La peine de mort

Je lis actuellement un ouvrage ancien intitulé « Histoire de la médecine légale en France d’après les lois, registres et arrêts criminels » par Charles Desmaze, publié en 1880.

Il y a dans cet ouvrage quelques extraits que je brûle de vous faire partager.
S’il y a encore parmi mes lecteurs quelques égarés partisans de la peine de mort…
Le texte est écris par un médecin qui ne cache pas sa sympathie pour la peine capitale. Ces mots et expériences m’ont fait frémir.
Cœurs sensibles s’abstenir, alcooliques réfléchir, carabins à vos notes.

Extraits:
Depuis la fin du dernier siècle [ndz: le texte est écrit en 1880], un nouveau mode de supplice, rapide mais sanglant, a été admis en France, comme occasionnant moins de douleur que ceux qu’on avait employés jusqu’alors [ndz: le 15 avril 1792, on essayait à Bicêtre, pour la première fois et sur un cadavre, l’instrument du supplice que venait d’inventer le docteur Guillotin]. Pendant longtemps, on ne songea pas à mettre en doute la supériorité de la guillotine sur la pendaison et le supplice de la hache. Mais, dans ces dernières années, quelques écrivains, des médecins même, ont affirmé que la décapitation est indigne de notre civilisation et qu’elle inflige au criminel de longues souffrances. Ils oubliaient que les physiologistes du siècle dernier, et parmi eux Bichat, avaient réfuté d’avance ces affirmations, qui sont en contradiction avec ce que nous apprend la physiologie expérimentale, avec ce que l’on sait du mécanisme de la mort subite.

« Quoi de plus grave, comme le disaient, en 1870, MM. les docteurs Evrard et Dujardin-Beaumetz dans leur excellent travail sur le supplice de la guillotine, quoi de plus grave, en tout état de cause, que de jeter dans un public incompétent, cette affirmation hardie, et quoi de plus propre à troubler la conscience des citoyens à qui la loi impose le devoir de juger les criminels? La crédulité publique recherche avec avidité et accueille avec une faveur aussi cruelle que malsaine, les histoires émouvantes: la tête de Charlotte Corday rougissant sous le soufflet du bourreau, deux têtes se mordant dans le panier funèbre, le fond des sacs rongé par les dents des suppliciés sont des récits traditionnels, que leur imagination commente sans s’arrêter à l’invraisemblance. Les partisans de l’abolition absolue de la peine de mort, ont trouvé dans ces horreurs un argument persuasif, car ils s’adressent à cette pitié instinctive et profonde que les cœurs les plus affermis éprouvent pour l’homme qui va payer de sa vie l’excès même de ses crimes. »

C’est pour réfuter encore une fois ces assertions que le docteur Evrard, médecin des prisons de Beauvais, a voulu renouveler les expériences qu’il a faites en 1870, avec le docteur Dujardin-Beaumetz, médecin de l’armée.
Ce médecin demanda et obtint qu’on lui livrerait les restes d’un supplicié, immédiatement après l’exécution. Il nous avait invités, avec mon fils, dit le docteur Gaston Decaisne, à l’aider dans ces expériences, et nous nous rendîmes à cet effet, le 13 novembre 1879 à Beauvais […]
Le condamné était un nommé Prunier, âgé de vingt-trois ans, charretier à Trie-la-Ville, dans le département de l’Oise. Il avait, sans motifs aucuns, tué une vieille femme, l’avait violée, avait chargé le cadavre sur ses épaules et l’avait jeté à la rivière. Dix minutes après, voulant s’assurer que sa victime était morte, il retournait à la rivière, apercevait le corps qui flottait, le tirait hors de l’eau par les pieds et renouvelait ses outrages. Puis il abandonnait le cadavre et allait coucher chez son père, à quelque distance du crime. Il fut réveillé par les gendarmes, qui vinrent l’arrêter quelques heures après et à qui il fit les aveux les plus complets.

Le jour du crime, il s’était levé en disant: « Il faut que je fasse un coup aujourd’hui, je veux me battre. » Il parcourt les cabarets du pays et du village voisin, il boit outre mesure […]. Depuis près de cinq ans, Prunier s’adonnait aux boissons alcooliques et il a toujours attribué son crime à la boisson. Il résulte des dépositions de plusieurs témoins entendus dans l’instruction qu’à différentes reprises et depuis quelques années, poussé par des instincts génésiques, il avait poursuivi de ses brutales obsessions plusieurs femmes du pays, qui n’avaient échappé à ses tentatives criminelles que par la fuite.

Le 13 novembre 1879, Prunier payait de sa tête le crime odieux dont il s’était rendu coupable [ndz: à l’époque les exécutions avaient lieu sur la place publique]. Rien dans sa conduite à la prison de Beauvais n’a pu faire soupçonner, un seul instant, l’existence d’une perturbation des facultés mentales […]

Les restes du supplicié nous ont été remis à sept heures cinq minutes du matin, c’est-à-dire entre quatre minutes et demis et cinq minutes après la décapitation. Le corps était placé à plat ventre dans le panier, dont le fond était garni de sciure de bois, la tête reposait sur le côté gauche. Celle-ci présentait à peine quelques rares taches de sang, isolées dans le voisinage de la section. Pas de sang au niveau des lèvres et de la conque des oreilles. Rien, en un mot, indiquant que l’extrémité céphalique ait pu être le siège de mouvements convulsifs immédiatement après sa chute. Ce qui confirme encore cette supposition, c’est que les oreilles ne contenaient à peine que quelques parcelles de sciure de bois.

Cette tête, placée immédiatement sur une table, en plein air, au milieu du cimetière, présente l’aspect suivant:
Les yeux sont fermés. Si l’on entr’ouvre les paupières, on aperçoit le globe de l’œil fixe et affaissé. Les pupilles sont égales et moyennement dilatées. La face est pâle, mate, complètement exsangue, offrant une apparence de stupeur. La mâchoire est légèrement entr’ouverte. Les conjonctives, les lèvres, la langue, toutes les muqueuses, enfin, sont absolument décolorées.
La section très nette est située à un niveau élevé. Elle correspond, en effet, à l’intervalle qui sépare la troisième et la quatrième vertèbres cervicales. Une lamelle osseuse a été détachée de la face supérieure de cette dernière […].
C’est alors que l’un de nous appelle plusieurs fois de suite le supplicié par son nom, en s’approchant aussi près que possible du conduit auditif. Aucun mouvement de la face ou des yeux ne trahit la moindre perception.
On pince fortement la peau des joues, on introduit dans les narines un pinceau imbibé d’ammoniaque concentrée, on cautérise la conjonctive avec un crayon de nitrate d’argent. aucune contraction, aucun mouvement ne se produisent; la face conserve son impassibilité. Une bougie allumée placée immédiatement auprès des yeux largement ouverts, avait déjà donné un résultat négatif, alors même que la flamme léchait le globe oculaire […].

Ces premières expériences une fois terminées, notre but principal était rempli. Nous avions acquis, autant qu’il est humainement possible, la certitude que la tête du supplicié ne sentait plus, ne percevait plus, ne vivait plus. Nous procédons alors à l’extraction du cerveau […].

Tous les muscles réagissent à l’électricité. C’est ainsi qu’après l’ablation du cerveau, on provoque toutes les contractions des muscles de la face, le grincement et le claquement des dents, les mouvements des yeux, l’élévation et l’abaissement des paupières. De même par l’électrisation des muscles intercostaux et du diaphragme, on provoque artificiellement les mouvements respiratoires. […] Des contractions énergiques sont également obtenues dans les muscles des membres. Nous avons pu ainsi faire élever les bras, fléchir les avant-bras, les poignets, et les doigts sont venus serrer fortement la main de l’un de nous. Cette réaction musculaire persistait une heure et demie après la décapitation, c’est-à-dire au moment où les restes du supplicié ont été remis aux fossoyeurs.

Telles sont les seules expériences qu’il nous ait été donné de faire, vu le temps limité dont nous disposions par suite des nécessités de l’inhumation […] Quant à l’injection de sang oxygéné dans les vaisseaux crâniens, outre qu’elle ne pourrait donner de résultat qu’à la condition d’avoir la tête au moment de sa chute, les moyens matériels nous manquaient pour la mener à bonne fin. Cette expérience ne serait d’ailleurs praticable que si les exécutions avaient lieu à l’intérieur des prisons. Encore une fois le seul but que nous avions en vue a été atteint, et nous avons acquis la certitude que la mort est immédiate après la décapitation par le couperet de la guillotine.

Comme les confrères qui assistaient à nos expériences, nous avons été frappés de l’état particulier que présentait le cerveau du supplicié. Les lésions [que nous y avons trouvées] étaient le produit manifeste d’un travail pathologique à marche plus ou moins lente, qui ne s’était traduit pendant la vie par aucun symptôme appréciable. Comme nous l’avons dit, Prunier passait dans le pays pour un butor obéissant aux plus bas instincts. Doué d’une force musculaire peu commune, il cherchait volontiers querelle. Depuis plusieurs années, il s’était adonné aux boissons, et l’étude de son dossier faite avec soin nous a laissé la conviction que le jour du crime, il était sous l’influence de l’alcool.

Faut-il conclure de là qu’il était irresponsable?

« Histoire de la médecine légale en France d’après les lois, registres et arrêts criminels » par Charles Desmaze, 1880, p203-212.

8 réflexions sur « La peine de mort »

  1. quel est le rapport avec le fait qu’il faut être pour ou contre la peine de mort?
    je n’ai pas compris le lien, car me semble t’il cet article prouvant que le supplicié ne souffre pas, serait plutôt pour la peine de mort et pour utiliser la guillotine ?

  2. Avec tout le respect que je vous dois, il me semble évident que les méthodes utilisées à l’époque pour vérifier la souffrance du supplicié ne prouvent pas grand chose.
    Il est parfaitement possible d’imager que la conscience survive quelques secondes au tranchoir de la guillotine (avec de plus l’effet d’allongement du temps lié au stress). Cela montre toute l’horreur de cet outil.

    Et quid de la souffrance pré-supplice?

    La barbarie des supplices utilisés antérieurement ne doit pas masquer la barbarie de la guillotine qui revient à couper un corps en deux.

    De plus, il paraît évident (à mes yeux) que le médecin, bien que convaincu de la nécessité de la peine de mort, soulève quand même la question de la responsabilité. N’était-ce pas l’alcoolisme qui a guidé le comportement atroce de cet homme?

    Et si cet homme était innocent?

  3. oui la responsabilité est un autre débat mais restons sur la souffrance : que penser de la méthode par injection léthale avec trois injections, la première, du thiopental sodique est injecté, qui est destiné à endormir le condamné, la seconde, du bromure de pancuronium, qui est destiné à paralyser les muscles et les poumons, et la troisième, du chlorure de potassium, qui est destiné à provoquer un arrêt cardiaque et à la polémique qui est intervenue ?

    voir wiki pour la description des souffrances endurées :
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Injection_l%C3%A9tale

    alors injection, chambre à gaz, pendaison, électrocution ou guillotine ?

    quitte à tuer, il semble que la quillotine soit un gage de non souffrance ou du moins bien moindre souffrance que les autres méthodes, n’est il pas ?

  4. Je n’en suis pas si sur.

    Et de mon point de vue, aucune des méthodes n’est à envisager, puisque seule la privation de liberté n’est pas barbare.

  5. Mon propos vous l’aurez compris n’était pas pour ou contre la peine de mort, ni est ce que la peine de mort est barbare ou non : Mais pour ou non une méthode où la souffrance est moindre ou nulle, si exécution il doit y avoir.
    Pour moi, la guillotine dans ce cas est la meilleure des solutions, tout comme pour ce médecin.

    Je vais vous relater une anecdote personnelle : étant bien plus jeune, j’ai un accident de plongée en apnée : arrêt respiratoire et perte de conscience.

    Voici ce que j’ai ressenti : tout est noir (normal je suis inconscient sous l’eau, yeux fermés), je sens que je suis dans l’eau, un rêve commence : je suis en train de nager dans une piscine en faisant du crawl, je sens que je manque d’air, j’essaye de sortir la tête hors de l’eau (dans mon rêve), je n’y arrive pas, elle reste bloquée sous l’eau, je sens parfaitement l’eau sur mon corps.
    Nota Bene : je ne vois pas de tunnel noir avec de la lumière au bout, ou un ange ou Jésus, Bouddha ou autre qui vient m’accueillir.
    Par contre, je commence à ressentir une forte brûlure au niveau des poumons, j’essaye toujours de sortir la tête hors de l’eau (toujours dans mon rêve), la brûlure augmente, elle devient intolérable, tout ma cage thoracique devient un brasier ardent, la douleur est horrible.

    Enfin je tousse, je crache, je halète : je viens de me réveiller à l’air libre, un secouriste présent m’a sorti de l’eau et fait du bouche à bouche pour réenclencher ma respiration : durée de l’arrêt respiratoire environ 1 minute.
    Ca correspond : dans mon rêve le temps de brûlure était approximativement cela, pas « des siècles », donc aucune distorsion du temps.

    J’en conclu, sans nulle doute possible pour ma part : que l’injection léthale où l’on met 10 minutes à mourir avec arrêt respiratoire (10 fois ce que j’ai subi) est une véritable torture, idem pour la pendaison ou la chambre à gaz où le temps est à peu près le même.
    La chaise électrique n’est pas instantanée non plus. Ne parlons pas de la balle dans la tête, où si la balle est mal placée (dans le sens mal placée pour entraîner un décès immédiat), le décès peut intervenir bien longtemps après

    Si je devais être exécuté et choisir ma méthode la guillotine aurait 100% ma préférence. Etant donné que l’inconscience n’enlève pas la douleur (dans mon cas en tout cas) et que je pense que les gens qui disent n’avoir rien ressenti (accident avec coma), ont sûrement dû ressentir la douleur mais ont perdu la mémoire de cette douleur au réveil, la seule méthode qui me paraît acceptable est la quillotine, qui réduit au maximum la durée de vie post-exécution et au moins le cerveau ne ressent plus la douleur du reste du corps.

    L’autre méthode qui, je pense ferait encore moins souffrir (dans la durée) est l’écrasement du corps complet par une broyeuse à voiture. Le temps d’écrasement étant d’environ un quart de seconde, la souffrance serait des plus réduite.

    Enfin voilà mon opinion.

  6. « puisque seule la privation de liberté n’est pas barbare. »

    Ah bon, elle existe encore ? Et que dire de l’initiative des rares prisonniers qui, n’étant pas libérés, avaient demandé qu’on les execute ?

  7. Quitte à choisir, pourquoi pas commencer par une anesthésie type opération chirurgicale ? Le reste devrait être indolore, non ?

    Quant à la méthode américaine par injection, si mes souvenirs sont bons j’ai lu quelque part (je crois dans un dossier de Courrier International d’il y a 3 ans), elle est interdite d’utilisation sur les animaux car les faisant trop souffir…

  8. @Anonyme

    La souffrance ne serait pas des plus réduites, mais totalement nul, du fait que la transmission de l'influx nerveux au cerveau est de plus de un quart de seconde. On peut le remarquer lorsqu'on se blesse ou que l'on se brûle, la douleur n'est pas instantanée.

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