C’est la période où les cours d’appel envoient aux candidats à l’inscription sur les listes d’experts judiciaires la réponse tant attendue. Je le sais, car je reçois beaucoup de courriers de lecteurs se posant beaucoup de questions sur leur avenir judiciaire…
Alors , résumons un peu la situation: vous avez constitué un dossier de candidature que vous avez déposé avant le 1er mars. Vous avez peut-être été reçu en entretien par un magistrat qui vous a questionné sur vos capacités. Un policier ou un gendarme a mené une enquête de bonne moralité en questionnant vos voisins (ou votre conjoint). Les magistrats de la cour d’appel se sont réunis pour décider s’ils pouvaient vous inscrire sur la liste des experts judiciaires. Un greffier a rédigé leur réponse que vous tenez dans vos mains tremblantes.
Cas n°1: Vous n’avez pas été accepté à l’inscription sur la liste des experts judiciaires. Votre déception est à la hauteur du temps d’attente qu’aurait mis les tribunaux à vous rembourser vos frais d’expertises. Le choc est aussi sec que le ton du courrier que vous relisez incrédule…
Extrait du courrier que j’ai reçu le 11 décembre 1997:
Monsieur,
J’ai l’honneur de vous notifier, conformément aux dispositions de l’article 18 du décret n°74-1184 du 31 décembre 1974, relatif aux experts judiciaires, que votre candidature n’a pas été retenue pour l’année 1998 par le cour d’appel de [Tandaloor], réunie en assemblée générale le 24 octobre 1997.
Je puis vous indiquer que les décisions prises pour l’établissement des listes d’experts, ne peuvent donner lieu qu’à un recours devant la cour de cassation.
Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de ma considération distinguée.
Remarquez au passage qu’il a fallu un mois et demi pour rédiger ce courrier, ce qui donne une idée du temps judiciaire des sous-effectifs déjà à cette époque, courrier que je me permets de mettre en regard du courrier type que je reçois quand je un de mes étudiants postule à une offre d’emploi:
Monsieur,
Après analyse de votre candidature, et malgré la qualité de celle-ci, nous sommes au regret de vous informer que nous ne pouvons pas retenir votre dossier pour le poste de DSI du projet Mars 2014 (H/F) (Référence DTC2014) au sein de la société VoyageSansRetour. En effet, d’autres candidats ont un profil plus proche de celui recherché pour ce poste.
Nous vous remercions de la confiance que vous avez témoignée à VoyageSansRetour et nous vous prions d’agréer, Monsieur, nos sincères salutations.
Une fois passé l’amère déception (sisi, je vous assure, ça va passer), vous vous demandez ce qui a pu aveugler l’assemblée générale des magistrats de la cour d’appel et l’empêcher d’accepter de vous inscrire sur leur prestigieuse liste des experts judiciaires. Je vous donne quelques pistes:
– Vous vous êtes trompé de cour d’appel pour le dépôt de votre dossier de candidature. Vérifiez sur Google (ou mieux sur Duckduckgo), surtout si vous êtes en région parisienne. Etre inscrit sur la liste, ça se mérite…
– Votre candidature est excellente, mais les magistrats disposent d’assez d’experts excellents sur leur liste.
– C’est votre première candidature et les magistrats testent votre motivation (légende urbaine ?).
– Vous n’avez pas assez d’expérience car vous êtes encore étudiant et les magistrats pensent qu’il vous faut vous aguerrir un peu dans cette jungle impitoyable où s’affrontent les 16-70 ans et qu’on appelle le monde du travail. Et je ne parle même pas des stagiaires de troisième…
– Vous avez trop d’expérience ou celle-ci est trop ancienne à 69 ans en tant que retraité de l’aviation de chasse.
– Vous n’avez pas été nommé comme expert judiciaire dans des affaires d’envergure nationale ou internationale où vous auriez pu briller par votre excellence (je prends le cas où vous postuliez pour une inscription sur la liste des experts près la cour de cassation).
– Vous n’êtes pas assez qualifié (bruit du ciel qui vous tombe sur la tête).
Je n’ai qu’un seul conseil à vous donner: retentez l’année prochaine (avant le 1er mars), sauf si vous êtes étudiant auquel cas il faudra passer vos examens et attendre dix ans un peu pour acquérir de l’expérience. Si vous n’êtes pas pris la deuxième fois, laissez passer quelques années et retentez.
Cas n°2: Vous êtes accepté !!!!! / / / / /
Votre cœur bat à 200 pulsations par minute, et malgré les recommandations répétées de votre cardiologue, vous sautez de joie sur les différents murs de votre habitation, vous embrassez votre belle-mère, vous installez Gentoo Linux sur la tablette que vous avez reçue à Noël…
Mais passées ces dix secondes de joie incommensurable, un poids terrible s’abat sur vos épaules: serez-vous à la hauteur ? Vous errez dans votre quartier portant une lanterne et cherchant l’humanité, vous maigrissez et vos amis ne vous reconnaissent plus, vous doutez de tout, même de Gentoo…
Vous relisez encore une fois le courrier reçu pour essayer d’en déchiffrer le contenu caché au delà du premier paragraphe.
Voici celui que j’ai reçu le 17 décembre 1998:
Monsieur,
J’ai l’honneur de vous aviser de votre inscription sur la liste d’experts judiciaires de la cour d’appel de [Tandaloor] pour l’année 1999, sous la rubrique:informatique
Vous trouverez en annexe, pour faciliter l’exécution des missions qui vous seront confiées, une notice résumant les principales obligations de l’expert judiciaire.
Je vous serais obligé de bien vouloir vous présenter le lundi 11 janvier 1999 au siège de la cour d’appel de [Tandaloor], dans la grande salle d’audience (porte 101) afin de rencontrer les chefs de cour préalablement à votre prestation de serment qui aura lieu à 14h dans cette même salle.
Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de ma considération distinguée.
Ressaisissez vous !
Voici quelques conseils (et réponses aux questions que l’on me pose le plus souvent):
– N’achetez aucun matériel, ni bloqueur, ni PC surpuissant, ni microscope électronique, ni salle blanche, ni matériel Apple. Investissez dans une tenue sobre mais solennelle, pour votre prestation de serment, et répétez cent fois devant un miroir et la main sur le cœur: « je le jure« .
– Recherchez les coordonnées de la compagnie pluridisciplinaire de votre cour d’appel. Contactez les, prenez rendez-vous avec son président, préparez toutes les questions que vous vous posez et votre carnet de chèques: inscription à la compagnie, à la revue Experts, à l’assurance indispensable en responsabilité civile (prix défiant toute concurrence en tant que membre de la compagnie). Inutile de contacter à ce stade une compagnie spécialisée, qui de toute façon n’accepte en son sein et en général que des experts inscrits obligatoirement dans une compagnie pluridisciplinaire.
– Parmi les questions, revient souvent les aspects administratifs et comptables… Ma réponse: ça dépend de votre emploi principal. Pour ma part, je suis salarié. J’ai choisi le statut d’autoentrepreneur (qui n’existait pas en 1999, je vous passe les détails historiques sordides). Pour la comptabilité, adressez vous à votre femme à votre compagnie. Surtout ne demandez rien à l’administration ! Personne ne comprend le statut des experts judiciaires, j’ai toujours eu des discussions où je me rendais compte que j’en savais plus sur le sujet que mon interlocuteur. Les seuls interlocuteurs valables sont vos futurs confrères de votre compagnie pluridisciplinaire et/ou les cahiers de la revue Experts. Même les textes de loi sont parfois obscurs ou sans décret d’application.
– La formation obligatoire. En tant que nouvel inscrit, vous êtes en période probatoire (inscription sur la liste pour une période de deux ans seulement, au lieu de cinq pour les experts aguerris). Vous devez suivre une formation (en général de cinq jours). Renseignez-vous auprès de votre compagnie pluridisciplinaire. Cela n’existait pas en 1999 et je me suis formé directement auprès de mon épouse avocate qui a réussi à me faire entrer dans le crâne la différence entre civil et pénal, le sens profond des mots « warrant », « verus dominus », « usucapion », « Urssaf », « quérable », « léonin », « forclusion », « exécution provisoire », « contradictoire », « incompétence du juge » ainsi que le sens des différentes abréviations « OPJ », « JI », « Urssaf », « T.com. », « TGI », « SAS », « COJ », « Bull. », « Cass.civ.II », etc. Cette formation vous permettra normalement de pouvoir reconnaître les différentes personnes auxquelles vous allez avoir à faire, pour éviter de dire « bonjour Maître » à l’avocat général… Une (re)lecture de l’intégrale du blog de Maître Eolas est nécessaire, et au moins de ce billet.
– Achetez quelques ouvrages dans votre librairie préférée. Les parisiens ou les provinciaux en visite à Paris peuvent s’approvisionner chez Gibert Jeune « Droit, Économie, Gestion », 6 place Saint Michel. Sinon une recherche « expert judiciaire » sur Amazon.fr donne de très bons résultats 😉
– Soyez patient. Il est possible que vous ne soyez pas désigné du tout pendant les deux années de probation… C’est dommage, mais c’est comme ça. J’ai eu des années avec 10 affaires et des années avec… zéro.
– Prévenez votre employeur de votre bonne fortune et assurez vous que vous pourrez vous absenter de temps en temps (en général une journée) en posant des jours de congés.
– L’inscription sur une liste d’entraide entre experts judiciaires me semble être une bonne idée. Je vous recommande chaudement celle mise en place par le LERTI pour les experts en informatique, et qui regroupe des personnes de qualité qui n’hésitent pas à donner un bon conseil ou le bon tuyau quand on est dans la peine (par exemple: quel est le fax du service juridique de tel FAI…)
– Enfin, l’abonnement à ce flux RSS me semble indispensable 😉
Bienvenue dans cette confrérie que forment les experts judiciaires. N’écoutez pas les vieux cons (dont je suis) et soyez indépendants mais avec politesse. Cela s’appelle la confraternité.
Et surtout, n’oubliez pas que vous n’êtes pas juge, que vous donnez un avis technique basé sur une méthode scientifique et que la science est le domaine du doute et de la remise en cause.
Ne dites pas « M. Truc a ouvert ce fichier à 14h », mais « le compte informatique de M. Truc a servi pour l’ouverture de ce fichier à 14h, heure relevée dans les métadonnées de l’ordinateur, dont le BIOS indique (au moment de l’expertise) qu’il existe un décalage de X minutes et dont le système d’exploitation indique (au moment de l’expertise) qu’il ne suit pas l’heure d’été ».
Écrivez vos rapports d’expertise d’une main tremblante en pensant à l’éternel voyage de la science et au professeur Tardieu. Pensez également aux personnes qui se sont faites une spécialité des torpillages critiques des rapports d’expertises. La qualité de votre travail est à ce prix.
« Voilà ce qui me paraît être la vérité », dit le savant.
« Voilà la certitude », traduit la foule ignorante, oublieuse de « l’éternel voyage » de la science.
Bon voyage, et si vous avez des enfants, pensez à fermer la porte de votre bureau pendant certaines expertises…
Merci pour ces informations ! J'espère que je ne craquerai pas dans les premières années… 😉
Bonne chance pour les premières expertises, et non, il n'y a pas de raison de craquer quand on est bien soutenu par son entourage !