Je suis né en 1963, dans le nord de la France. Mes parents sont alors instituteurs et nous habitons le logement de fonction, en général situé dans l’école. J’ai donc vécu toute mon enfance dans une école primaire, aussi loin que je me rappelle: Roubaix, Tourcoing, Willems et enfin Wattrelos où j’ai vécu la plus grande partie de mon adolescence.
Mes parents sont Pieds-Noirs d’Algérie, ma mère étant née là-bas et mon père l’ayant connu à Alger pendant son service militaire. Ils étaient tous les deux enseignants et n’ont quitté leur poste qu’au dernier moment, en 1962, lors de l’indépendance.
Tous les fonctionnaires ayant déjà quitté l’Algérie avaient retrouvé des postes dans le Sud de la France, au plus près de leur ancienne patrie. Mes parents se sont retrouvés mutés sur les seuls postes d’enseignants encore disponibles en France, c’est-à-dire dans le Nord. Je vous laisse imaginer l’impact sur deux jeunes Pieds-Noirs à peine arrivés, surtout que, en 1962, le Nord de la France, c’est ça : l’hiver le plus rigoureux en France de tout le XXe siècle. Ma mère me raconte encore sa stupéfaction devant les congères de neige, les routes bloquées, les problèmes d’approvisionnement. Quel choc après la douceur de Bab El Oued !
Mais les gens du Nord sont solides, la solidarité joue à fond et la tempête laisse finalement la place à un joli été, et à un petit garçon 😉
De ma petite enfance, je me souviens une cour de récréation à Willems où, à 4 ans, je suivais méticuleusement avec mon tricycle les lignes tracées au sol. Quelques fleurs bleues du jardin également, des bleuets probablement. Des joies simples d’enfant, une petite enfance heureuse, quoiqu’un petit peu solitaire car mes parents m’interdisaient de jouer dans la rue. J’avais donc la cour de récréation pour moi tout seul… mais tout seul.
De mon arrivée à 5 ans à Wattrelos, je me souviens d’une grande maison un peu froide, d’une cour de récréation gigantesque et de la petite voiture Majorette trouvée dans un coin. L’été 1968 reste pour moi marqué par cette petite 2CV sans porte ni roue qui illumina mes journées. Chacun sa révolution.
Mon père était le directeur de l’école primaire (où nous habitions) et enseignait en CM2. Ma mère s’occupait du Cour Préparatoire pendant la journée et de mon père, ma grande sœur et moi le matin, le soir et le week-end. Les femmes de cette époque avaient deux métiers à plein temps.
J’ai commencé l’école primaire dans la classe de ma mère, et je l’ai fini dans la classe de mon père…
A l’époque, beaucoup d’écoles ne mélangeaient pas encore les garçons et les filles. Nous habitions l’école des garçons, située à côté de l’école des filles. Je n’ai donc découvert la compagnie des filles (en dehors de ma sœur, mais ce n’est pas pareil) qu’en entrant en 6ème.
La tenue de rigueur était la blouse. C’était l’égalité républicaine. Les plus riches avaient des blouses à broderies, les moins aisés, des blouses toutes simples. Mais toutes les blouses terminaient en fin d’année raccommodées et rapiécées.
Nous devions nous lever quand un adulte entrait dans la classe, et il y avait un tour de rôle pour les tâches d’entretien de la classe : remplissage des encriers, nettoyage du tableau à craie, accrochage de la carte de géographie au mur, nourriture du poisson-rouge ou des phasmes.
J’étais le fils du directeur. Cela avait sans doute des avantages, mais quand même beaucoup d’inconvénients. J’étais toujours le 1er de la classe, en lutte avec un autre fils d’instituteur, mais beaucoup de mes petits camarades accusaient déjà le système de favoritisme. Je me souviens d’un exercice de mathématique particulièrement difficile où nous n’étions que deux à avoir trouvé une solution. J’étais en CM2, la classe de mon père. Il interroge mon camarade, qui donne une mauvaise réponse. Il m’interroge alors et c’est la bonne réponse. J’étais très fier, très très fier d’être le seul de la classe à avoir trouvé. Mais à la récréation, tout le monde a dit que mon père m’avait aidé. Je sens encore la morsure de l’injustice. Les enfants sont cruels.
Les autres souvenirs de mes camarades de classe sont tous heureux: beaucoup de moments partagés dans des jeux simples: billes, osselets et jeux du loup (que l’on appelait « pris-pris »). Aux osselets, j’étais le champion de la « retournette ».
Lorsque les cousins et cousines venaient à la maison le week-end, nous jouions très souvent « à la classe ». Notre chance était de pouvoir investir une vraie classe, avec un vrai tableau et des vraies tables d’écolier. Les parents nous surveillaient de loin, s’assurant que nous ne semions pas de désordre dans cet univers bien rangé. La cour de récréation devenait aussi notre terrain de jeu, et nous finissions souvent par un match de foot dans les buts de handball. La grande corde à grimper (toute lisse) qui pendait dans le préau nous était interdite.
A chaque fin d’année scolaire, il y avait la remise des prix et une fête à l’école. La fin des études primaires était sanctionnée par le passage du Certificat d’Études Primaires, premier niveau de diplôme requis pour pouvoir intégrer la fonction publique. Les bons élèves étaient mis en valeur, sur une estrade montée pour l’occasion. Les cadeaux étaient souvent des livres, et parfois des jouets. Une réforme de l’Éducation Nationale y a mis fin avant que je puisse monter sur l’estrade, à mon grand regret. Les tableaux d’honneur ont disparu assez vite aussi. Dont acte.
Le mois de juin touchait à sa fin. Le dernier jour de classe arrivait. Nous sortions en rang dans la cour et le maître nous accompagnait jusqu’à la grille où attendaient les parents. La belle automobile de mon père était garée dans la cour devant la maison. Nous partions le lendemain matin très tôt, direction l’Espagne, pour deux mois de vacances en camping.
J’entendais déjà les cigales chanter.
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Source photo Megaportail
Héhé, j'ai eu l'impression de lire un passage (exclusif) du Petit Nicolas 🙂
Phun merci 🙂
A quelle école de Wattrelos ? Ma conjointe y est actuellement enseignante… Le monde serait vraiment trop petit 🙂
La variante du "jeu du loup" actuellement en vogue semble être "chat ballon": Le chat doit toucher les autres avec le ballon, de préférence en mousse ca fait moins mal!
Comme quoi les jeux changent peu!
ha ha fils d'instit je me souviens des accusations infondées, s'il y avait une taloche à prendre, c'était moi, pas les autres, jamais.
50 balais bientôt ? Un post commémoratif pour cette occasion ?
Stephen King avait raison : pas de secret pour être bon auteur, il faut écrire et encore écrire. Je parle de King car ses descriptions de souvenirs d'enfance sont saisissantes (comme vous, flagornerais-je presque).
Une si belle prose, ça ne mériterait pas une "justification" du texte sur la droite ?
Très sympa la photo.