Je suis contacté de manière plus ou moins aléatoire par des étudiants ou des lycéens qui doivent mener à bien un projet plus ou moins en rapport avec l’activité d’expert judiciaire.
Je réponds toujours et de temps en temps, j’en fais un billet pour permettre aux étudiants éventuellement intéressés de profiter aussi des réponses. Cela faisait longtemps que je n’avais pas pratiqué l’exercice, et désolé pour les lecteurs habituels du blog.
1. En quoi consiste exactement votre activité?
La profession que j’exerce, celle qui me nourrit, est responsable informatique et technique dans une école d’ingénieurs. Comme tout professionnel, mes connaissances et savoirs-faire intéressent l’institution judiciaire, qui peut en avoir besoin dans le cadre des affaires qu’elle a à traiter. Pour rendre plus simple le choix d’un professionnel par un magistrat, des listes sont établies auprès des cours d’appel et de la cour de cassation. Être inscrit sur l’une de ces listes fait de vous un « expert judiciaire ».
En pratique, mon activité est de répondre aux questions qu’un magistrat va me poser (que l’on appelle les missions de l’expert judiciaire) par écrit dans un document que l’on appelle un rapport d’expertise.
Dans mon cas, voici quelques exemples de questions:
– L’ordinateur X contient-il des images pédopornographiques?
– A quelle date l’ordinateur a-t-il été utilisé pour envoyer tel email?
– L’entreprise Y a-t-elle fait correctement l’informatisation de sa cliente Z?
2. Quel est votre revenu moyen?
Mon revenu moyen dépend du nombre d’expertises judiciaires que l’on va me confier. Certaines années, j’ai eu zéro dossier, et donc zéro entrée d’argent. Et pourtant, ces années là, j’ai du payer des charges sociales (forfaitaires), des abonnements logiciels spécifiques, des journées de formation, une assurance en responsabilité… Sinon, une expertise moyenne me prend environ 100 heures de travail, facturée 20 heures à 90 TTC euros de l’heure, soit 1800 euros.
3. Êtes-vous souvent demandé pour exercer votre activité?
Sur les dix dernières années, j’ai été missionné une cinquantaine de fois.
4. Pour chaque métier il y a des avantages et des inconvénients. Pouvez-vous en citer quelques-uns?
L’activité d’expert judiciaire n’est pas un métier. Vous devez avoir un vrai métier pour intéresser la justice, et être missionné de manière ponctuelle. Un expert judiciaire est un « collaborateur occasionnel du juge ». Néanmoins, je peux donner de manière très subjective quelques avantages et inconvénients, vus de ma fenêtre personnelle:
Avantages:
– prestige
– fierté de concourir à l’œuvre de justice
– pouvoir travailler dans le domaine de mon épouse avocate
– travailler aux côtés de personnes de grandes valeurs (magistrats, avocats, OPJ…)
Inconvénients:
– risques et responsabilités importants
– faible rémunération
– paiement des frais engagés parfois avec deux années de retard
– charge de travail qui s’ajoute à celle du métier normal
– complexité administrative (impôts, sécurité sociale…)
– pénibilité de certains dossiers (pédopornographie, crimes contre l’humanité, suicides, etc.)
5. Quelles sont les qualités nécessaires?
C’est une question difficile. A mon avis, il faut aimer son travail, vouloir progresser sans compter ses heures, et avoir le sens du service public.
6. Qu’avez-vous fait comme études?
Ingénieur en informatique industriel et docteur en intelligence artificielle.
7. Depuis combien de temps êtes-vous expert judiciaire?
Depuis 13 ans.
8. Qu’est ce qui vous a amené à devenir un expert judiciaire?
J’aidais mon épouse à comprendre un rapport d’expertise judiciaire informatique dans un de ses dossiers. Le rapport était clair et simple pour moi, mais compliqué et obscur pour les juristes. Cela m’a donné envie de mettre mes compétences d’enseignant-chercheur au service de la justice.
Voilà, j’espère avoir répondu à votre attente et vous souhaite toute la réussite pour votre projet.
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L’image provient d’une campagne de publicité pour un site d’emploi. Le slogan est « la vie est trop courte pour occuper le mauvais emploi ». Cliquez sur l’image pour l’agrandir.
Merci pour ces réponses intéressantes, une seule question me taraude : pourquoi ne facturer que 20h si tu passes 100h sur un cas ?
Parce que sur 100 heures, j'en passe au moins 60 à apprendre moi-même des techniques inforensiques intéressantes, et 20 à faire un travail administratif (courriers, prises de rendez-vous, gestion du dossier, copies de sauvegarde des données, téléphone, numérotation des pièces, photocopies, reliures…).
Il reste donc 20 heures où j'effectue réellement un travail d'expert dont je suis fier et que j'ai envie de valoriser.
Je sais que je devrais faire sur moi-même un vrai travail personnel pour entrer réellement dans le monde du business.
M. Zythom,
En lisant ce billet, une question technique m'est venue à l'esprit même si ce n'est pas le sujet de ce dernier.
Je n'ai malheureusement pas lu tous vos articles et je vous prie de m'excuser si vous y avez déjà répondu.
Est ce que dans certaines de vos missions vous avez eu à analyser un ordinateur déjà allumé? Si oui, comment procédez vous? Est ce que vous faites une copie de la mémoire vive? Si oui, quelle/quels méthodologie/outils utilisez vous?
Merci.
Annubis.
@Annubis: C'est une très bonne question car elle illustre parfaitement le travail d'un expert judiciaire: je n'ai jamais eu à intervenir sur un système allumé. Si je devais avoir à le faire, j'en serais averti auparavant (par la nature de l'intervention, par exemple, une perquisition). Je procèderais alors à une étude de l'état de l'art de tout ce qui se fait en la matière d'intervention sur un système allumé. Si je ne me sens pas capable de le faire, alors je refuse l'intervention. Pour me sentir capable, je m'entraine auparavant, en assistant à des colloques et en menant une veille sur le sujet.
Aujourd'hui, je ne dispose pas de cette compétence.
@Zythom : Il me semble que le travail administratif est celui qui mériterait le plus d'être rémunéré, non au titre de sa valorisation mais au titre de sa pénibilité… Si tu avais un(e) secrétaire, tu serais bien obligé de faire payer son travail à tes clients, non ?
@Annubis : Pour copier la RAM, sous linux on peut simplement utiliser la commande « dd ». Il est ensuite possible de s'amuser avec la commande « strings », mais même si ça permet déjà de faire pas mal de choses rigolotes (y compris, me semble-t-il, trouver des mots de passe), je ne suis pas certain que ça suffise pour un travail d'expert judiciaire.
Bonjour,
Je suis tombé sur votre blog à partir du blog de pentester.fr, et je le trouve très intéressant !
Une question un peu technique me taraude : vous est-il déjà arrivé d'avoir à déterminer qui était derrière une adresse IP à une date précise ? Quelle est la procédure à suivre dans ces cas là ? Que pouvez-vous faire si un proxy a été utlisé ?
Merci 🙂