Le regard de cette petite fille me trouble.
Elle est habillée d’un vêtement très moulant, tellement moulant que les grandes lèvres de son petit sexe forment deux bosses très apparentes. Les anglo-saxons ont un terme d’argot pour désigner cela: le camel toe. La pose très suggestive de la petite fille ajoute à ma gêne.
Je passe à la photo suivante. Même petite fille, même tenue, autre pose tout aussi suggestive. Le décor ressemble à une scène de théâtre un peu poussiéreuse, comme surannée. Le sourire forcé de la petite fille et sa pose coincée ajoute à la tristesse de la scène.
Je passe à la photo suivante. Je cherche à donner un âge à la petite fille, basé sur le fait que j’ai moi-même trois enfants. Je dirai cinq ou six ans, mais je peux me tromper. Je suis expert judiciaire en informatique, pas expert médical. Ma mission concerne la recherche d’images pédopornographiques sur le disque dur que la gendarmerie m’a confié sous scellé. Cette série de photos n’entre pas dans cette catégorie.
Je passe à la photo suivante. Est-ce ma perception de père qui me fait deviner dans le regard de cette petite fille une profonde tristesse ? Sa tenue de danseuse sexy en justaucorps moulant et les poses dans lesquelles elle est photographiée me semblent relever plus de la page centrale d’un magasine porno que de celle d’un ouvrage artistique.
Je passe à la photo suivante. Le décor a changé, mais le sol de scène de théâtre est le même. Toujours dans un style un peu kitsch, la petite fille évolue maintenant en tutu très court, le buste nu. Elle est gracieuse malgré tout.
Je passe à la photo suivante, et la suivante, et la suivante…
Je me tasse dans mon fauteuil, mes épaules se voûtent. Je deviens trop sensible pour l’activité d’expert judiciaire. Je pense à mes enfants.
Je note les dates et heures des prises de vue relevées dans les métadonnées EXIF des fichiers images. J’ajoute une rubrique à mon rapport d’expertise pour cette centaine de photos, laissant le magistrat décider de la nature juridique de la possession de ces clichés.
Oui, le regard de cette petite fille me trouble vraiment. Il me rend profondément triste et désespéré du genre humain.
Je ferme mon rapport d’expertise et j’éteins l’ordinateur.
Je suis fatigué, et l’heure tardive n’a rien à voir avec ça.
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Source image Luke Chueh
J’ai choisi ce dessin pour illustrer ce billet car il m’a toujours rendu triste et mal à l’aise.
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Toute mon amitié.
L'ancien fond noir ne vous manque pas, dans ces cas-là ?
Sincèrement,
Miko
Beaucoup.
J'ai déjà éprouvé une émotion de tristesse similaire en voyant une photo tout à fait de ce type.
Je crois que c'est typique des pervers (au sens psychiatrique du terme) que de jouer sans cesse avec les limites. Ils jouissent ainsi du pouvoir qu'ils ont sur les autres, en provoquant la colère et la tristesse sans risquer de se faire prendre.
Vous avez une vue d'ensemble des photos ou les visionnez une par une, sans savoir ce qui va venir ? Dans ce dernier cas je n'ose imaginer la pression en passant à une autre image.
Ce post me fait penser à "My Little Princess" (surtout le décor suranné), film parfois assez dur.
Je n'ai pas de vision d'ensemble et je suis obligé de visionner les photos une par une, et l'intégralité des films que je découvre sur un scellé. Dans le présent dossier, le pire était à venir.
Bonjour cher Zythom,
Je suis passionné depuis quelques mois par les techniques d'expertise judiciaire et j'ai cherché comment réaliser des missions pour la police afin d'arrêter les cybercriminels. Après quand je lis votre texte, je m'aperçois que de par ma sensibilité, je serais trop malheureux. Trop malheureux de devoir regarder ce type d'images, de voir une telle souffrance et d'y assister. Déjà ce fait divers m'avait fait pleurer (https://www.leparisien.fr/faits-divers/proces-au-moins-30-ans-requis-contre-les-parents-de-marina-25-06-2012-2064706.php), je peux pas comprendre à vrai dire, ça dépasse les portes de ma conception des choses.
Courage
Qu'en peu de mots ces choses sont (bien) dites…
Vous m'avez flingué la journée.
Monde de merde…
Votre blog à cette particularité, en fonction de vos articles, de me faire passer d'un état très positif, au plus profond désespoir.
Merci
Que dites vous dans votre rapport? "images qui me semblent avoir un charactere pedo-pornographiques"? Ou "images sur lesquelles j'attire votre attention"? Vous aviez dit il fut un temps que ce n'est pas a vous de decider si une image est pedo-pornographique. C'est quoi votre methodologie pour decider ce que vous montrez au juge?
La réponse à cette question se trouve, je pense, dans ce billet.
En lisant ce billet, je ne peux m'empêcher de penser aux photos de David Hamilton : rien de pornographique, mais un sentiment de lascivité qui met mal à l'aise. Et pourtant, pas d'acte sexuel montré…