Evolution professionnelle

A l’approche des 50 ans, l’année dernière, j’ai décidé de vérifier mon employabilité. Selon l’Organisation internationale du travail (et Wikipédia), l’employabilité est « l’aptitude de chacun à trouver et conserver un emploi, à progresser au travail et à s’adapter au changement tout au long de la vie professionnelle« . Pour moi, cela consistait à vérifier, bien qu’aimant mon entreprise, mon chef, mes collègues, mes étudiants et mon travail, si je pouvais trouver une entreprise qui voudrait m’aider à développer mes aptitudes dans l’univers de l’inforensique.

J’ai donc pris mon courage à deux mains, mis à jour mon CV et j’ai cherché sur le marché du travail l’entreprise idéale et le poste associé. J’ai cherché du côté clair de la Force (les petites annonces du marché ouvert de l’emploi, les candidatures spontanées) mais aussi de son côté obscur (le réseau, les amis, les relations, la NSA, tout pour accéder au marché caché de l’emploi).

Pour ne rien regretter, j’ai ciblé large: mobilité sur toute la France y compris Paris, aucune prétention salariale a priori, pas de préférence grosse entreprise ou PME ou TPE, privé, public, CDI ou CDD, prêt à démarrer comme un débutant, comme un senior, comme un expert. J’ai des compétences d’encadrement, je sais travailler en équipe, je respecte les règles établies. Bref, le salarié (presque) idéal.

J’ai donc appliqué les règles de recherche d’emploi que je préconise auprès de mes étudiants (lire ce billet où je les explique).

Le blog m’a bien aidé, Twitter également (un retweet de Maître Eolas,
c’est 3000 personnes qui viennent sur le blog !) et j’ai pu ainsi
décrocher plusieurs entretiens d’embauche. Certains se sont
bien passés, d’autres moins bien.

Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs ,
Tout prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.

Et il m’est arrivé ce que je pensais dès le départ: aucune proposition n’a abouti.

Il y a plusieurs explications à cela:

– je suis nul

– j’ai plus de 45 ans

– je ne sais pas me vendre

– mes compétences n’intéressent personne

– la crise

– je n’ai pas de réseau

– je suis nul

– c’est la faute à internet

– les entreprises n’ont pas su voir mon énorme potentiel

– mes enfants ont tout fait pour ne pas déménager

– je suis nul.

Ok, donc, comme Rocky Balboa, je vais devoir m’entraîner dans un coin tout seul pour affûter mes muscles et JE REVIENDRAI (heu, non, ça c’est Arnold). C’est d’ailleurs ce que m’a conseillé sérieusement le responsable de mon entretien à l’ANSSI: « vous devriez vous entraîner sur l’analyse de systèmes live et revenir dans deux ans ».

Putain DEUX ans!

Je n’intégrerai donc pas les équipes de cette agence gouvernementale, et je le regrette. J’aurais aimé travailler avec des jeunes et brillants ingénieurs sur des sujets très techniques toujours en pointe. J’aurais aimé pouvoir relever ce challenge. Mais, comme pour mes tentatives de voyages dans l’espace (lire cette série de billets, surtout celui-ci), il faut savoir se faire une raison: j’ai une capacité à changer d’emploi nulle.

Maintenant, positivons:

– j’ai un boulot

– j’aime mon boulot

– mon entreprise est performante sur un marché porteur

– mon entreprise apprécie mon travail

– j’ai un travail dynamique, prenant et passionnant

– j’ai des perspectives de progrès et d’amélioration

– j’habite un coin de paradis

– j’ai une bonne santé

– j’ai une famille formidable

– le chiffrement RSA n’a pas encore été cracké.

Un lecteur avisé pourrait objecter: « mais pourquoi diable avez-vous eu envie de chercher un autre emploi? » Ma réponse est imparable: « parce que ».

Parce que je voulais voir ce que je valais encore sur le marché du travail.

Parce que je suis effrayé à l’idée d’avoir passé 20 ans dans la même entreprise.

Parce que je suis effrayé à l’idée de passer les 15 prochaines années dans la même entreprise.

Un lecteur avisé pourrait objecter: « qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ». Certes. C’est d’ailleurs ce que je me dis aussi. Bien obligé.

Alors j’ai pris une décision:

Puisque j’aime mon entreprise, plutôt que de changer d’environnement, je vais essayer d’améliorer mes compétences dans toutes les activités que je mène actuellement, et sortir de ma zone de confort. Professionnellement, il faut que j’améliore mes compétences de manager et que je favorise la progression de mes collaborateurs. Côté expertises, il faut que je développe mon activité d’expertises privées et que j’apprenne à me vendre. Côté vie publique, il faut que j’essaye de m’impliquer plus encore dans la vie de la commune.

Selon le Ministère français chargé de l’emploi (et toujours Wikipédia), l’employabilité est « la
capacité d’évoluer de façon autonome à l’intérieur du marché du
travail, de façon à réaliser, de manière durable, par l’emploi, le
potentiel qu’on a en soi
« .

Conclusions:

De ses échecs, il faut savoir apprendre. Et se relever.

Et ne pas attendre qu’on vienne vous offrir le poste idéal.

Il faut le créer soi-même.

Et savourer sa chance d’avoir un métier qu’on aime.

C’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe.

Putain 15 ans !

[MAJ du billet du 8 novembre 2013]

10 réflexions sur « Evolution professionnelle »

  1. Bonjour Zythom,

    Désolé d'apprendre qu'aucune de vos recherches n'a abouti.

    Je trouve ça vraiment déprimant. Ça me fait un peu penser au documentaire "Dans la peau d'un chômeur de plus de 50 ans" que j'ai pu visionner sur France5 il y a moins d'un mois et qui m'a mis le moral complètement dans les chaussettes. Dans le monde professionnel de notre société actuelle, il ne fait pas bon de vieillir…

    Nous nous sommes déjà rencontrés. Et pour moi et beaucoup d'autres lecteurs, vous êtes un modèle, votre blog est une source d'enrichissement personnel. Mais le monde professionnel semble bien s'en foutre de tout ça. Moi, j'ai la chance de faire encore parti de la jeunesse "désirable", qui n'a pas de mal à trouver un emploi technique. Tandis que vous, on vous considère déjà comme trop vieux voire trop nul pour changer de travail, quand bien même il vous reste 15 ans à exercer. Vous êtes une référence pour beaucoup d'informaticiens, d'ingénieurs, d'experts. Et pourtant votre expérience n'est pas valorisée comme elle le mériterait. Vous voila en quelque sorte condamné à ni rien changer à votre vie actuelle, qui heureusement semble très satisfaisante, vous avez raison de positiver.

    Ça doit être difficile. Je compatis. Et je ne suis vraiment pas pressé d'être dans la même situation d'ici quelques années 🙁

  2. La plus part des hypothèses sont possibles, sauf la 1, la 7 et la 11 que j'écarte immédiatement !

    J'ai de la peine, j'essaye de changer de secteurs depuis un certain temps, je n'y arrive pas non plus.

    Je me permets donc d'ajouter une hypothèse : En France, on n'accepte pas que quelqu’un change de métier.

  3. Je rajouterai une autre hypothèse: "Ce n'est pas le bon moment pour les entreprises d'embaucher". Beaucoup d'entreprise privé sont en "stand-by" pour les embauches, pas de budget, visibilité à long terme incertaine, réduction de coûts…
    Vous avez un profil d'une personne avec beaucoup d'expérience. Les postes à pouvoir pour se type de profil sont plus rare et se font sur des besoins précis à des moments précis, je vous conseillerai plutôt de faire de la veille sur une période de plusieurs mois plutôt que vouloir tester votre potentiel à un instant donné.
    Il y a les profils sortie d'école ou avec moins de 5 ans d'expérience qui sont un peu tout terrain, peuvent aller sur un peu tout type de poste et ne coûte pas cher à une entreprise.
    Et il y a les profils "expert" qu'on embauche pour bénéficier de leur expérience et qui sont un investissement fort pour l'entreprise. Ce type de poste apparaît quand il s'agit de remplacer quelqu'un, de monter une nouvelle équipe, de lancer un gros projet, … c'est moins fréquent que les postes qui tourne sur des jeunes pour maintenir des salaires à des niveaux faible et pour faire du job d'informaticien "standard".

  4. Bonjour,

    Après 45 ans, les chances de trouver un travail par le marché "blanc" (découvert) sont faibles.

    Il faut recourir au marché "caché" via le réseau, avec une démarche complètement différente. A tel point que dans les entreprises maintenant on paye des stages pour acquérir cette compétence "réseau". On appelle cela l"outplacement.

    De toute façon le marché est si dur que je conseille déjà cette démarche aux jeunes diplomés de mon école que je croise et qui galèrent.

    Je vous conseille pour commencer le Blog et les livres de Hervé Bommelaer.
    https://hervebommelaer.blogspirit.com/

    Vous verrez pleins de trucs utiles et en particulier le temps qu'il faut…

    En tout cas, vous avez ce qu'il faut pour y arriver : l'expérience, la compétence et la motivation.

    Plein de bonnes choses, merci pour le blog and for all the fish…

  5. Vous savez, vous n'êtes pas le seul. J'ai entre 25 et 30 ans, je suis ingénieur, je souhaite changer car ce que je fais actuellement ne me plait plus, et pourtant je galère aussi. Alors non ce n'est pas parce que vous êtes nul, c'est juste que difficile pour tout le monde en ce moment.
    Comme vous le dites, il faut se relever et continuer. Lire votre article et les commentaires remonte le moral 🙂
    Continuez !

  6. "Success is not final, failure is not fatal: it is the courage to continue that counts."
    Winston Churchill

  7. En informatique il y a assez peu de "vieux" (désolé pour le choix du terme) dans les sociétés de conseil que vous avez dû cibler. Les gens sortent vite de ce circuit. A 33 ans je suis déjà manager et j'avoue que j'ai du mal à encadrer les personnes plus agées que moi. Alors j'aurai certainement des réticences à vous prendre dans mon équipe sachant que vous avez des connaissances en forensic, mais sans doute beaucoup à apprendre en pentest ou reverse egineering. Ca veut aussi dire qu'on vous prend pour les 15 ans restant alors que je disais justement que les gens quittent rapidement ce milieu. On ne sait voir qu'à 3 ou 5 ans de perspective. Si on vise à 15 ans vous devriez passer manager avec des aspects commerce, mais ça ne semble pas votre orientation naturelle. Donc si vous conservez une casquette technique cela veut dire qu'on vous envoie en clientèle faire de la réalisation technique jusqu'à 65 ans. C'est difficilement envisageable.
    Je ne sais pas exactement à quels postes vous avez postulé, mais je vous verrai plus en chef d'équipe sur des projets d'intégration complexes où il faut avoir de la bouteille et non sur des prestations de conseil en sécurité.

  8. Bonjour Zythom,

    et le poste de directeur du laboratoire de police scientifique de Lyon ? C'est passé, mais ça reviendra.

    Très cordialement,

    Jean Lobry

  9. Peut-être aussi que le "marché du travail" ne mérite pas autant d'intérêt ?
    On peut se demander pour qui je me prends, et je n'ai évidemment pas fait toutes les boites de France une par une. J'ai juste travaillé quelques années comme ingé en électronique/informatique dans quelques groupes "connus" du CAC. Une immense déception.
    Hormis les salaires qui permettent à peine de vivre (surtout en RP), le travail est souvent stupide et soumis à des règles aberrantes (techniques, économiques, humaines…). Les types les plus compétents que j'ai vus avaient 50 ans : normal, ils étaient au top de leur compétence/expérience. C'étaient aussi les plus menacés en regard des critères du mgmt (ne dites pas "encadrement" : dans l'entreprise, "stylo", c'est naze : on dit "pen" ou "OEG – Outil d'Expression Graphique").
    Il faut avoir vu un DRH de 30 ans, analphabète et arrogant, appliquer ses cours d'école de commerce estampillés par un gourou libéral et virer les éléments les plus brillants car trop vieux donc trop chers, tout en leur récitant le cycle EKR…
    Il faut avoir vu des directeurs financiers fermer des secteurs qui marchent, innovent et font vivre des gens pour les remplacer par des département bidons mais qui rapportent plus en touchant des aides étatiques (nos impôts, quoi).
    Il y a de très belles entreprises privées, qui ont du sens et où il fait bon vivre, mais croyez-moi : ne regrettez rien, vous me semblez bien plus à votre place maintenant. Ne vous sentez pas valorisé par le privé, il vous méprise et ne mérite pas mieux.
    Et continuez à blogger : en plus d'être bon dans votre travail, vous faites vraiment du bien autour de vous !
    Longue vie à vous et à votre blog.

    • Toujours dans la technique passé 40 ans? Vous êtes catalogué boulet coutant trop cher et faisant un job de jeune diplômé à première expérience. Même si votre spécialisation acquise avec les années ne s'apprend pas vraiment à l'école.

      Et comme on colle aussi des étiquettes à un CV sur un mix de compétences et domaine d'activités, il suffit que ce dernier devienne moins porteur (tel les télécoms depuis 10 ans, alors qu'au début/milieu des 90's tout taupin rêvait d'intégrer une école avec cette spécialité) et c'est encore des chances au moins divisées par deux.

      Alors quand je vois nos politiques ériger en dogme qu'il faudrait savoir coder dès le plus jeune âge, je me dis que nous ne devons pas vivre dans le même monde!

      Car la tendance forte actuellement, touchant de plein fouet les jeunes pas/peu expérimentés, c'est d'externaliser tout le travail technique "petites mains" partout dans le monde ou la main d'oeuvre n'est pas chère et ou un réseau à peu près fiable passe. Pb à terme, toute montée en compétence devient impossible.

      Y compris depuis quelques années tout ce qui est administration/support!

      Selon le fuseau horaire, on tombe sur des roumains, plus classiquement des indiens, voire des philippins ou chinois par exemple.

      Bref, hormis quelques secteurs stratégiques (militaire mais touché par les coupes budgétaires ; spatial, quoique Space X y soit en train de provoquer des restructurations importantes) qui persistent encore, je ne voit aucun salut dans la technique! Et ce sera définitif si des actions politiques fortes ne sont pas prises afin de contrer la montée en gamme progressive de la concurrence déloyale que représente le dumping social mondial.

      Bref, se retrouver dans des environnements totalement débiles ou presque plus rien ne fonctionne: Réfléchissez bien!

      De même l'ANSSI et ses CDD renouvelables: Rien que ce mode de recrutement illustre la cible, le jeune qui a envie de se faire une expérience de quelques années et un ligne prestigieuse sur le CV pour la suite.

      Pour les enfants, mieux vaut les aiguiller vers des secteurs non délocalisables de construction/services/santé/tourisme… Ingénieur dans un pays ou il n'y aura bientôt plus guère d'industrie dans un futur prévisible, en dehors de l'aéronautique et de miettes de défense? Il y a déjà trop de monde, les salaires sont de plus en plus gelés, achevant la motivation de ceux ayant encore un job. Sincèrement il y a mieux a faire quand on a l'avenir devant soi.

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