Une histoire d’onduleurs

Un jour, j’ai été missionné comme expert judiciaire par un magistrat sur un dossier de litige entre une entreprise et son fournisseur d’onduleurs. L’affaire semblait plutôt simple. La salle serveurs de l’entreprise était maintenue sous tension par un groupe d’onduleurs, eux-mêmes alimentés par un groupe électrogène. Un matin, les salariés ont trouvé les serveurs éteints. En essayant de les redémarrer, ils n’ont pu que constater que les onduleurs n’étaient plus opérationnels. Le litige avec le fournisseur des onduleurs, qui assurait également leur entretien, commence là.

J’ai accepté la mission, j’ai contacté les avocats et les parties concernées pour trouver une date de première réunion d’expertise, et le jour J me voilà sur place pour étudier les pièces du dossier et les lieux.

La salle serveurs est plutôt grande pour ce type d’entreprise, les onduleurs dysfonctionnels ont été laissés sur place à côté de leurs remplaçants. J’analyse sur pièce et sur place l’ensemble du système et tout semble bien dimensionné.

Mon problème est que le magistrat a indiqué dans les missions qu’il faut que je découvre la cause du dysfonctionnement. Un sous-dimensionnement ou un manque d’entretien aurait pu être la cause de la panne mais ce n’est pas le cas ici. La journée d’expertise se passe et je collecte le plus d’informations possibles en plus des copies des dossiers des parties. Une date est prise pour une deuxième réunion dans deux mois, premier créneau disponible pour tout le monde. Je rentre chez moi dubitatif.

Il y a beaucoup de causes possibles pour qu’un onduleur tombe en panne : surcharge, surtension, problème de batteries, de composants, une surchauffe, une humidité excessive, etc. Mais mon problème ici est que tout le groupe d’onduleurs est devenu dysfonctionnel, que la maintenance est régulière, que les équipements sont récents, que les locaux sont adaptés et l’alimentation électrique stable.

Il va falloir démonter et analyser l’intérieur des onduleurs. Et pour cela, je vais devoir m’adjoindre les services d’un sapiteur, ce qui est toujours une complexité dans la procédure. Mais je dois me rendre à l’évidence, c’est le moyen le plus efficace pour résoudre cette énigme. Je trouve un technicien pointu sur ce type d’onduleur et lui propose d’intervenir à la date de la prochaine réunion d’expertise.

Parmi mes hypothèses de cause possibles de cette panne, la surtension arrive en bonne position. Problème : comment savoir si une surtension électrique a eu lieu sur le réseau de transport d’électricité d’EDF, géré par sa filiale RTE ? Je me doute bien que ce réseau est supervisé par des sondes qui gardent un historique, mais comment accéder à cette information ? Mes contacts chez EDF se limitent à mon réseau familial et professionnelle et tous travaillent dans des bureaux parisiens loin du terrain…

Je me dis qu’un coup de foudre sur un pylône peut donner lieu à une surtension, mais qui contacter pour savoir si la foudre est tombée telle nuit, il y a six mois ? Je ne connais personne dans mon cercle de contacts qui saurait répondre à cette question précise…

Je pense alors à la presse quotidienne régionale. Mon beau père est abonné à un titre papier et je sais qu’il garde beaucoup de ses exemplaires. Lorsque je passe le voir, je lui demande les exemplaires publiés ce jour là et les jours suivants. J’ai de la chance, il les a gardé et je commence à les feuilleter. Rien…

J’emmène les exemplaires du journal en lui promettant d’en prendre soin et de les lui ramener, et une fois chez moi, je lis chaque page sur les affaires locales à la recherche d’une piste. Et bingo !

Ceux qui suivent ce blog depuis longtemps, ont peut-être lu ce billet de 2013 intitulé « l’incendie » où je raconte un événement qui m’avait bien secoué en tant que responsable technique : l’incendie du poste de transformation électrique de mon entreprise pendant un dimanche d’été mémorable ; allez le (re)lire, j’ai appris beaucoup de choses ce jour là, dont la part de chance que j’ai eu.

Et en lisant les journaux gardés par mon beau père, je vois que la fameuse nuit où les onduleurs ont rendu l’âme, un transformateur a pris feu dans un quartier proche de l’entreprise. Le feu a été rapidement circonscrit et le courant tout aussi rapidement rétabli. Mais je me souviens d’avoir appris pendant ma propre expérience que les transformateurs sont reliés ensemble dans une boucle locale, qui permet d’isoler le transformateur défectueux pour rétablir rapidement le courant chez les clients ne dépendant pas directement de ce transformateur. L’inconvénient est qu’une panne brutale d’un transformateur impacte tout aussi brutalement les autres transformateurs, avec une possibilité non nulle de surtension.

Le technicien sapiteur a pu prouver que la cause de la panne des onduleurs était liée à une surtension et j’ai pu proposer au magistrat de m’aider à obtenir de RTE les mesures de la supervision du réseau électrique de cette fameuse nuit, mesures qui montraient une brève surtension importante du réseau au moment de l’incendie du transformateur voisin.

J’ai pu déposer un rapport d’expert judiciaire précis et argumenté.

Merci à la presse quotidienne régionale (et à mon beau père).

5 réflexions sur « Une histoire d’onduleurs »

  1. Belle enquête ! J’ai eu l’automne dernier un incident électrique possiblement lié à une surtension d’autant qu’il y avait eu des travaux dans le secteur. A la demande de mon assurance, j’ai contacté Enedis qui m’a garanti qu’à l’heure indiquée il n’y avait pas eu de surtension. Mais je n’ai pas eu accès aux enregistrements…

    • « qui garde les exemplaires de la presse locale ? »
      Ben vous allez être surpris mais en général, la presse locale elle même. J’ai visité un local de Ouest-France dans les années 80, ils avaient un exemplaire papier de chaque journal depuis… des années. Dans le cas du titre précité, vous pouvez même maintenant consulter leurs archives en ligne.
      Mais mieux que cela, pour les livres et quotidiens à grand tirage, il y a depuis l’an… 1537, le « Dépot Légal ». Modifié à plusieurs reprises, il stocke tout ce qui est imprimé, et depuis 1992 les logiciels produits en France y sont aussi stockés. L’organisme en charge et la BNF et d’autres organismes tels que l’INA ou le Centre national du cinéma et de l’image animée.

  2. Il y a plusieurs années de cela, j’habitais dans une maison avec un portail électrique qui marchait très bien le matin. A mon retour le soir, après une coupure de courant dans le quartier, il ne fonctionnait plus.

    Mon assureur a mandaté un expert qui a contacté ErDF. ErDF qui a juré ses grands dieux que non, il n’y avait pas eu de surtension à la remise en service du courant.

    Bien sûr aucun moyen de prouver quoi que ce soit. Mon assureur m’a versé quelques euros après avoir appliqué un coefficient de vétusté et la franchise pour le mécanisme du portail.

    Etrange coïncidence, quelques mois plus tard, je me suis rendu compte que mon compteur EDF n’affichait plus rien: il avait lui aussi grillé. J’ai fait le rapprochement avec mon portail, mais pour un appareil à 1500 euros environ, j’ai laissé tomber.

    Depuis, ErDF qui reconnaît sa responsabilité, ça me laisse toujours songeur…

    Et il ne faut pas grand chose pour cramer un équipement domestique non protégé par un parasurtenseur. Dans un appartement construit en 1989 (donc avant que la norme n’impose des disjoncteur de 30 mA en tête de ligne), j’ai trouvé le moyen de sectionner la rallonge reliant mon taille haie électrique en coupant une haie. Le court-circuit provoqué (ou alors la remise en service une fois le disjoncteur réarmé) a abîmé l’EPROM de mon magnétoscope de l’époque… Le SAV a reflashé l’EPROM. Ca a marché un temps. Mais il a dû la changer un peu plus tard.

  3. Zythom, en complément de la PQR, vous avez aussi météoFrance qui doit tenir des archives des lieux d’impact de la foudre. Et certains sites spécialisés de fans de météo.
    J’ai cité plus haut la BNF qui stocke la presse depuis des siècles, mais si -on ne sais jamais 😀 – vous aviez à vous renseigner sur un événement important dans une commune datant d’avant la presse, je vous invite à consulter les registres paroissiaux. Une amie généalogiste avait remarqué que les curés rajoutaient souvent des détails tel que phénomènes météorologiques, astronomiques, ou politiques.
    Lol, et si on veut aller plus loin on pourrait peut être même trouver des traces. La foudre, c’est potentiellement un incendie donc des traces dans les couches du sol et les stries des arbres survivants. Il n’y a pas que sur internet qu’on trouve beaucoup d’information :D.

    PS: Merci de m’avoir fait découvrir le mot sapiteur.
    PS: akismet n’aime pas les navigateurs anonymisés, on dirait :(. Qu’il aille se faire onduler.

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