GNU/Linux et la vente liée

J’ai découvert GNU/Linux en 1993, avec une distribution qui s’appelait Yggdrasil. Il s’agissait pour moi de trouver un remplacement à l’HP-UX que j’avais connu dans ma vie professionnelle précédente. Puis, toujours pour des raisons professionnelles, j’ai adopté pendant plusieurs années la distribution Slackware, pour migrer ensuite vers le Chapeau Rouge et enfin vers la distribution Debian qui équipe maintenant tous mes serveurs GNU/Linux pro.

En parallèle, j’ai joué avec Nextstep, FreeBSD, Solaris et NetBSD, pour différentes raisons, mais c’est surtout l’univers des différentes distributions GNU/Linux qui m’a attiré : j’aime bien de temps en temps installer une distribution pour voir comment elle fonctionne. Je teste un peu de tout, mais pas tout, car vous trouverez une liste impressionnante des différentes distributions sur cette page Wikipédia.

Certaines distributions sont spécialisées dans l’inforensique, comme DEFT. D’autres dans la protection de la vie privée, comme Tails. Enfin, certaines sont adaptées à un usage grand public, comme Ubuntu, que j’ai choisie pour mon ordinateur personnel.

Tout est affaire de choix, et chaque distribution a sa communauté et ses passionnés. Mais, si je suis un utilisateur converti depuis longtemps, je n’ai jamais fait parti des contributeurs, c’est-à-dire que je n’ai jamais participé au développement, aux tests, à la documentation, aux traductions, etc. Peut-être puis-je me targuer d’en avoir parlé autour de moi, et d’avoir incité mes étudiants à s’en servir. Mais le fait de ne pas contribuer me rend un peu mal à l’aise…

C’est pourquoi, le jour où un avocat m’a contacté pour me demander de faire une analyse technique en tant qu’expert, avec comme objectif de lutter contre la vente forcée du système d’exploitation lors d’un achat de matériel informatique, j’ai tout de suite répondu présent.

C’était la chance de ma vie pour apporter ma pierre à l’édifice.

C’était le projet qui allait marquer ma vie d’expert de justice.

C’était le moyen de détrôner Windows de son hégémonie et rendant le choix possible pour le consommateur.

J’étais chaud bouillant.

Hélas, le problème est plus complexe qu’il n’y paraît. Comment évaluer la simplicité d’installation d’une distribution sur un ordinateur ? Quelle distribution faut-il tester ? Sur quels ordinateurs faut-il faire les tests pour prétendre être exhaustif ? Combien d’ordinateurs, quelles marques ? Etc.

Est-il possible d’écrire un rapport technique objectif prouvant la vente liée ?

Il est beaucoup plus simple de trouver un ordinateur récent et d’installer plusieurs distributions pour en trouver quelques unes qui ne s’installent pas correctement… Il y a souvent un “truc” propriétaire sur l’ordinateur (par exemple des boutons sur un portable) qui ne sera pas reconnu par le système d’exploitation si le constructeur ne fournit pas le bout de programme ad-hoc. Et le temps que la communauté développe le pilote manquant, un certain nombre de consommateurs peuvent s’estimer floués…

En 2008, Darty avait été poursuivi par l’association UFC-Que Choisir pour vente liée PC et logiciels, mais le tribunal l’avait déboutée (lire ici). La société Darty avait quand même été condamnée à détailler le prix des logiciels installés sur un PC. Cette obligation avait été retirée en appel.

Le jugement d’appel peut être lu ici (pdf).

J’en reproduit ici un extrait qui me semble intéressant :

Darty justifie d’ailleurs que ces ordinateurs, ainsi équipés, lui sont facturés globalement, sans distinction entre le prix de l’ordinateur et celui des logiciels, et que ses demandes pressantes adressées le 26 juin 2008 à ses fournisseurs (Toshiba, Asus, Apple, Packard Bell, Sony, Hewlett Packard, Fujitsu-Siemens et Acer), dans le but de satisfaire à l’injonction du tribunal, sont demeurées vaines, Apple ayant répondu que ses logiciels, conçus par elle, ne sont pas vendus séparément, Hewlett Packard ayant fait valoir que “les logiciels qu'(elle) se procure en très grandes quantités pour en équiper ses ordinateurs doivent être distingués de ceux disponibles dans le commerce et que ces composants ne font pas l’objet d’une commercialisation séparée” et qu’elle estimait en conséquence que “le prix des logiciels dont elle équipe ses machines et dont elle n’est pas par ailleurs revendeur est un élément de la structure du coût de ses ordinateurs et relève du secret des affaires”, et les autres n’ayant tout simplement pas accédé à sa requête;

Où en est-on en 2015 ? Je ne suis pas juriste, donc, je ne peux pas vous dire dans quel sens les textes de loi ont évolué. J’espère que le moment est venu de se reposer la question de la vente liée.

Il faudrait sans doute définir dans la loi plusieurs sortes de consommateurs : celui qui souhaite une machine “clef en main” et celui qui peut accepter une machine nue, avec une réduction de prix, même modique. Il faudrait que les constructeurs fournissent les pilotes de leur matériel propriétaire. Il faudrait que les constructeurs acceptent d’installer plusieurs systèmes d’exploitation en OEM pour assurer la pleine exploitation de leurs machines et l’égalité des armes.

La gratuité annoncée de Windows 10 va peut-être débloquer cette situation, développer les parts d’utilisation des OS alternatifs et permettre au consommateur d’avoir le choix. La guerre des OS n’est pas prête de s’arrêter.

Pour l’instant, ce projet d’expertise est en attente, et je me contente de contribuer au point n°10 de cette liste, et d’acheter mes ordinateurs nus sur les sites qui le proposent.

En attendant mieux.

Désolé.

————————————————-

Source dessin : Bruno Bellamy

7 réflexions sur « GNU/Linux et la vente liée »

  1. très bon article mais je pense au contraire que l'arrivée de windows 10 va compliquer l'installation d'OS aternatifs. En effet Microsoft a annoncé que la possibilité de désactiver le secure boot dans l'UEFI serait maintenant optionnelle et non obligatoire comme ça l'était avec windows 8

  2. Il faut aussi prendre en compte que la vente liée n'est pas qu'un problème de linuxien.
    Ormis les utilisateurs d'OS alternatifs, ça peut être problématique même si on veut Windows, pour peu qu'on ne soit pas Mme Michu qui veut juste un truc qui marche. On peut vouloir installer windows, mais pas celui installé par le constructeur.

    Par exemple :
    – un geek qui veut une version pro et non familiale
    – un étudiant qui possède une licence MSDNAA
    – un gamer qui change de PC tous les ans et voudrait récupérer l'ancienne licence plutôt que d'en prendre une nouvelle OEM à chaque fois
    – une entreprise qui a une licence en volume et/ou a mis en place des outils de déploiement
    – quelqu'un qui ne veut simplement pas installer tous les utilitaires fournis par le constructeur, c'est plus rapide d'installer un windows vierge (français, suivant, disque 0, suivant, installer) que de faire le ménage sur les installs qu'on nous fournit. On peut aussi simplement ne pas avoir confiance dans l'install du constructeur (cf l'affaire de Lenovo et son spyware Superfish).

  3. Et être militant en étant membre d'association comme un LUG, la quadrature du net, rakceticiel etc ?

  4. Il se vend davantage de tablettes et smartphones que de PC.
    Qui a osé parler de vente liée sur ces engins ? Pourtant, je devrais pouvoir installer une autre version d'Android ou un CyanogenMod dessus.

    • Dans le cas d'Android, Google a réussi a être plus roublard que Microsoft (ce qui n'est pas un mince exploit) en proposant ce système "gratuitement" (je ne connais pas les deals secrets qu'ils peuvent avoir avec les fabrcants) à la condition d'avoir les apps Google de base (PlayStore, Gmail, Youtube…) préinstallées avec le smartphone/tablette/set top box. Cependant rien n'empêche un fabricant d'installer un système Android expurgé de ses Google Apps : AOSP. Sony, par exemple propose (aux plus courageux) les sources pour certains modèles de sa gamme.

  5. Parfois le plus simple est le mieux: OK pour une machine préinstallée afin de convenir au plus grand nombre… mais alors, tout simplement, on détaille à part sur la facture la clef de licence demandée au 1er démarrage pour activer le système préinstallé.

    Ainsi celui qui veut y mettre Linux/BSD ou autre reste libre de se renseigner sur le matériel et son support, via la fiche technique (on imposera juste un bon niveau de détail) et les commentaires d'autres utilisateurs.

    Bien des vendeurs acceptent d'ailleurs le démarrage d'une machine d'expo sur un live-CD, afin de voir à l'essai ce qui fonctionne.

    Les obligations pourraient donc se résumer a une clef de licence détaillée à part et un fiche technique permettant d'éviter les composants à problème (certains GPU/cartes réseau sans fil en particulier).

  6. Windows 10 "pourrait" (avec tout le conditionnel possible) être gratuit (free as in beer) mais pas libre (free as in speech – comme le clame Richard Stallman… ce qui est toujours utile de rappeler quand on évoque GNU/Linux -). Cependant dans le cas du problème de vente liée de Windows avec un PC est sans doute un argument faux cul de la part de Microsoft qui va certainement continuer ses fructueux deals avec les OEM tant que la justice ou GNU/Linux ne leur fassent sentir le vent du boulet. De plus, du fait de la position hégémonique d'Android sur tablettes et set top box, Microsoft a rendu gratuit Windows 8.1 sur tablettes 7 pouces et moins et sur set top box avec processeurs Intel. Donc je ne pense pas que Microsoft proposera Windows 10 gratuitement sur des systèmes ou Windows est déjà leader du marché à moins de vouloir réduire la fragmentation due aux anciennes versions. My two cents.

Les commentaires sont fermés.