La psychose du pédophile

Je reprends ici un billet publié sur Numerama sous licence Creative Commons par Guillaume Champeau. Mes commentaires suivent cet article.

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Wikipedia censuré par la psychose du pédophile

Société 2.0 –

Les internautes britanniques n’ont plus accès à une page de Wikipedia reproduisant la pochette d’un album du groupe allemand Scorpions. Les fournisseurs d’accès, sur simple requête d’un organisme co-financé par l’Europe, ont bloqué l’accès à la page, démontrant les dérives et les limites d’un système de filtrage non contrôlé par l’autorité judiciaire.

Voici une affaire qui illustre bien les dérives que nous avions évoquées au sujet du filtrage des contenus pédopornographiques décidé sur simple décision administrative, ou par accord entre partenaires privés. « Où se situera le curseur entre les sites indéniablement pédophiles qu’il faut bloquer, et les sites qui prêtent davantage à interprétation ?« , avions nous demandé à propos du projet du gouvernement français de permettre le filtrage des sites à contenus pédopornographiques. « La morale publique étant une donnée variable dans la société, que censurera-t-on demain au nom de sa protection ?« . En Grande-Bretagne, une page de Wikipedia a été bloquée parce qu’elle reproduisait la pochette de l’album Virgin Killer de Scorpions (de 1976), sur laquelle une fillette pose nue, le sexe toutefois dissimulé derrière l’effet d’un éclat de verre :

Bien que sensible, le blocage est décidé sans contrôle du juge. L’Internet Watch Foundation (IWF) a simplement ajouté l’URL de la page de Wikipedia à sa liste noire des sites soupçonnés d’abriter des contenus pédophiles. L’organisme britannique, financé par l’Union Européenne et plus de 80 entreprises de télécoms, transmet régulièrement son listing aux FAI, qui bloquent immédiatement les URL sur simple requête. Sans vérification préalable.

Au moment où nous publions ces lignes, la page ne peut plus être éditée, mais après discussion les administrateurs de Wikipedia ont préféré maintenir l’image de la pochette. Ils ont eu raison.

Même si déjà en son temps la pochette avait fait scandale et avait été interdite dans certains pays, l’illustration de Virgin Killer n’est pas une image pédophile. C’est au mieux une oeuvre d’art provocatrice, au pire une image de mauvais goût. Mais aucune fillette n’a été violée pour sa réalisation, et l’on imagine mal que l’image puisse réveiller des pulsions chez les pédophiles en puissance. Et quand bien même il y aurait un doute, ça n’est pas à un organisme privé d’en décider.

Et l’on espère qu’un juge ne l’aurait pas censurée. Toute société doit savoir vivre avec la part de risque qu’induit la vie en communauté. Souhaite-t-on vraiment, pour se prémunir de tout risque, vivre dans une société totalement aseptisée ?

En France, le projet de filtrage du gouvernement vise à imposer aux fournisseurs d’accès une obligation de résultat pour le blocage des contenus pédophiles, qu’ils ne pourront contester. Faudra-t-il qu’ils censurent La Madone aux oeillets de Raphaël ou les images de la pièce Equus de Peter Shaffer ? Et si non, où faut-il tracer la ligne entre ce qui relève de l’image artistique et de l’image pédophile ? La question, simple en apparence, soulève des réponses toutes plus insatisfaisantes les unes que les autres.

Si les problèmes sont aussi nombreux, c’est que le filtrage n’est pas une solution. Ce n’est qu’une manière de cacher le problème. La lutte contre la pédophilie ne passera que par un combat judiciaire et médical contre les pédophiles, pas par la lutte technologique contre leurs contenus réels ou supposés.

L’affaire n’est pas sans rappeler celle du roman Adorations perpétuelles de Jacques Henric. En 1994, la police avait été dépêchée dans les librairies pour faire retirer des rayons des libraires l’ouvrage dont la couverture était une reproduction du célèbre tableau de Courbet, l’Origine du monde. Il avait fallu que quelques librairies fassent de la résistance pour que l’ouvrage ne soit pas interdit. Un an plus tard, le tableau faisait son entrée au Musée d’Orsay, où il est désormais une pièce emblématique de la collection.

Article diffusé sous licence Creative Common by-nc-nd 2.0, écrit par Guillaume Champeau pour Numerama.com

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Depuis l’écriture et la publication de ce billet, la page incriminée est de nouveau accessible.

Les médias et les politiques traitent le thème de la pédophilie de façon très émotionnelle et instaurent un climat hystérique peu propice à une justice sereine et équitable.

Pourtant, Mona Chollet écrivait en 2001 au sujet des accusations de pédophilie portées contre Daniel Cohn-Bendit: « Toutefois, [cette] affaire s’inscrit dans le contexte bien plus large d’un nouvel ordre moral: l’étau se resserre; la liberté des individus, dont l’idéologie sécuritaire triomphante fait peu de cas, est de plus en plus ressentie comme une menace pour l’ordre établi.[…] Voilà un procédé que tous ceux qui tentent de promouvoir la liberté d’expression sur Internet connaissent bien. Un procédé qui revient à dire: quand on cherche la liberté, on trouve le crime. Mais de quelle liberté s’agit-il, au juste?« . Je vous invite à lire son article sur uZine.

Noel Pécout écrit sur son blog Jadislherbe dans un billet intitulé « le pédophile surproduit et antihéros de la société marchande« :

« On dirait que l’on découvre tout à coup l’existence d’une forme de sexualité depuis toujours ignorée. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, la pédophilie, et même l’inceste, bénéficiaient dans le public d’un accueil neutre et parfois bienveillant. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à la presse des années 70 et 80. Qu’on me permette de rappeler l’indulgence amusée et admirative, avec laquelle critiques littéraires et présentateurs de télévision accueillaient les déclarations de Gabriel Matzneff ou de René Schérer, lequel écrivait dans Libération du 9 juin 1978: “L‘aventure pédophilique vient révéler quelle insupportable confiscation d’être et de sens pratiquent à l’égard de l’enfant les rôles et les pouvoirs”. Le cas de Tony Duvert, pédophile déclaré et militant, est encore plus remarquable. En 1973, son roman Paysage de fantaisie, qui met en scène des jeux sexuels entre un adulte et des enfants, est encensé par la critique qui y voit l’expression d’une saine subversion. Le livre reçoit le prix Médicis. L’année suivante, il publie Le bon sexe illustré, manifeste qui réclame le droit pour les enfants de bénéficier de la libération sexuelle que leur apporte le pédophile. En tête de chaque chapitre du livre, se trouve reproduite la photographie d’un jeune garçon d’une dizaine d’années en érection. En 1978, un nouveau roman du même auteur, intitulé Quand mourut Jonathan, retrace l’aventure amoureuse d’un artiste d’âge mûr avec un petit garçon de huit ans. Ce livre est salué dans Le Monde du 14 avril 1976: “Tony Duvert va vers le plus pur”. En 1979, L’île Atlantique lui vaut des éloges dithyrambiques de la part de Madeleine Chapsal.

Que s’est-il donc passé entre 1980 et 1995 pour que l’opinion connaisse un revirement aussi spectaculaire? Le phénomène est d’autant plus remarquable que nos sociétés occidentales contemporaines sont cimentées par l’idéal sacro-saint, mais purement imaginaire, de l’enfant-roi et par l’obsession corrélative de la protection de l’enfance.« 

Bertrand Lemaire dans un billet sur le populisme antipédophile écrit:
« Je ne suis pas pédophile mais je me préoccupe des libertés publiques pour chacun, y compris les pédophiles, les terroristes… et ceux qui sont accusés de pédophilie (comme à Outreau) ou de terrorisme (comme de pauvres bougres gardés à Guantanamo). »

Au delà des questions posées par Guillaume Champeau, Noel Pécout ou Bertrand Lemaire, interrogations dont je me fais ici l’écho, l’expert judiciaire ayant pour mission la recherche d’images à caractère pédopornographique est confronté à toutes sortes de problèmes, dont le principal est « Qu’est-ce qu’une image pédopornographique? ».

Je vous renvoie à ce billet de juin 2007 qui reste toujours d’actualité.

Pour ma part, je classe à part, dans un premier dossier, les images et films particulièrement atroces mettant en scène en général un homme et une petite fille de moins de 10 ans.
Le deuxième dossier contiendra les images douteuses (a priori des mineurs de 18 ans).
Enfin le troisième dossier contiendra les images à interrogation: un visage d’enfant au milieu d’un dossier pornographique (un glissé/déposé malheureux?), une situation étrange avec des enfants. La photo de l’album de Scorpions aurait trouvé sa place dans ce dossier (car je ne connaissais pas cette couverture).

Le rapport d’expertise expliquant bien entendu toutes les interrogations et précautions d’usage. A charge pour l’enquêteur, et in fine le magistrat, de décider ce qui est illégal (ou pas).

On voit bien que l’on est aux antipodes d’un système automatique sans contrôle. En France, la justice est saisie, fait intervenir un technicien compétent (en général un OPJ spécialisé) pour extraire les images, pour finalement décider du caractère légal ou non du contenu.

Cela va-t-il durer?

Mais surtout, pourquoi ce type de dossier constitue-t-il la majorité des expertises judiciaires sur lesquelles je suis missionné depuis quelques années?

2 réflexions sur « La psychose du pédophile »

  1. Je me permets de signaler a votre intention deux billets que j’ai écrits sur le sujet.

    https://david.monniaux.free.fr/dotclear/index.php/2008/12/10/332-maintenant-que-la-british-censorship-a-recule-un-peu-de-reflexion

    https://david.monniaux.free.fr/dotclear/index.php/2008/12/08/327-la-censure-privee-de-l-internet-sauce-a-la-menthe

    Je me réjouis qu’un expert du domaine comme vous s’inquiete de cette agitation. Il est vrai qu’il est difficile de débattre de ce sujet sans risquer de se faire attaquer pour sympathie envers des criminels.

    J’ai notamment peur qu’à force d’agiter des histoires de menaces via Internet, on oublie la réalité banale, à savoir que l’écrasante majorité de ces faits dégoûtants ont lieu dans le cercle de famille étendu.

  2. Merci Zythom pour ce billet de qualité.

    Outre les aspects sécurité informatique, je m’intéresse depuis longtemps aux phénomènes de société et aux dérives en découlant, dans le domaine de la manipulation. Les ouvrages de Vladimir Volkoff (malheureusement décédé) sur la désinformation sont à ce titre très instructifs. Je constate que je ne suis pas le seul à remarquer avec effroi cette dérive autour de la pédophilie, tout comme le terrorisme, qui sont deux moyens terriblement efficaces pour justifier la fin – morale ou non – que l’on tente d’imposer aux populations. Ce qui est intéressant, et comme le faisait remarquer Volkoff, c’est un cercle vicieux : le désinformé finit par se prendre inconsciemment au jeu, et va lui même accélérer le phénomène. On le constate bien avec la pédophilie, toute la société est contre cette ignominie, mais lorsqu’on demande individuellement quelle est la définition de ces crimes, on est surpris des réponses. Entre le violeur d’enfants récidiviste et la peinture du XVIIIeme siècle, il y a un monde… mais tout se retrouve désormais dans le même panier. Il y à quelques mois, j’avais même entendu dire que Lewis Carroll (Alice aux pays des merveilles) était pédophile en son temps. Je n’en sais à vri dire rien. Mais faudrait-il pour autant brûler tous ses livres, et mettre en prison ceux et celles (dont de nombreux enfants !) qui lisent les histoires d’Alice ? Comme diraient certains, le monde est devenu fou 😉

    Restons pragmatiques et calmes face à ces dérives. La lecture d’ouvrages de Vladimir Volkoff par exemple permet de garder un pied sur Terre et de reprendre un regard d’observateur impartial…

    Dommage que les journalistes soient aussi peu objectifs, car c’est probablement en grande partie à eux que l’on doit cette psychose collective et insensée.

    D’où ma question : en 2009, existera-t’il encore des journalistes censés, objectifs, factuels et impartiaux ?

    Au moins, les experts judiciaires (lapsus révélateur, j’ai failli écrire « experts judicieux » !!) et autres RSSI ont le devoir de garder la tête froide… heureusement.

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