Missions impossibles

Le recours à l’expertise judiciaire permet de pallier l’absence de connaissances du juge quant aux données scientifiques et techniques qui conditionnent la solution du litige.

Pourtant, dès lors que le magistrat n’est pas compétent en matière informatique, il est surprenant qu’il doive fixer des missions précises à l’expert judiciaire (en informatique) sans en discuter auparavant avec lui, ce qui oblige parfois l’expert à répondre de la façon la plus précise à des questions qui n’ont aucun sens (ce qui n’a aucun sens).

L’exemple le plus frappant est celui de la datation. J’ai souvent à répondre à la question suivante : quand l’ordinateur a-t-il été utilisé pour faire telle ou telle chose ? L’ordinateur en question étant sous scellé depuis un certain temps, la pile du BIOS est déchargée, ce qui m’interdit de comparer les date et heure effectivement enregistrées par la machine (en clair, la machine est-elle à l’heure ?) et le temps imparti pour l’analyse de la machine ne me permet pas d’évaluer la dérive éventuelle de l’horloge interne de l’ordinateur. D’autre part, de nombreux utilitaires permettent de modifier les dates et heures de création/modification/dernier accès de chaque fichier, sans forcément introduire d’incohérence entre les différentes dates des autres fichiers du système d’exploitation. Dans ce cas, comment expliquer sans enfoncer des portes ouvertes que les dates et heures enregistrées pour chaque fichier sur l’ordinateur ne sont que de vagues indications.

Un autre exemple est la date de dernier démarrage de l’ordinateur. Cette question m’était posée dans une triste affaire de pendaison où la mère de la victime prétendait qu’il s’agissait d’un crime maquillé et non pas d’un suicide. Après analyse, la date de dernier démarrage correspondait à l’intervention de la maréchaussée lors de la saisie du matériel informatique…

Enfin, une de mes missions consistait à assister un Huissier de Justice pour une saisie en entreprise, avec comme consigne « de saisir tous les cédéroms présents dans l’entreprise ». Il m’a fallu expliquer au juge que d’une part, cela m’amenait à devoir fouiller l’ensemble des tiroirs et placards de l’entreprise, mais également de saisir tous les éventuels cédéroms musicaux qui pouvaient être présents sur les lieux. Avec bien entendu un impact non négligeable sur le coût de l’expertise, dont la responsabilité ne pouvait m’être imputée.

En conclusion, il me semble important de refuser toutes les missions imprécises ou impossibles de facto et de contacter le juge, quand il est joignable, pour discuter des aménagements possibles du libellé des missions qu’il fixe à l’expert.