L’informatique est un domaine où fleurissent les noms techniques, les nouveaux concepts, les sigles, les faux amis, les anglicismes…
Ex: DOS, DDOS, ICP, PKI, IDS, BLOG (aphérèse de weblog)…
Il y a aussi des exemples plus amusants: COBIT, concaténation, LAMP, ROI, SPICE, bandothèque, SAS, AJAX, CAF, ESB, méthodes agiles, OASIS, INFINIBAND…
Pour plus d’informations, achetez le numéro du « Monde Informatique » n°1139 du 15 décembre 2006 qui contient le glossaire 2007 à garder sur un coin de son bureau.
Tout cela m’amène en des temps maintenant lointain où j’apprenais le dur métier d’ingénieur. Pour ce faire, il fallait effectuer un stage que l’on appelait à l’époque « stage ouvrier ». J’ai été embauché pour un mois comme « ouvrier spécialisé niveau 2 aide câbleur » dans une entreprise de réalisation d’armoires électriques.
1er jour: à mon arrivée, le contremaitre me donne les plans électriques d’une armoire, ma caisse à outils, me montre mon établi et me dit: « Bon ben allez, au boulot… ». Il n’avait pas compris que j’étais étudiant, que je n’avais jamais vu de plan électrique d’armoire industrielle de ma vie, que je n’avais jamais fais de câblage, et que j’étais incapable de remplacer au pied levé l’ouvrier parti en vacances.
1ère semaine: découverte des outils, apprentissage de leur maniement. Le métier rentre un peu, les ouvriers se décontractent (ils pensaient que j’étais le fils d’un col blanc de l’entreprise) et commencent à m’aider.
2e semaine: je suis complètement intégré dans l’équipe. Je découvre les noms des outils, je travaille en binôme avec un ouvrier qui m’apprend le métier: « passe moi le [nom d’une marque] de 15 avec un collier [nom d’une marque] ».
« perce un trou de 5 avec la [nom d’une marque] ».
J’étais donc souvent en train de chercher dans ma caisse un outil pouvant ressembler au nom barbare qui m’était donné.
Je venais de percer un trou dans le plafond d’une armoire, quand je me suis rendu compte que j’avais mal effectué ma mesure et que le trou n’était pas tout à fait au bon endroit (mais pas loin). Je me tourne donc vers mon camarade de travail et lui demande s’il n’y pas un outil permettant de « déplacer le trou », c’est à dire de l’ovaliser suffisamment afin qu’il se trouve au bon endroit.
Il réfléchit et me dit « tu n’as qu’à utiliser une lime [nom barbare] ».
Je cherche dans ma caisse et lui dit que je n’ai pas de lime. Il jette un coup d’oeil et me dit d’aller voir le magasinier.
Je vais voir le magasinier qui cherche alors dans son stock d’outils et me dit qu’il a déjà prêté cet outil à untel.
Je vais voir untel qui cherche dans sa caisse et se souvient d’avoir donné cette lime à truc.
Après avoir été baladé pendant une demi-heure (je suis très patient) dans toute l’usine, me voici dans l’atelier des femmes à demander à la cantonade: « personne n’a une lime A EPAISSIR par hasard, j’en cherche une depuis une demi-heure et on m’a dit que vous en aviez ».
Toutes les ouvrières se sont mises à rire, et l’une d’entre elle m’a expliqué qu’une lime à épaissir, et bien cela n’existe pas…
En revenant, j’ai du retraverser toute l’usine, et j’ai vu beaucoup d’ouvriers dans les différents ateliers qui souriaient franchement en me voyant.
J’étais profondément vexé, mais tout a disparu quand l’ouvrier qui avait initié la blague m’a tapé un grand coup dans le dos en me disant: « t’en fais pas, moi on m’a fait chercher à mes débuts un marteau à bomber le verre ».
J’ai retenu plusieurs leçons de cette petite mésaventure:
– il faut toujours réfléchir et se méfier des apparences (« à épaissir », ce n’est pas le nom barbare d’une marque inconnue);
– « ceux qui savent » sont toujours prêts à se moquer de « ceux qui ne savent pas »;
– il faut se méfier de ceux qui utilisent en permanence un jargon technologique;
– les femmes sont les seules à rire franchement de vous quand vous êtes ridicules.
J’ai appris depuis quelques noms d’outils intéressants:
le niveau à bulle fixe,
la bobine de ligne de mire,
l’échelle à poser les plaintes,
le bidon d’huile de coude,
le pot de peinture écossaise,
le bâton d’oxygène,
le pied de biche en plastique,
le creuset en étain,
l’élastique métallique,
le câble de frein moteur,
la boite d’étincelles,
l’échelle de carreleur,
l’extincteur à essence,
le briquet à éteindre,
la lampe à obscurcir,
le marteau pour taper dans les coins,
le hachoir à farine…
Remarquez: il y a bien le bouton « démarrer » pour éteindre l’ordinateur…
Si cela peut vous rassurer ce genre de blague se font aussi énormément dans le milieu de l’hôtellerie restauration où l’on envoie les apprentis pas bien fins chercher le ciseau a défriser le persil ou la clef de voute du four auprès de la patronne ou d’un commerçant complice…
J’ai un apprenti qui a cherché un tel objet pendant 2h au travers de la ville avec l’aide des différents magasins ce n’est que le coiffeur tout nouvellement arrivé qui a vendu la mèche.
J'ai une tendresse particulière pour "l'échelle à monter les blancs en neige", ici aussi dans la restauration. Il est très intéressant de voir que cette pratique est l'apanage des domaines populaires tels que le bâtiment et la restauration, alors même que le bizutage dans les écoles d'ingénieurs ou de commerce est déjà moins "bon enfant" (ou c'est moi qui porte un jugement de valeur ?). Et qui pourrait se féliciter comme vous d'avoir appris une leçon salutaire après un week-end passé à servir d'esclave aux élèves des classes supérieures ?
J'ajouterais à la liste le fameux "Rouleau de Bande passante" !!!
Ah, ça change de la clé du champ de tir dans l'infanterie…
Sur les acronymes d'informatique et autre, ce qui m'embête le plus ce sont celles qui évoluent dans le temps. Exemple: on est passé des SSII aux SS2I puis aux ESN. J'attends le suivant.
Le pire ce sont les anglicismes dans les start-up (anglicisme, by Allgood!) qui veulent faire "moderne". Moi qui ai à la fois deux défauts (avoir appris l'anglais outre-Atlantique et être reconverti dans l'informatique), j'avais beaucoup de mal avec pour plusieurs raisons, entre-autre:
– la prononciation des anglicismes "à la française" (notamment par le patron – ce qui vous interdit même de dire "pas compris" sous peine de passer pour un type sachant moins bien l'anglich que le patron)
– leur usage à tout bout de champ, dans des sens parfois un peu dérivés de celui d'origine (ex: "après le brunshing on se fera un petit brainstorming sur le planning de la week à coming trop cool non?" (réponse mentale: "nice wanking. Cumming at it")).