquoi, en tant qu’informaticien,
avoir décidé de travailler avec la justice ? Et donc de
participer à des perquisitions ?
Comme je le décris sur mon blog, mon
épouse est avocate. J’ai souhaité me rapprocher de son univers,
qui est passionnant, et c’est elle qui m’a expliqué ce que mes
connaissances pouvaient apporter à la justice. En demandant mon
inscription sur la liste des experts judiciaires, je ne savais pas
que ma vie allait basculer parfois dans l’horreur : recherche
d’images et de films pédopornographiques, perquisition, intrusion
dans la vie privée… Mais c’est le lot de beaucoup de professions
: un pompier choisit-il son métier pour les tragédies auxquelles
il va assister, un policier pour les insultes, un journaliste pour
les chats écrasés ? Je ne me plains donc pas et j’essaye de faire
mon travail du mieux possible pour aider la justice.
– Quel est votre rôle lors de ces
perquisitions ?
En général, j’assiste un Huissier de
Justice, ou un Juge d’instruction, ou un policier, dans sa
recherche de la vérité. Surtout si celle-ci se trouve sur un
ordinateur…
– Combien de temps dure une
perquisition,
en moyenne ?
Celles auxquelles j’ai participé ont
duré environ une journée.
– A combien de perquisitions avez-vous
assisté ?
Dix perquisitions, entre 1999 et 2016.
– De quand date votre dernière
perquisition ? Pouvez-vous nous la raconter ?
Elle date de l’année dernière et je ne
peux pas la raconter. Par contre, j’ai raconté plusieurs de mes
perquisitions, en les anonymisant, sur mon blog (voir billets :
https://zythom.blogspot.fr/2007/04/assistance-lors-dune-perquisition.html
https://zythom.blogspot.fr/2010/06/perquisition.html
https://zythom.blogspot.fr/2014/12/perquisitionner-un-informaticien.html
– Avez-vous souvenir d’une
perquisition plus difficile que les autres ? Si oui,
pourquoi ?
Elles sont toutes difficiles, surtout
celles chez les particuliers. Je garde le souvenir d’un enfant de
7 ans qui réagissait à l’entrée très matinale d’un groupe de
personne dans sa maison. Je raconte cette histoire dans ce billet
:
https://zythom.blogspot.fr/2013/02/leo-7-ans.html
– Vous dites ne pas aimer participer à
des perquisitions chez des particuliers ? Qu’est-ce-qui vous
dérange ?
Je n’arrive pas à m’habituer à la
violence d’une intrusion chez les particuliers.
– Dans l’un de vos billets, vous parlez
de « viol de l’intimité ». Qu’entendez-vous par
intimité ?
Une maison est un lieu privé. Vous
acceptez parfois d’inviter des personnes que vous connaissez à
entrer chez vous, dans une partie de votre vie privée : le séjour,
la cuisine, la salle à manger. Quand vous entrez avec les forces
de l’ordre chez quelqu’un, c’est d’une brutalité incroyable (même
si les policiers et les Huissiers avec lesquels j’ai travaillé ont
toujours fait preuve d’une grande humanité et de respect). Vous
entrez dans l’intimité des personnes : bureau, chambres à coucher,
pièces des enfants, salle de bains, etc.
Je ressens la même chose quand j’analyse chez moi le contenu d’un
ordinateur mis sous scellé par la police : en plongeant dans les
données numériques stockées sur le disque dur, j’entre dans la vie
intime des gens, pour le meilleur et pour le pire. Ce n’est pas
une sensation agréable.
– Est-ce-qu’en fouillant dans
l’ordinateur
d’un perquisitionné, vous ressentez également ce sentiment de
« viol de l’intimité » ?
Oui.
– Vous n’êtes évidemment pas seul dans
ce genre d’intervention. Combien êtes-vous ? Pensez-vous qu’ils
ressentent tous la même gêne que vous ?
Il y a en général deux ou trois
policiers (ou gendarmes), un serrurier, l’Huissier de Justice et
moi.
Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui aime faire cela, mais tout
le monde est concentré sur sa mission et souhaite qu’elle se passe
le mieux possible.
Les policiers parlent correctement aux personnes et à leurs
enfants, et tout le monde essaye de faire baisser la tension
initiale de l’entrée dans les lieux.
– Comment réagissent ceux qui sont
perquisitionnés ? (Même si les réactions doivent toutes être
différentes, comment réagissent ceux que vous avez pu voir?)
Il y a un grand stress dans le premier
quart d’heure, puis la tension baisse quand tout le monde a
compris le rôle de chacun des intervenants.
– Enfin, malgré le fait que l’intrusion
vous dérange, allez-vous continuer à participer à des
perquisitions ? Et pourquoi ?
Quand on choisit de mettre ses
compétences au service de la justice, il n’est pas question de
choisir les interventions en fonction de ses goûts. Par contre,
j’accepte moins souvent d’intervenir lors de perquisitions,
simplement parce qu’avec l’âge, mon niveau et mon agilité
technique diminuent. Il n’est pas facile de rester au contact de
toutes les technologies de stockage, surtout que je n’ai pas de
compétences en téléphonie mobile. Il m’est difficile de dire aux
personnes que j’accompagne que je ne peux pas analyser le contenu
d’un téléphone portable, alors que les données intéressantes s’y
trouvent peut-être. Il y a dans mon ressort des experts
judiciaires plus jeunes et plus expérimentés que moi. Je leur
laisse maintenant ma place.
Échanges du 19/03/2017