Parfois, je me rend compte à quel point je peux être pitoyable, à mes yeux tout au moins. Pour beaucoup de lecteurs (à ce que je comprends de certains emails que je reçois), je suis une sorte de héros hypercompétent capable de tout faire en informatique. C’est très loin d’être le cas: je suis nul en sécurité informatique, je suis nul en développement informatique moderne, je ne capte rien en téléphonie mobile, je ne connais pas la différence entre un processus et un thread, je ne dispose pas d’outils extraordinaires, ni de connaissances incroyables…
J’ai déjà expliqué tout cela en images dans le billet « expert judiciaire, ce qu’on pense que je fais« .
La justice n’ayant aucun moyen technique à m’offrir, les services de l’état (police ou gendarmerie) ne fournissant aucun logiciel ni matériel aux experts judiciaires hors de leur rang, je me débrouille comme je peux. En voici un exemple.
Un scellé m’est remis pour analyse, avec comme mission principale de relever la présence éventuelle d’images ou de films pédopornographiques. Après la copie du disque dur, me voici à analyser tous les fichiers encore présents, entiers ou sous forme de traces dans les recoins du disque dur.
A un moment de mes observations manuelles, je note la présence du logiciel Shareaza. Je n’ai bien évidemment rien contre le partage P2P, technologie parfaitement légale, mais dans le cas que l’on m’a confié, je m’intéresse de près au contenu partagé.
N’ayant pas la chance de disposer d’un logiciel de type P2P Marshal, me voilà avec sur les bras des dizaines de fichiers avec des noms longs comme un jour sans pain et des extensions « .partial » et « .sd ».
Les fichiers « .partial » contiennent les données en cours de téléchargement (ou de partage) et les fichiers « .sd » contiennent des données de gestion des téléchargements. Une ouverture de ces fichiers .sd avec Notepad++ montre une partie en clair contenant le nom du fichier en cours de téléchargement. Intéressant ! Je trouve dans la plupart des fichiers .sd des noms contenant des références pédopornographiques. Je note tout cela dans mon rapport.
J’installe sur un ordinateur monté pour l’occasion (une machine virtuelle en fait) le logiciel Shareaza que je récupère sur internet dans la même (ancienne) version que celle trouvée sur l’ordinateur placé sous scellé. Je télécharge quelques vidéos et documents mis en partage de manière légale par des internautes, et j’observe le comportement des différents fichiers .part et .sd lors des différentes manipulations.
A un moment, je réalise que, comme la plupart des fichiers .part nommés dans les fichiers .sd contiennent des vidéos, il me suffit de renommer les fichiers en question avec l’extension correspondant au type de vidéos qu’ils sont censés contenir: j’ajoute .avi/.mpg/.mov au choix après l’extension .partial et j’essaye d’ouvrir la vidéo avec VLC.
VLC est un logiciel fantastique qui a entre autre la capacité de lire des vidéos incomplètes, avec des pans entiers manquants.
Bingo, j’arrive à lire toutes les vidéos (ou presque), dont celles de nature pédopornographique. Je passe encore un week-end pénible, à classer les vidéos, à en extraire des images choisies pour le rapport et à les graver sur un DVD annexé au rapport.
Rien d’autre qu’un travail fastidieux, loin de l’image d’Épinal de l’expert omniscient et omnipotent, enfermé dans mon bureau pour éviter que mes enfants ne voient leur père regarder des images pédophiles sur ses écrans.
Je l’ai déjà écrit moultes fois ici même: je suis nul et je suis faible.
« Nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants. Nous voyons
ainsi davantage et plus loin qu’eux, non parce que notre vue est plus
aiguë ou notre taille plus haute, mais parce qu’ils nous portent en
l’air et nous élèvent de toute leur hauteur gigantesque. » (Bernard de Chartres, XIIe siècle)
Évidemment, les géants représentent nos prédécesseurs, mais aussi le
savoir accumulé dans les livres ou sur internet. C’est aussi
l’expérience de nos collaborateurs, les conseils de nos aînés, les avis
de nos confrères.
Merci à tous les géants.
j'aime beaucoup ta façon de rédiger et cette citation sur les Géants.
Je fais le même travail que toi pour la Police Nationale. Je suis ICC, investigateur en cyber criminalité. J'ai relu ton billet sur "je suis seul, je suis faible". Je ne pense pas que nous partagions beaucoup plus que toi nos expériences. Nous sommes très peu nombreux, rarement plus d'un par département pour les zones autres que Paris ou Marseille…
Très sincèrement mes autres collègues ne veulent pas entendre le récit de ce que je vois. Le simple fait de parler "enfant" et "sexe" fait naître sur leur visage des expressions de dégoût….
Normal, mais de fait, nous sommes toujours seuls, comme toi.
En ce qui concerne les psychologues travaillant chez nous, je n'en ai jamais rencontré… Je ne sais même pas s'ils ont conscience de l'atrocité des images que nous devons trier et connaissance du fait que nous existons.
Tu es comme moi et tant d'autres, un maillon travaillant pour le bien être de la société et la défense des intérêts des enfants. Merci à toi et tant mieux si tu as trouvé dans ton blog, l'exutoire qui te permet de passer outre tout ça et continuer ton chemin. Au plaisir de te lire de nouveau…
Je ne sais pas comment vous pouvez supporter de telles images, mais heureusement que vous le faites, pour les enfants, et les parents de ces enfants.
vous répétez que vous n'etes pas un surhomme, ni un heros, et pourtant faire ce que vous faites dit tout le contraire, pour les enfants n'abandonner pas.
je suis technicien info, et je redoute chaque jour de tomber un jour sur ce genre de donnée sur les disque dur de mes clients, car j'ai une fille et la chance de ne pas être confronter à ce problème, passé sous silence trop souvent, que tant de parents doivent vivre .