L’incendie

Samedi 17 août. C’est mon avant dernier jour de vacances et je suis en train de me faire un tour de rein déménager ma fille aînée à 200 km de chez moi. Il est midi et demi, je reçois un coup de fil du gardien de l’école: un incendie s’est déclaré dans les locaux…

Le téléphone a cette faculté de pouvoir vous faire voyager instantanément d’un point à un autre du globe. Me voici donc d’un seul coup au travail en train de gérer un cas d’urgence, avec dans les mains une boite de rangement d’étudiante en médecine pleine d’os de tailles diverses…

J’arrive à établir rapidement la chronologie: à 11h55 le disjoncteur général de l’établissement s’est enflammé, dans un local technique hors des locaux, ce qui a déclenché l’alarme incendie. La centrale du système de sécurité incendie a aussitôt envoyé un message au gardien de l’école et à la société de gardiennage. 11h56, le gardien constate un dégagement de fumée dans le local technique désigné par le système de sécurité incendie et appelle aussitôt les pompiers.

Quelques minutes plus tard, ceux-ci sont sur place et appellent les agents d’ERDF pour qu’ils sécurisent le local Très Haute Tension (15 000 v). L’incendie s’est entre temps éteint de lui-même. L’ensemble du quartier est privé d’électricité.

C’est à ce moment-là, vers 12h30, que le gardien m’appelle sur mon lieu de vacances pour rendre compte de l’incident. Nous sommes samedi, l’école doit ouvrir lundi ses portes aux étudiants, aux chercheurs et au personnel. Plus précisément, nous sommes samedi 17 août, c’est-à-dire en plein pont de la semaine du 15 août… La semaine où le moins de gens travaillent dans les entreprises en France. Bien bien bien.

Je suis responsable informatique ET technique, c’est-à-dire que j’ai en charge le bon fonctionnement technique des locaux et des appareils de l’établissement. Le bon fonctionnement, aujourd’hui, cela signifie également son alimentation correcte en électricité: pour les ordinateurs, pour les serveurs, pour les actifs réseaux, pour les imprimantes, pour les téléphones, pour la centrale de sécurité incendie, pour les portes coulissantes, pour les systèmes d’ouverture par badge… Bref, pour tout.

Mais à distance, je ne peux pas faire grand chose. Je demande donc au gardien de me tenir au courant de l’évolution des événements. Je raccroche. Une demi-heure se passe, il me rappelle: les agents d’ERDF ont isolé l’école dont les équipements électriques Très Haute Tension sont hors service et rétabli le courant pour le reste du quartier. A charge pour moi de les recontacter dès que les réparations seront effectuées, puisque le matériel incendié appartient à l’école qui bénéficie d’un tarif vert. Les pompiers sont partis, les agents d’ERDF également, l’école est sans électricité, le gardien est tout seul… Bien bien bien.

Premier bilan: il n’y a pas de blessé, l’incendie a fait des dégâts très localisés, l’école n’a pas d’électricité, le Plan de Continuité d’Activité de la salle serveurs a bien fonctionné: notre groupe électrogène a démarré dès la coupure de courant, alimentant ainsi les onduleurs qui maintiennent la salle serveurs et les accès internet sous tension. Le temps que la cuve de gazole se vide…

L’école a des liens très fort avec les collectivités locales: ville, communauté d’agglomération, conseil général, région… J’ai dans mon téléphone mobile plusieurs numéros de cellules d’urgence de ces entités. J’appelle un premier numéro, pas de réponse, un deuxième, pas de réponse, un troisième qui sonne, sonne, sonne dans le vide, et miracle, une personne décroche. Je suis à la cellule d’urgence du conseil général. J’explique mon cas à la personne, qui visiblement utilise un talkie-walkie (!). Là, très calmement, il m’explique qu’il dispose d’une liste de personnes à contacter et qu’il va les appeler. Je laisse mes coordonnées et je raccroche.

J’ai le coeur qui bat très fort.

Peu de gens s’en rendent compte, mais on demande souvent l’impossible aux services supports. Ma mission est de faire fonctionner l’école, quelles que soient les difficultés. Les étudiants comptent sur moi, les chercheurs comptent sur moi, les enseignants comptent sur moi, les personnels administratifs comptent sur moi… Mais pour l’instant, tout le monde est en vacances, et personne ne se doute du problème qui se pose à moi: comment alimenter l’école en électricité au plus vite, en cette fin de semaine du 15 août!

Quelques minutes après, le téléphone sonne. Un technicien du conseil général est sur place, avec son chef de service et constate les dégâts et le problème. Il me propose de contacter une entreprise qui dispose de GROS groupes électrogènes et de voir s’ils peuvent être disponibles pour lundi matin. Il me donne leurs coordonnées, ainsi que celles d’une entreprise de transport susceptible de pouvoir les livrer. Le cœur battant (et les mains dans les cartons de déménagement), j’appelle l’entreprise, qui répond, qui dispose de deux groupes électrogènes de fortes puissances et qui me les réserve. J’appelle l’entreprise de transport, qui répond et qui accepte de livrer les deux groupes. J’apprendrai ensuite que c’est le patron en personne et son fils qui se sont chargés de la livraison lundi 19 août, en pleine quinzaine de fermeture de l’entreprise…

J’envoie alors un SMS à mon chef pour lui résumer la situation et le tenir au courant des problèmes et des solutions mises en œuvre. J’ai conscience d’avoir de la chance.

J’ai passé un mauvais dimanche (mais meilleur que celui du gardien dans l’école sans électricité).

Lundi, le personnel et les étudiants découvraient une école sans électricité, et les vertus du rangement de bureau au retour de vacances. La salle serveurs fonctionnait toujours, alimenté par notre groupe électrogène de secours. Lundi, les deux groupes électrogènes étaient livrés, installés, raccordés et démarrés. Lundi soir, l’école disposait d’un des bienfaits du XXe siècle: l’électricité.

Tout le monde poussait un ouf de soulagement.

Sauf moi.

Combien de temps cela allait tenir?

Quelle est l’autonomie des cuves des groupes électrogènes?

Combien de temps pour effectuer les réparations du disjoncteur THT?

A quel prix?

Bref, la reprise était compliquée.

Le constructeur a été contacté pour savoir s’il disposait de pièces de rechange sur du matériel vieux de 20 ans. Réponse: non, mais j’ai du neuf si vous changez tout. Après avis d’ERDF qui impose une remise aux normes de tout le matériel en cas d’incident de ce type, la décision de tout changer a été prise. Rendez-vous a été pris avec le constructeur pour obtenir à prix raisonnable le matériel miraculeusement en stock (sinon temps d’attente = 12 semaines, usine fermée en août), et rendez-vous a été pris avec les différentes entreprises (livraison, démontage, installation, raccordement), dont ERDF qui a été exemplaire sur ce problème.

Deux jours et demi plus tard, l’un des deux groupes tombait en panne d’essence (à 2h30 du matin) suite à la panne d’une pompe de transfert du gazole. 1000 litres consommés en 2,5 jours, soit 400 litres par jour et par groupe, soit 800 litres de gazole par jour pour les deux groupes… Mon cœur et mon plan RSE en étaient malades.

Le dimanche 25 août, un imbécile stoppait l’un des groupes en appuyant sur l’arrêt « coup de poing », à 8h du matin…

Le lundi 26 août, un représentant des habitants du quartier venait me faire part du mécontentement du voisinage suite aux nuisances sonores des groupes électrogènes. Je rédige alors une lettre d’explication que je suis allé placarder dans les halls des immeubles alentour.

Lundi après-midi les travaux de démontage commençaient.

Le mercredi 28 août, toutes les entreprises devant intervenir sur les réparations du local technique THT avaient terminé. Le courant garanti EDF était rétabli, 11 jours après l’incendie.

Je profite de ce blog, même si j’écris ici sous pseudonyme, pour féliciter toutes les personnes d’astreinte, dans tous les services de France et de Navarre, dans les collectivités comme dans les entreprises privées, pour leur dévouement et leur efficacité. Et bravo aussi aux services supports en général!

Il reste maintenant aux assurances à intervenir, mais cela, c’est un autre problème.

Je me souviendrai de mon retour de vacances 2013.

Une réflexion sur « L’incendie »

  1. C'étaient des cellules Vercors ? Vous avez mis du SM6 à la place ? Vous avez quelle puissance souscrite ?

    J'ai souvenir d'un transfo 1600KVA dont l'isolateur HTA s'est fendu un dimanche à 17h00 et nous l'avions remplacé à 11h00 le lundi, livré depuis 400km dans la nuit de dimanche à lundi.
    J'avais réussi à trouver un transfo, un transporteur, une grue, une équipe d'électriciens entre dimanche 20h et lundi 8h00.
    Ca a parfois du bon d'être fidèle à ses sous-traitants, il se décarcassent en cas de pépin.

Les commentaires sont fermés.