La confiance

Nous vivons dans un monde cruel, terrible, où l’on sent que la couche de civilisation est parfois mince. Mais tout est fait autour de nous pour que l’on se sente en sécurité, pour que l’on se sente soutenu, aidé, encouragé, assisté.

Au point qu’il me semble que l’on oublie qu’il faut parfois se battre pour démontrer son honnêteté, pour garder son honneur, ou pour recouvrer sa santé. Et que c’est normal.

J’ai effectué, il y a quelques années, un séjour de plusieurs jours à l’hôpital pour une opération douloureuse. Etant particulièrement douillet de nature, je garde un souvenir particulièrement atroce de cet épisode. J’étais sous morphine pour calmer la douleur, mais au bout de quelques heures, celle-ci revenait insidieusement et, sans vraiment lutter, j’appelais rapidement l’infirmière pour qu’elle la stoppe par une nouvelle injection. Fatalement, est arrivé ce qui devait arriver: en pleine nuit, alors que je demandais encore à calmer la douleur, l’infirmière, constatant que la dose reçue dans la journée avait dépassé la prescription du médecin, m’a administré un placebo pour calmer mon angoisse d’avoir mal. Et bien sur, j’ai dormi comme un bébé (de 4h à 6h30 du matin, heure à laquelle les *$#% d’aides soignantes venaient me réveiller en ouvrant les rideaux parce que c’était « l’heure du réveil« ).

Tout le monde a entendu parler de l’effet placebo, mais le vivre, c’est autre chose. Surtout quand on se vante d’avoir travaillé dans les sciences cognitives et que l’on connait le biais éponyme.

Mais outre l’expérimentation pratique sur moi-même de l’effet « je plairai », j’ai découvert à mes dépens une facette particulièrement négative de ma personnalité: dès mon entrée dans l’hôpital, je me suis confié aveuglément au système, dans un réflexe d’infantilisation absolue. Parfaitement ignorant de l’univers qui m’entourait et m’impressionnait, j’ai écarté tout sens critique, tout esprit analytique, toute logique scientifique pour me recroqueviller à la recherche de mon petit moi douillet.

Et j’ai fait confiance au système. J’ai fait confiance en ma bonne étoile: le chirurgien opèrerait correctement, nulle infection nosocomiale ne s’aviserait de m’agresser, les repas seraient succulents, etc. Le malheur ne pouvait pas être pour moi.

J’ai eu beaucoup de mal à sortir de l’hôpital. J’ai du faire un effort pour me reprendre en main, pour de nouveau avoir le choix de mes actes.

Maintenant, et malgré ma propension à voir toutes les catastrophes possibles, je me sens prêt à garder la main.

La prochaine fois que j’irai à l’hôpital, j’essayerai de lutter et d’avoir envie de sortir au plus vite. Quand le système judiciaire m’a inquiété, j’ai pris attache avec un avocat pour me défendre. Je n’ai pas fait confiance « dans le système » pour que tout le monde me comprenne. J’ai choisi de demander de l’aide, et j’ai accepté de financer cela, on ne peut pas avoir une assurance sur tout. Il faut savoir se battre, avoir envie d’y mettre les moyens et accepter que tout cela ne soit pas « remboursé ».

« Le trop de confiance attire le danger » écrivait Corneille dans Le Cid.

Mais le trop d’inconfiance aussi.

7 réflexions sur « La confiance »

  1. Puisque vous parler d'un sujet en relation avec le milieu médical, je ne peux pas ne pas faire le lien avec le billet https://lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr/archive/2010/02/24/le-mediateur-allume-les-experts-medicaux.html que j'ai lu ce matin.

    Pensez vous que, eu égard de votre expérience en tant qu'expert ou en tant que justiciable, les critiques de ce rapport puisse concerner d'autres secteurs d'experts (informatique ou autre) ? Merci de vote éclairage.

  2. Bonjour,

    – Si les aides soignantes réveillent les gens le matin, ce n'est pas par pur sadisme.
    Certes il y a peut être du sadisme là dedans, mais vous avez du remarquer qu'elle vous laisse vous rendormir après.
    Le réveille à pour unique but de ne pas modifier votre cycle circadien et éviter tout effet de jetlag.

    – Le fait que le placebo aillant remplacé la morphine ai agis est à mon avis du au biais de jugement (illusion du savoir). car si on vous avait prescrit un placebo dés le départ (sans morphine donc), l'effet n'aurait surement pas été le même.

    cdt, sloshy, étudiant en informatique souhaitant poursuivre dans les sciences cognitives.

  3. Bonjour !

    Vaste sujet…

    Car à l'inverse, si on refuse d'être "assisté" par système, celui ci nous expulse et nous prive de l'essentiel, voir se retourne contre nous.

    Comme je l'ai vécu et vu, si le patient refuse la morphine et préfère rester avec un antalgique moyen malgré une immense douleur perçue, et fait en plus l'effort de prendre sur lui et de ne pas se plaindre, le corps médical considère que son état est excellent.

    Donc les soins sont abrégés, et le patient sort à courte échéance alors qu'il n'aurait pas du. Et il ne retrouvera pas les soins dont il a réellement besoin.
    Par exemple ne bénéficiera pas de ré-éducation, d'assistance psychologique, d'une prise en charge correcte de la douleur une fois de retour chez lui, d'une période de convalescence suffisante.

    Sans compter qu'il perdra aussi les bénéfices d'une prise en compte par les organismes privés : assurance, travail etc …

    C'est un choix de se marginaliser par rapport à un système.

  4. Ça fait quelques mois que je suis votre blog, et je n'avais encore jamais participé. Je vous félicite donc pour celui-ci, que j'ai toujours plaisir à lire.
    J'ai été surpris de lire ce post, faisant foi d'un vice que nous sommes beaucoup à partager aujourd'hui mais que peu avoue.
    Outre le fait que ce genre de comportements est nuisible pour l'individu, car il fait une totale confiance au système et donc pourra subir ses failles; il empêchera aussi ce même système d'évoluer en ne le remettant tout simplement pas en question.
    C'est d'ailleurs un sujet d'actualité, dans un tout autre domaine: le fait de laisser des lois telles que HADOPI ou LOPPSI nous donner une illusion de sécurité, de bien être, sans se poser la question de leur réelle utilité nous sera nuisible…

  5. @Anonyme: Merci 🙂

    @Antoine: Pour être sincère, je trouve le système d'inscription sur les listes d'experts parfaitement opaque. Mais toutes les améliorations auxquelles je pense et dont je parle parfois sur ce blog, nécessitent de doter la Justice d'un budget beaucoup plus conséquent, ce qui ne semble pas dans l'air du temps.

    @Sloshy: Franchement, quand on souffre toute la nuit et que l'on finit par s'endormir, on souhaiterait profiter au maximum d'un juste sommeil réparateur. Et je suis parfaitement prêt à assumer pour cela un jetlag à ma sortie de l'hôpital.

    @Miaou 34+1 et @Guillaume: Je n'ai pas la prétention (ni la force) de vouloir souffrir en silence. Je pense simplement que j'ai eu tord de tomber dans la facilité en faisant une confiance aveugle. Il faut savoir se prendre en main, tout en demandant de l'aide. Comme souvent dans la vie, il faut trouver le juste équilibre.

    Merci à tous.

  6. Tiens donc !
    J'ai eu aussi recours à cet anti douleur redoutable lors d'une intervention en urgence. Ayant été prévenu que si dépassement des doses il y avait (paracétamol, morphine et tout le tintouin) je ne pourrais en avoir, du coup j'ai beaucoup souffert en attendant le (mon ?) seuil maximum de douleur pour demander de l'aide, de peur de trop gaspiller mon 'quota'. Tout ça pour se rendre compte que mon corps ne tolérait pas du tout les opiacés, soulagé sur le coup, j'ai passé un très mauvais quart d'heure par la suite…

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