Je ne suis pas très friand de mondanités et j’arrive à échapper à presque toutes les rencontres informelles entre experts de justice et magistrats. Je n’aime pas l’idée de me mettre en valeur pour me vendre, et les conversations sont souvent monopolisées par quelques égos inopportuns.
Pour autant, il m’est arrivé de me retrouver invité à une audience solennelle où un confrère a eu l’idée curieuse de me présenter au nouveau magistrat instructeur. Pensant échanger quelques banalités pendant cinq minutes, je fus surpris lorsqu’il me demanda « Bon, qu’est-ce que vous savez faire? ».
Moi: « Heu, ben, heu, je sais extraire des informations d’un disque dur… »
Lui: « Oui, certes, mais qu’est-ce que vous savez faire d’extraordinaire? »
Moi: « Ben, en fait, rien d’extraordinaire. Je connais bien les procédures, je connais bien l’informatique, mais je ne vois rien de particulièrement extraordinaire à raconter. »
Lui: « Ah bon? Là d’où je viens, je travaillais avec un expert capable de faire parler les imprimantes »
Moi: « Ah, ça !
Oui, cela va dépendre du modèle et du contexte mais il ne devrait pas y avoir de problème. »
Et me voilà parti dans un exposé général sur la technologie des imprimantes, où j’explique que j’ai déjà eu à démonter une vieille imprimante pour y chercher un composant de stockage. J’ai parlé des photocopieurs/imprimantes en expliquant comment récupérer les dernières impressions stockées sur le disque dur interne du photocopieur.
Parfois les données sont chiffrées par le constructeur, il faut alors le contacter pour pouvoir récupérer les informations.
Pour les imprimantes des particuliers, le plus simple reste d’analyser le contenu du disque dur des ordinateurs qui conservent trace des fichiers générés lors des impressions. Il « suffit » de disposer des logiciels analysant les différents langages d’impression utilisés par les constructeurs d’imprimante.
Le magistrat m’écoute attentivement, puis me dit d’un regard amusé :
« un grand pouvoir donne une grande responsabilité… »
Je n’ai jamais su s’il faisait référence à Winston Churchil ou à Spider-Man. Ni s’il évoquait l’intrusion dans le monde du secret, du confidentiel, de la vie privée. Ou s’il se moquait gentiment de moi.
Mais depuis, quand je passe près d’une imprimante, je pense « toi, si tu pouvais parler, qu’est-ce que tu pourrais raconter? »
Et parfois, cela me fait peur.
