Au bas de l’escalier

Je sors d’une réunion d’experts où j’ai eu à répondre à un feu nourri de questions. J’ai la tête en feu, et l’esprit vide.

Une bonne nuit de sommeil et me voilà en train de refaire mon exposé. Mais pourquoi n’ai-je pas présenté les choses comme cela, pourquoi n’ai-je pas dit cela? Je prépare même un discours que je n’ai pas tenu, tout en me faisant reproche de ne pas avoir été capable de le faire en direct.

Ce phénomène s’appelle “l’esprit de l’escalier“, par référence à un texte de Diderot intitulé Paradoxe sur le comédien:

Cette apostrophe me déconcerte et me réduit au silence, parce que l’homme sensible, comme moi, tout entier à ce qu’on lui objecte, perd la tête et ne se retrouve qu’au bas de l’escalier.

Seuls les esprits vifs et brillants peuvent, sans préparation aucune, écouter une question et y répondre immédiatement de la meilleure façon possible. Les autres, les esprits moyens ou médiocre comme moi, répondent du mieux possible, et se rendent compte le lendemain ou le surlendemain qu’ils auraient pu répondre autrement.

Wikipédia nous renvoie vers un autre auteur classique, Jean-Jacques Rousseau, qui écrit dans “Les Confessions” (livre III):

Deux choses presque inalliables s’unissent en moi sans que j’en puisse concevoir la manière: un tempérament très ardent, des passions vives, impétueuses, et des idées lentes à naître, embarrassées, et qui ne se présentent jamais qu’après coup. On dirait que mon cœur et mon esprit n’appartiennent pas au même individu. Le sentiment, plus prompt que l’éclair, vient remplir mon âme; mais, au lieu de m’éclairer, il me brûle et m’éblouit. Je sens tout et je ne vois rien. Je suis emporté, mais stupide; il faut que je sois de sang-froid pour penser. Ce qu’il y a d’étonnant est que j’ai cependant le tact assez sûr, de la pénétration, de la finesse même, pourvu qu’on m’attende: je fais d’excellents impromptus à loisir, mais sur le temps je n’ai jamais rien fait ni dit qui vaille. Je ferais une assez jolie conversation par la poste, comme on dit que les Espagnols jouent aux échecs.

Je ferais une assez jolie conversation par la poste…

Il est plus facile d’écrire un billet de blog, bien assis chez soi devant son ordinateur, que de répondre en direct aux questions d’une assemblée curieuse.

Mais on apprend toujours beaucoup sur soi, à s’exposer ainsi.

3 réflexions sur « Au bas de l’escalier »

  1. Bonjour,

    J’ai et je vis toujours ce même problème. C’est toujours frustrant. Mais avec le temps, j’ai appris a réfléchir 3 a 8 secondes apres une question. Cela laisse un blanc, mais la qualité de la réponse est meilleure. Et puis, je travaille autant que possible le sujet demandé.

  2. Merci de partager ce texte avec nous, il permet d’exprimer de telles frustrations!

    “l’esprit d’à propos n’est point toujours ponctuel”
    Beaumarchais

  3. C’est l’une des raisons pour lesquelles je prends un sacré plaisir à donner des cours et des formations dans ma discipline. Accroître ses capacités de réaction à vif, tout en apprenant l’humilité car j’ai remarqué que l’enseignement oblige à se remettre en question à chaque instant, bien plus que dans d’autres domaines.

    Cela étant, j’ai bien entendu vécu également le même syndrôme d’incapacité de répondre de manière optimale à chaud, puis de m’en rendre compte. Mais l’important, finalement, n’est-il pas de s’en rendre compte ?

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