J’ai bien réfléchi à quoi je pourrais occuper tout le temps libre qui serait dégagé si mon dossier de réinscription sur la liste des experts judiciaires était refusé.
Je me suis dit qu’il se pourrait que je me lance dans une activité d’expert freelance… Seulement voilà, je n’ai pas vraiment le profil: je ne sais pas me vendre, j’ai tendance à sous estimer le coût des prestations et je suis prêt à travailler gratuitement si on me le demande gentiment…
Et nous les informaticiens, nous avons tous une petite anecdote d’un « copain » qui nous a apporté son PC à réparer, « parce tu t’y connais », et qui nous a reproché ensuite tous les problèmes qu’il a pu rencontrer: « Mais tu ne m’as pas réinstallé internet! C’est quoi mes codes wanadoo? Pourquoi tu m’as mis un antivirus, maintenant mon Pc rame! » Etc.
Mais après 11 années passées dans le circuit judiciaire, je me rends compte qu’il y a un grand nombre de personnes qui auraient bien besoin d’un expert en informatique pour les aider dans leur dossier en Justice, soit parce que le magistrat a refusé de désigner un expert judiciaire, soit parce que l’expert judiciaire désigné a rendu un rapport défavorable.
Cas de l’absence de désignation d’un expert judiciaire:
Il ne m’appartient pas de critiquer les raisons qui peuvent amener un magistrat à refuser de désigner un expert judiciaire pour l’éclairer dans un dossier. Il me suffit de penser que le magistrat a compris le problème et qu’il n’a pas besoin de l’avis d’un technicien. Mais les rares fois où j’ai accepté une mission confiée par un avocat (ce que l’on appelle « expertise privée »), je me suis vraiment rendu compte que l’association « expert juridique » (l’avocat) et « expert informatique » pouvait décortiquer un problème de A à Z pour monter un dossier qui tienne la route. Guidé par l’avocat qui connait la procédure, je peux mettre en avant tous les détails techniques qui posent problèmes et les expliquer clairement pour que l’avocat les mettent « en musique ». A nous deux, en quelques séances de travail (parfois une seule), nous rédigeons des conclusions qui, à mon avis, peuvent éclairer le magistrat.
Cas de l’expert judiciaire désigné qui a rendu un rapport défavorable:
Avant de lire le rapport déposé par mon confrère, je tiens à préciser qu’il me paraît judicieux de se faire accompagner tout au long de la procédure par un expert (privé) qui saura veiller à ce que tous les éléments techniques soient correctement présentés et analysés lors de l’expertise judiciaire. Attention, il ne s’agit pas de maquiller la vérité, mais de faire en sorte qu’elle apparaisse clairement pour tout le monde, y compris pour l’expert judiciaire désigné par le juge. Il m’est arrivé d’être désigné comme expert judiciaire dans une affaire, et de voir arriver en réunion les parties accompagnées chacune par un confrère mandaté comme expert privé. La règle déontologique (la politesse?) est le respect mutuel, ce qui n’empêche pas de se sentir surveillé tout au long des différentes réunions. Cela maintient une certaine pression salutaire qui oblige au meilleur de soi-même. Évidemment, l’enjeu n’est pas d’essayer de torpiller les réunions par des critiques systématiques, mais d’accompagner « sa » partie pour lui expliquer les détails en direct et l’assister dans les moments très techniques.
Une fois le rapport déposé par l’expert judiciaire, rien n’interdit la critique, dès lors qu’elle reste fondée sur des éléments objectifs. Extrait des règles de déontologie du CNCEJ: « Si l’expert judiciairement commis a déjà déposé son rapport, le consultant privé qui remet à la partie qui l’a consulté une note ou des observations écrites sur les travaux de son confrère, doit le faire dans une forme courtoise, à l’exclusion de toute critique blessante et inutile.[…] En cas d’erreurs matérielles relevées dans le rapport de l’expert de justice, ou de divergence d’appréciation, il se limitera à les exposer et à expliciter les conséquences en résultant. L’avis de l’expert consultant ne peut comporter que des appréciations techniques et scientifiques. »
Mais cette expertise freelance a un coût loin d’être négligeable pour le justiciable. Et qui vient s’ajouter aux frais d’avocat. Car si en France la Justice est gratuite, cela signifie simplement que vous ne payez pas (directement) le salaire du magistrat qui va vous juger. Il vous faut par contre rémunérer le travail de votre avocat, et celui de votre expert privé.
Par contre, j’ai un avantage: je suis salarié d’une entreprise, ce qui me permet de considérer cette activité d’expertise de manière annexe et de pratiquer des tarifs très bas. C’est aussi un inconvénient car je n’exerce mon activité d’expert que sur mon temps libre (soir, week-end et congés payés). C’est d’ailleurs ce qui m’a amené à ne traiter quasiment que des dossiers d’expertise privée par voie numérique: des analyses de rapports en vue de rédaction de dires. Les échanges se faisant par emails, les frais divers sont minimes et ma réactivité peut être très forte (quelques jours). Par contre, j’ai toujours demandé un chiffrage des échanges (ce qui rebute quelques avocats peu à l’aise avec GPG) et j’ai toujours refusé les demandes faites par l’intermédiaire de ce blog (au moins tant que je suis inscrit sur la liste des experts judiciaires).
Mon pseudo anonymat ici me permet de vous dire sans fausse pudeur que je ne suis pas mauvais dans cet exercice, ayant eu à analyser quelques rapports de confrères avec lesquels je n’étais pas particulièrement d’accord, soit sur la méthode, soit sur les outils, soit sur les calculs… J’ai ainsi pu rédiger des remarques et des questions sur plusieurs points cruciaux, ce qui a permis à l’avocat de soumettre des dires pertinents à l’expert judiciaire.
Chers confrères qui me lisez ici, peut-être en avez vous fait les frais 😉
Chers lecteurs profanes, je me dois de reconnaître que je reçois également des dires pertinents après avoir remis mon pré-rapport aux parties. Et que ces dires me font parfois complètement modifier mon rapport final. Peut-être ont-ils été écrits avec l’aide d’experts freelances?
En tout cas, j’ai lu avec amusement ce billet sur le top 10 des bobards racontés aux infographistes naïfs… Et dans quelques mois, je vous raconterai peut-être le top 10 des bobards racontés aux experts freelances.
Mais pour l’instant, je travaille surtout pour l’Etat.
Et j’attends toujours deux ans le paiement de mes factures…
"je suis prêt à travailler gratuitement si on me le demande gentiment…"
Ce qui n'est pas loin d'être le cas si vous attendez 2 ans avant d'être payé !
toi, je note précieusement ta proposition, parce qu'avec l'arrivée d'Hadopi, on ne va pas manquer de déconnexions à tort, d'autorité, et abusives.
Or, en tant qu'indépendant, si jamais on me suspens l'ADSL à cause de petits cons téléchargeurs et d'artistes qui dînent au Fouquet's, je pourrais jamais attendre une année pour retravailler.
La profession d'expert en informatique a de beaux jours devant elle .
Je bosse dans une cie d'assurance et on n'en a pas pour chiffrer les préjudices informatiques. Je ne parle pas de casse de matériel, ça on se débrouille.
Mais de plus en plus les produits d'assurances spécifiques vendent en options genre "perte de clientèle suite à plantage du provider" pour ceux dont le bizness passe par le net.
Nous n'avons pas encore eu le cas du sinistre type, mais le jour où ça va tomber je ne sais pas comment on va s'en dépétrer.
Je connais quelques gros cabinets d'expertise qui seraient probablement intéressés par votre spécialité.
Dominique
"Et dans quelques mois, je vous raconterai peut-être le top 10 des bobards racontés aux experts freelances "
Bonjour Zythom,
Alors c'est pour quand ce top 10 ? 🙂
Bonne continuation.
Olivier.