Tous les Arcasiens, toutes les Arcasiennes, vont chanter, vont danser sur le violon

Bertrand Lemaire m’apprend que l’escroquerie 419 n’est pas africaine… et que la lettre de Jérusalem est bien une invention française!

J’en suis resté tout baba.

Du coup, cela m’a donné envie d’aller lire un morceau du livre d’Eugène-François Vidocq intitulé Voleurs, physiologie de leurs mœurs et de leurs langages. Le livre date de 1837.

Comme vous tous, je reçois quantité de messages en provenance d’un fidèle d’ancien dictateur déchu, d’une veuve de banquier ou d’une fille de riche propriétaire décédé. Tous ces messages ont en commun de vous faire croire à l’existence d’une forte somme d’argent bloquée quelque part et pour laquelle vous pourriez servir de discret passeur, sans risque, moyennant bien entendu un petit pourcentage, lequel s’avère très intéressant, vu le montant de la somme en jeu.

On ne vous demande rien d’autre que de contacter par retour d’email le presque riche correspondant. Puis viennent quelques imprévus nécessitant de votre part l’envoi de quelqu’argent, oh pas beaucoup, mais dont vous pouvez être sur que vous n’en verrez plus la couleur. Le mécanisme est très bien décrit sur le site hoaxbuster.com (chasseur de rumeurs).

Ce type d’arnaque est basé sur une forme de sélection naturelle: le plus vénal nourrit le plus astucieux.

Bien entendu, je n’ai jamais répondu à ce type de courriers qui sombrent dans le trou noir de ma corbeille à spam.

Ce n’est pas le cas de Vidocq, qui s’est offert le luxe d’une réponse. Voici un échange de lettres qu’il a eu avec ce qu’il appelle un Arcasien ou Arcasineur, c’est-à-dire celui qui monte ce type d’arnaque.

Tous les jours encore, des arcats sont montés dans les prisons, et l’audace des Arcasineurs est si grande, qu’ils ne craignent pas de s’adresser à des individus qui doivent, par le fait seul de leurs relations antérieures, connaître leurs us et coutumes; cela est si vrai, qu’un Arcasineur m’adressa, il y a peu de temps, la lettre suivante:

Toulon, le 14 novembre 1835.

Monsieur,

J’ai fait du bien; qu’il est doux, ce mot! Ce mot renferme des pages entières, des volumes même. Un bien fait n’est jamais perdu. Quoi! le bienfaiteur désintéressé a-t-il besoin de récompense? Non! Il est trop payé, s’il est humain et généreux, par cette satisfaction qui enivre les âmes sensibles après un bienfait.

Telle j’étais, Monsieur, à votre égard, lors de votre évasion de Toulon, et votre nom m’eût été toujours inconnu, sans mon petit-fils, dans les mains duquel se trouvait votre biographie en me faisant le récit de cette aventure, me mit à même de connaître le nom de l’individu auquel je m’étais intéressée. Il me restait cependant le doute que vous ne fussiez tel que je le souhaitais, ce qui aurait pu attirer sur moi la divine réprobation et l’exécration des hommes. Mais l’aveugle confiance que vous eûtes en moi en était un sûr garant; et je me disais: le coupable endurci n’aime que la nuit, le grand jour l’épouvante. Enfin le ciel même parut me l’attester, quand il vint lui-même à votre secours, et vous offrit, par le moyen de l’enterrement, la voie de salut que vous me demandâtes, et que, par un excès d’humanité, je vous promis. Pourquoi donc, Monsieur, après votre aveu et votre prière: Sauvez-moi, âme sensible, Dieu vous en tiendra bon compte, ne continuâtes-vous pas à me dire: Vous sauvez un malheureux qui n’a pas trempé dans le crime dont il a été accusé, et qui l’a plongé dans l’abîme dont il est si difficile, mais non impossible de se relever! Cette déclaration aurait redoublé en moi l’intérêt qui me portait à vous aider, et aurait laissé en moi cette sécurité, et cette satisfaction que l’on éprouve à la suite d’un bienfait qui est ignoré de tout le monde. Mais hélas! comme les temps sont changés, depuis lors, pour nous! Vous, en butte alors à la plus cruelle destinée, manquant de tout, obligé à fuir la société des hommes, et moi qui menais une vie paisible, quoique veuve d’un maître marin mort au service du roi Louis XVI, par le moyen d’un modique commerce, et une conscience pure, qui me mettait, ainsi que mes deux demoiselles en bas âge, à l’abri des premiers besoins.

Depuis que cette faible ressource m’a manqué, n’en ayant pas d’autres, je n’ai fait que languir.

Atteinte une des premières par le choléra, je croyais toucher à la fin de mes maux, mais le ciel en a disposé autrement. La volonté de Dieu soit faite. Dieu a voulu m’épargner en prolongeant mon existence; Dieu y pourvoira.

Je souhaite, Monsieur, que Dieu continue à prospérer vos affaires, et que vous soyez toujours le soutien des malheureux.

Agréez, Monsieur, les sentiments de ma considération, avec lesquels je suis, votre dévoué servante,

Geneviève Peyron, Ve Diaque

Rue du Pradel, 10.

Voici en quels termes je répondis à cette lettre; car, quoique bien convaincu qu’elle n’émanait pas de la personne qui m’avait rendu l’important service de favoriser mon évasion, mais bien de quelque Arcasineur pensionnaire du bagne de Toulon, qui avait appris la circonstance qu’il me rappelait, par mes Mémoires, je ne voulais pas, si contre toute attente mes prévisions étaient fausses, m’exposer à manquer de reconnaissance.

Je serais mille fois heureux, Madame, si le hasard me faisait retrouver la femme qui m’a si généreusement aidé, à Toulon, lors de mon évasion; je suis tout prêt à reconnaitre, comme je le dois, ce qu’elle a fait pour moi, mais je ne veux point m’exposer à être dupe.

Ce que vous me dites, Madame, me prouve jusqu’à l’évidence que vous n’êtes pas la femme généreuse qui me procura les moyens de sortir de la ville de Toulon, et que vous ne connaissez cette circonstance de ma vie que par la lecteur de mes Mémoires. Au reste, si vous êtes réellement la personne en question, vous pouvez aisément m’en donner la preuve, en me rappelant un incident que la mémoire la moins locale ne peut avoir oublié; si vosu pouvez faire ce que je vous demande, je suis prêt à vous envoyer 500 fr., et même plus, etc., etc.

L’Arcasineur ne se tint pas pour battu, et il me répondit en ces termes:

Toulon, le 30 novembre 1835.

Monsieur,

Il sied à la bienséance de répondre à une honnête missive, mais il n’est pas permis d’humilier les personnes.

Née dans une classe médiocre, appartenant à des parents dont l’honneur et la probité ont été les idoles, j’ai su répondre à leur attente, et me mériter, par une conduite toujours exempte de blâme, l’estime publique. Quoique illettrée, la nature m’a douée de ce tact qui tient lieu d’éducation soignée, et qui nous met à même de juger du procédé d’une personne. Mon petit-fils, né dans un siècle plus heureux que le mien, quant à l’instruction, a été choisi par moi pour être l’organe de mes pensées, et l’interprète de mes sentiments.

Oui, monsieur, je l’avouerai sans réserve, la tournure de votre lettre, et vos phrases ont tellement blessé mon amour-propre, que j’en ai été indignée. Vous eussiez beaucoup mieux fait de ne pas répondre que de m’offenser, et réserver votre manière de rédiger pour des âmes basses et vénales. Cependant, un seul de vos paragraphes a mérité toute mon attention, et m’a paru être le plus fondé: c’est la crainte d’être trompé. J’ai apprécié vos doutes, et je les ai même admis. Mais, d’ailleurs, m’examinant attentivement, comment admettre en moi de pareilles idées, et supposer en moi un subterfuge, m’écriai-je au fond de l’âme, m’attachant à la ligne au contenu de ma lettre! Demandait-elle un emprunt? Exigeait-elle un sacrifice? Non! rien de tout cela. Elle ne contenait que l’épanchement sincère d’une âme sensible en apprenant l’heureux changement de votre sort; et si la comparaison de nos destinées en différentes époques a été interprétée pour une demande quelconque, je la repousse de toutes mes forces, et hautement je m’écrie: mieux vaut mourir que s’humilier.

Quant à la preuve convaincante que vous me demandez, afin de reconnaitre si je suis la personne en question, je répugnerais à la donner, précisément parce qu’elle a pour but la proposition d’une somme, si ce n’était une satisfaction personnelle. Je vous observerai donc que, soit vous, soit un autre individu auquel soit arrivé un pareil accident, vous ne fûtes jamais chez moi, n’ayant pu faire, sans me compromettre; que le court entretien dans lequel je vous fis espérer les moyens de sortir, eut lieu publiquement, et que la circonstance et l’incident dont vous me parlez, me sont aussi inconnus que le Phénix. Et qu’enfin, n’ayant jamais joué, pendant ma vie, quoique orageuse, que des rôles honorables, je ne commencerai pas à l’hiver de mon âge à démentir mes sentiments.

J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre servante,

Geneviève Peyron, Ve Diaque.

Je ne voulus point prendre la peine de répondre à cette seconde missive. J’engage toutes les personnes qui en recevraient de semblables à suivre mon exemple.

Quelques siècles après Vidocq, je vous donne le même conseil…