Depuis longtemps, les écoles d’ingénieurs se sont ouvertes aux étudiants étrangers. Pour propager la connaissance pour lutter contre l’obscurantisme, ou tout simplement parce que le partage du savoir est consubstantiel à la notion même de recherche et d’avancée scientifique.
Cela nécessite une curiosité de l’autre, le développement d’une interculturalité qui n’est pas toujours évidente. On ne peut pas dire à un étudiant: « tu es étranger et donc tu dois t’adapter et t’intégrer ». C’est nier l’apport de la différence, l’attrait du raisonnement « autre ». En peinture, on appelle « lumière étrangère », une lumière différente de la principale, et ménagée artistement pour le bon effet du tableau. Il en va de même pour un étudiant étranger dans un groupe d’étudiants français. Il ne doit pas devenir comme les autres, il doit s’intéresser aux autres et les autres à lui.
C’est vrai, et c’est ce qui est passionnant, que l’étranger surprend souvent. Le mot « étrange » est si proche du mot « étranger » que le Littré nous indique que les deux mots ont été primitivement synonymes. Aujourd’hui ils sont distincts, et signifient, l’un ce qui est hors des conditions naturelles, l’autre ce qui est hors de la nation, du pays. Dans le figuré, les significations se rapprochent beaucoup; cependant elles ne se confondent pas complétement.
C’est pourquoi, je vous demande de rester dignes, comme j’ai su l’être, devant l’anecdote suivante…
L’été, alors que les étudiants sont en vacances stage, l’école prête parfois ses locaux à des organismes de formation qui ont pour but l’enseignement du français à des étrangers.
La responsable de l’équipe de nettoyage de l’école arrive affolée dans mon bureau: Monsieur Zythom, Monsieur Zythom, venez voir, suivez moi, je n’en peux plus, il y a des étudiants qui nous ont fait une blague que je n’admets pas, un manque de respect, un manque de respect total. C’est incroyable, je n’ai jamais vu ça! Venez voir, suivez-moi…
En tant que responsable informatique, technique, hygiène, sécurité, espaces verts, etc., me voilà en train de courir dans les couloirs en me demandant ce que je vais encore trouver comme nouveau désastre à mettre au crédit de l’imagination débordante des étudiants.
La responsable de l’équipe de nettoyage me fait entrer dans les toilettes des femmes.
J’entre dans ce lieu mythique que peu d’hommes peuvent se vanter avoir vu. Il y règne un ordre et une propreté étrangers aux lieux fréquentés symétriquement par les hommes. Mais rien d’autre d’étrange ne me saute aux yeux. Ah!, si, une odeur s’insinue par mes narines, et identifiée aussitôt par mon cerveau à la mémoire associative aiguisée: l’odeur caractéristique des excréments humains… La responsable ouvre alors les portes des cabinets de toilette et je découvre ahuri à côté de chaque siège, par terre, un magnifique tas de papiers hygiéniques usagés responsables de cette odeur bien peu hygiénique.
Je regarde la responsable toujours rouge de colère. Je lui explique que nous sommes en été, il n’y a plus d’étudiants dans l’école et que je ne vois pas qui aurait pu faire cette curieuse blague.
Elle me dit alors cette phrase étrange: « ça doit être les étrangers! ».
Un déclic se fait dans mon cerveau et je lui réponds que je vais me renseigner. Me voilà à la recherche de la personne responsable de l’organisme donnant les cours de français. J’arrive à la contacter par téléphone et lui fait part de mon problème un peu particulier. Je l’entends rire au téléphone et m’expliquer la chose suivante:
Depuis hier, le groupe d’étrangers suivant les cours est un groupe de femmes venant d’un pays d’Afrique où l’eau est une denrée très rare. Il ne leur est pas venu à l’esprit qu’en France, nous utilisons de grande quantité d’eau pour évacuer, non seulement nos excréments, mais également le délicat et doux papier triple épaisseur qui va avec.
Pour en avoir parlé ensuite avec elles, elles utilisaient bien la chasse d’eau, en riant devant cette débauche de luxe, mais déposaient délicatement le papier hygiénique à côté du siège, ne sachant pas quoi en faire. Elles m’ont d’ailleurs avoué leur surprise devant ce manque d’hygiène, car chez elles, il y a un récipient prévu pour cela…
Amusements réciproques et blagues universelles ont accueillis des explications bienvenues. La responsable de l’équipe de nettoyage a soupiré en disant « je préfère ça. Je croyais qu’on m’avait fait une blague ». Un mois plus tard, elle recevait en cadeau d’adieu des étudiantes une magnifique robe traditionnelle multicolore. Elle m’en parle encore aujourd’hui. J’ai depuis demandé à l’organisme d’ajouter une petite explication sur les usages en vigueur dans les « lieux d’aisance ».
J’en ai discuté également avec un ami qui s’est trouvé dans une situation similaire au Japon où les toilettes (privées et publiques) disposent de jet d’eau et de séchoir, considérés comme étant plus hygiéniques que le papier toilette. Le siège des toilettes de l’entreprise qu’il visitait était muni d’une télécommande avec une dizaine de boutons et un mode d’emploi en japonais…
« Laisse parler ton coeur, interroge les visages, n’écoute par les langues… » écrivait Umberto Eco dans « Le nom de la Rose ».
Les étrangers sont des gens étranges.
Au Brésil également, le papier se jette à la poubelle. Ce n'est pas pour économiser l'eau, mais pour ne pas boucher les canalisation (en plastique généralement).
Le sketch de Coluche n'a pas pris une ride : https://www.youtube.com/watch?v=DnKj3qT9RTI
Je confirme, Au Mexique c'est pareil, et dans beaucoup de pays…
souvent il y a une poubelle pour le papier souillé, et/ou une petite douchette pour se laver la main (si pas de papier). C'est comme cela en Inde/Népal, on utilise la main gauche pour s'essuyer, considérée alors comme impure 🙂
(et on doit manger avec la main droite)
Je confirme pour le Brésil, j'ai été déroutée aussi en arrivant là-bas, comme l'ont été vos étudiantes africaines ! Quand je vais à l'étranger, dans un nouveau pays, j'ai souvent de grandes questions existentielles à ce sujet maintenant!
Dans le même ordre d'idée, dans mon souvenir, il était inconcevable pour les brésiliennes d'aller au bureau en jupe sans mettre de collants, même quand il faisait super chaud, et j'avais noté aussi que la norme était de se laver les dents le midi au bureau, ce qui n'est pas vraiment la tradition chez nous !
Merci en tous cas pour ce post sympathique qui nous rappelle que certaines réticences envers les "étrangers" viennent souvent tout simplement de méconnaissances mutuelles.
PS : je crois que ça va marcher cette fois, la publication ;-)!
Alors au Japon, pour avoir fait pas mal de toilettes différents (dont des tout à fait occidentaux), je peux dire que je n'ai jamais vu d'instruction en japonais. Les boutons ont des icônes tout à fait compréhensible comme une note de musique pour … faire du bruit ou de la musique (et cacher nos bruits, bien pratique), ou des fesses sous un petit jet d'eau, pour laver les fesses … Bref, quand on ne s'y attend pas, cela est particulier en effet (surtout quand monsieur qui est passé avant a mit la puissance du jet au maximum…), mais tout reste compréhensible.
Cela reste une petite expérience amusante.
Quand j’étais jeune en Ardèche, on jettait les papiers toilette usagés dans un seau et ils servaient pour allumer le feu. Rien ne se perd.
C’est vrai que c’est assez absurde de jetter ces papiers dans l’eau…
Enfin si on résonne comme ça — C’est peut‐être une bonne chose — il est tout aussi absurde de chier dans de l’eau potable…
À méditer…
@Louson, Vincent: En effet, et d'ailleurs les lieux qui accueillent des touristes là bas leur rappellent qu'ils faut jeter les papiers WC dans la corbeille et non la cuvette, sinon on bouche les canalisations.
Parfois on peut rire de certains chocs de culture, parfois hélas non : une randonneuse dont on avait appris à toujours bruler ses papiers toilettes l'a fait en foret et a brulé un hectare, ce qui lui a valu de payer 70 000 euros de dommage et interet à l'onf locale…
J'ajoute ma contribution aux histoires de petits coins.
En Chine quand on voyage à la campagne, les toilettes publiques se résument souvent à des constructions en bois au-dessus d'une fosse. Généralement, il y a de la place pour plusieurs personnes alignées en rang d'oignons – si je peux me permettre l'expression 😉 – sans séparation (il y a quand même une séparation homme/femme).
Or à chaque fois que j'utilisais des toilettes publiques et même quand il y avait foule à la pause pipi, personne ne venait prendre place à côté de moi. Elles attendaient toutes dehors que j'aie terminé mon affaire. Je sais que les Chinois ont une certaine appréhension de l'étranger, mais dans ce cas-là je pense qu'elle respectait mon intimité et ça m'a toujours bluffé.
Cette histoire de papier toilette me rappelle que dans notre société nous avons une relation particulière avec le sol. Il doit être propre, sans déchet, nickel et toute contamination est vécue comme une insulte.
Ailleurs, le sol c'est le sol, on marche dessus, on crache, on jette des détritus. Toujours en Chine, si vous vous asseyez à même le sol, on va vous regarder bizarrement. Soit vous mettez quelque chose entre vous et le sol, soit vous prenez cette position accroupie à la mode chinoise que je vous défie de tenir plus de 5 min. Là-bas, le sol c'est sale, que ce soit dehors, dans le train, dans le métro, dans l'aéroport ou dans les toilettes. C’est une autre vision des choses.
Les chiffres sont accablants… Il y a de plus en plus d'étrangers dans le monde.
(Desproges)