La professionnalisation de l’expertise judiciaire

La revue “Gazette du Palais” change de format et propose un numéro gratuit accessible ici. Vous trouverez, à la page 15, un article écrit par Maître Nicole Chabrux et intitulé “Le business de l’expertise judiciaire en matière de dommages corporels”.

Extrait :

La revendication de la professionnalisation de l’expertise judiciaire
[…] de nombreux experts ont compris qu’il y avait là un « Marché de l’expertise judiciaire » très attractif en termes de revenus, et sans commune mesure avec les responsabilités engendrées par l’exercice plein et entier de la médecine.
Certains n’ont pas attendu et en ont déjà fait un véritable business : il y a quelques mois, devant le juge en charge du contrôle des expertises, l’expert, dont le remplacement était sollicité par la victime au profit d’un expert relevant d’une spécialité particulière, s’est présenté devant le juge afin de voir sa désignation maintenue et n’a pas hésité, comme gage d’une compétence avérée et large, à revendiquer 600 expertises judiciaires par an !
Il s’avère que cet expert n’exerce – depuis son inscription sur les listes en 1985, soit depuis 30 ans – ni la chirurgie, ni l’activité de médecin, ayant, en pratique, fait de l’expertise judiciaire son « métier ». Il n’est pas certain que les magistrats qui le désignent fréquemment soient au fait de cette situation.
Cet expert ne pratique donc pas la médecine, il est expert en barème du concours médical depuis trente ans ! Au regard de la facturation appliquée sur une base moyenne de 2 200 € l’expertise, il paraît en effet beaucoup plus rentable et confortable d’exercer le métier d’expert judiciaire en barème que d’exercer la médecine avec son cortège de responsabilités et ses contraintes financières (primes d’assurance en hausse constante et pouvoirs publics qui se désengagent au profit des mutuelles).
C’est la raison pour laquelle, sous couvert d’une meilleure formation des experts, certains avancent l’idée de la professionnalisation de cette activité.

Je vous invite à lire l’article au complet car il montre les dérives de notre système judiciaire où, parfois, l’expert judiciaire peut prendre le pas sur le juge.

Ma position sur le sujet ? Elle n’a pas changé depuis ce billet de 2006 où j’écrivais:

La professionnalisation des experts ? Un non sens puisqu’on aboutit
alors à un personnage hyperspécialisé dans une profession qu’il n’exerce
plus et dont il va perdre à terme la maîtrise et par conséquent le
droit d’émettre un avis des plus pertinents.

La seule voie d’avenir de professionnalisation à mon sens, est celle du regroupement des experts judiciaires au sein de laboratoires agréés (lire ce billet de 2009). Et encore, je reconnais que cette vision pose encore de nombreux problèmes.

La solution réside sans doute, comme le souligne l’auteur, dans le constat de l’empiétement croissant du pouvoir des experts sur l’impérium du juge, et d’encourager ces derniers à exiger des justifications claires et scientifiques des avis exposés dans leurs rapports par les experts.

3 réflexions sur « La professionnalisation de l’expertise judiciaire »

  1. Quelques vérités noyées dans un tissu d'âneries (je parle bien sûr de l'article de la gazette).
    Il est toujours facile de bâtir un article à charge en sortant des cas isolés caricaturaux.

    AB. Médecin.

  2. Pas grand'chose de commun, soyons honnêtes, entre le médecin qui profite de son titre d'expert judiciaire pour toucher de beaux honoraires au civil, rémunéré de fait par les assureurs le plus souvent.

    Et l'expert au pénal, contraint de subir des tarifs encadrés et bien souvent misérables – la spécialité (les langues) que je connais est presque exclusivement sollicitée au pénal. Comme le confrère Zythom ci-présent.

    L'argument que les experts seraient attirés par l'esprit du gain n'est pas valable au pénal. Les experts y crèvent la dalle même : tarifs indigents, délais de paiement abominables. Mais le fait d'être mal payé n'est pas un gage de sérieux professionnel non plus.

    Il faudrait bien préciser aussi que les tribunaux n'aiment que peu les profiteurs du style qu'évoque l'article. A chaque renouvellement de l'assermentation on demande à l'expert de mettre ses cartes sur la table et de déclarer les expertises faites pour le compte des assurances.

    Le véritable drame de l'expertise est que le titre continue d'être accordé par des magistrats qui n'ont pas de critères suffisamment sélectifs pour savoir qui ils assermentent : le rigolo, le profiteur ou l'expert dévoué. Celui du serment, quoi.

    En chacun de nous sommeille une dose de ces trois personnages. Si la vigilance personnelle de l'expert se laisse berner, il serait bon que la commission de renouvellement de la Cour d'appel réveille sa conscience un peu. A quand des renouvellements moins automatiques ? Le statut d'expert est un titre accordé par la justice pour cinq ans, et son renouvellement n'est pas un droit. En pratique, j'ai cru comprendre qu'il faut des écarts absolument inadmissibles pour être rayé des listes.

  3. Pas grand'chose de commun, soyons honnêtes, entre le médecin qui profite de son titre d'expert judiciaire pour toucher de beaux honoraires au civil, rémunéré de fait par les assureurs le plus souvent.

    Et l'expert au pénal, contraint de subir des tarifs encadrés et bien souvent misérables – la spécialité (les langues) que je connais est presque exclusivement sollicitée au pénal. Comme le confrère Zythom ci-présent.

    L'argument que les experts seraient attirés par l'esprit du gain n'est pas valable au pénal. Les experts y crèvent la dalle même : tarifs indigents, délais de paiement abominables. Mais le fait d'être mal payé n'est pas un gage de sérieux professionnel non plus.

    Il faudrait bien préciser aussi que les tribunaux n'aiment que peu les profiteurs du style qu'évoque l'article. A chaque renouvellement de l'assermentation on demande à l'expert de mettre ses cartes sur la table et de déclarer les expertises faites pour le compte des assurances.

    Le véritable drame de l'expertise est que le titre continue d'être accordé par des magistrats qui n'ont pas de critères suffisamment sélectifs pour savoir qui ils assermentent : le rigolo, le profiteur ou l'expert dévoué. Celui du serment, quoi.

    En chacun de nous sommeille une dose de ces trois personnages. Si la vigilance personnelle de l'expert se laisse berner, il serait bon que la commission de renouvellement de la Cour d'appel réveille sa conscience un peu. A quand des renouvellements moins automatiques ? Le statut d'expert est un titre accordé par la justice pour cinq ans, et son renouvellement n'est pas un droit. En pratique, j'ai cru comprendre qu'il faut des écarts absolument inadmissibles pour être rayé des listes.

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