Dans le cadre des rediffusions estivales, le billet du jour, publié en septembre 2009, raconte une anecdote terrible que j’ai vécue lors d’une expertise judiciaire. J’en ai encore des frissons.
Bonne (re)lecture et bon courage.
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Elle est vêtue de vêtements chatoyants et court sur une route de terre.
Plusieurs personnes courent avec elle. La vidéo n’est pas de très bonne
qualité. On ne distingue pas bien ce que ces personnes tiennent à la
main.
Le vidéaste zoome maladroitement.
Optiquement la femme s’approche de moi, simple téléspectateur sur mon
écran d’ordinateur, et je constate que les personnes qui courent avec
elle sont des hommes, munis de machettes, qui courent après elle.
L’un d’eux la rattrape et lui plante la machette dans le crane.
Les yeux de la femme sont exorbités alors qu’elle hurle en tombant. La
vidéo n’a pas de son mais son cri me saute au yeux. L’homme itère son
geste et lui fait éclater le crane.
Des morceaux de cervelle s’éparpillent sur la piste, alors que les derniers poursuivants arrivent à sa hauteur.
Ils rient.
Et moi, malgré mes dix années d’expérience comme expert judiciaire, je pleure.
Cette séquence, je viens de la subir en visionnant le contenu d’un
disque dur mis sous scellé. Comme d’habitude, le magistrat m’a missionné
pour analyser le disque dur à la recherche d’images et de films
pédopornographiques. Et comme d’habitude, je visionne un nombre
important d’images et de films, parmi lesquels se trouve un nombre
important d’images et de films pornographiques, parmi lesquels peuvent
se trouver cachés un certain nombre d’images et de films
pédopornographiques… et ce film tourné probablement pendant les
massacres du Rwanda.
Et je dois visionner chaque film pour remplir ma mission correctement.
Ceux qui pensent que la violence présente à la télévision ou au cinéma
banalise la violence réelle se trompent. Je regarde avec frissons « Le
silence des agneaux », « Hannibal », « Alien » ou tout autre slasher movie.
Mais tout est faux. « C’est du cinéma ». Même quand c’est tiré d’un fait
réel, le spectateur sait qu’il assiste à une mise en scène.
Mais quand on « sent » que c’est vrai, que les images sont réelles, c’est
très différent. On assiste à la mort violente d’une personne et on n’y
est pas préparé. Peut-on s’y préparer d’ailleurs? Même les 20 premières
minutes de « Il faut sauver le soldat Ryan » ne m’ont pas préparé à ça. Et
pourtant elles m’ont secoué.
J’ai survolé très rapidement le reste de la vidéo pour m’assurer
qu’aucune scène pédopornographique n’avait été insérée au milieu de ces
scènes de massacres. Il n’y en avait aucune. Je n’en ai pas trouvé
d’ailleurs sur ce disque dur. Juste de la pornographie. Et cette vidéo
de massacres dans un fichier portant un nom de film pornographique.
Mais cette scène restera gravée dans mon esprit.
La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part. J’ai eu ma part pour ce week-end.
C’était juste un petit week-end pour un petit expert judiciaire de province.