Dans le cadre des rediffusions estivales, le billet d’aujourd’hui, publié le 11 avril 2009 sous l’intitulé « Le noir », rappelle que j’ai eu la chance de rencontrer des gens formidables lors de certaines expertises. Le billet est un peu court, mais cela me fait plaisir de repenser à cette personne.
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C’est lui qui m’avait ouvert la porte. Il ne pouvait pas me
reconnaître puisque je venais pour la première fois. Il a ri en me
faisant entrer tout en me demandant si mon voyage s’était bien passé.
Une heure plus tôt, j’étais complètement perdu en rase campagne.
Cette expertise judiciaire commençait mal.
C’était avant que je n’achète un GPS.
C’était avant que je ne m’équipe d’un téléphone portable.
Pourtant
j’avais l’adresse, mais j’avais oublié mon atlas routier et je n’avais
qu’une carte de France pour me guider. La maison était isolée en pleine
campagne, mais sa mère m’avait expliqué le chemin, quand je m’étais
résolu à appeler d’une cabine téléphonique d’un village voisin.
J’avais fini par trouver le chemin boueux qui semblait plus fait pour les tracteurs que pour ma 205 usée.
Et c’est lui qui m’ouvrait la porte.
Lui, le malvoyant.
Sur
le papier, le dossier semblait plutôt simple: un ordinateur équipé de
logiciels spécifiques aux malvoyants avait été livré, mais le système ne
fonctionnait pas correctement. Le fournisseur ne voulait rien savoir et
toute l’affaire avait été portée devant la justice. Le magistrat
m’avait choisi sur la liste des experts judiciaires pour expertiser
l’ensemble informatique. C’était une de mes premières affaires, en tout
cas la première chez l’habitant.
J’avais convoqué les
deux parties pour une réunion d’expertise sur le lieu où se trouvait le
matériel objet du litige. Après une demi-heure d’attente, j’ai du me
résigner à commencer en l’absence du fournisseur qui n’a pas daigné se
présenter ni s’excuser.
J’étais donc seul avec ce jeune-presque-aveugle et sa maman.
Je
découvrais pour la première fois tous les problèmes que peut rencontrer
une personne qui ne voit presque rien, en tout cas rien comme moi. Ce
jeune avait perdu sa vision centrale et ne voyait qu’avec la vision
périphérique. Pour mieux comprendre son problème, essayez de lire ce
billet en regardant à côté de l’écran…
C’est fou dans ces cas là le nombre de bévues que l’on peut faire:
« Vous voyez ce réglage? Heu… »
« Mais le problème est lumineux… »
« C’est clair, heu… »
Le
système informatique était composé d’un PC normal équipé d’un écran
gigantesque pour l’époque (les écrans plats n’existaient pas encore): un
24″ cathodique. Le système d’exploitation Windows 98 était complété par
plusieurs logiciels grossissants et un logiciel de lecture de textes.
« Montrez moi les dysfonctionnements que je puisse les voir de mes propres yeux… Heu… »
Le
jeune était plein d’énergie et manipulait le système avec dextérité. La
loupe incorporée dans Windows rendait énormes les caractères et il
collait presque son nez sur l’écran. Ses dix doigts connaissaient le
clavier par cœur (moi qui tape encore avec quatre doigts). Il utilisait
peu la souris, mais maîtrisait tous les raccourcis clavier.
Pendant la démonstration, sa mère m’a dit:
« Vous
savez, c’est lui qui a branché tout le système et fait toutes les
installations logicielles tout seul! Le fournisseur a tout fait livrer
et n’a jamais voulu envoyer quelqu’un pour nous aider. »
Ma
mission n’incluait pas le dépannage, mais très vite, je me suis rendu
compte que l’installation d’un des logiciels avait remplacé une DLL par
une version incompatible avec un autre logiciel.
J’ai
passé l’après-midi avec ce jeune à échanger des trucs sur la meilleure
façon de configurer son ordinateur. A la maman inquiète, j’ai vite
expliqué que mes honoraires n’incluraient que la partie pleinement
consacrée à l’expertise, le reste ayant été du plaisir entre deux
passionnés d’informatique.
Je n’ai pas compté non plus
le temps perdu pour trouver le chemin, ni celui qu’il m’a fallu pour
retrouver la route dans le noir de la nuit quand je les ai quitté.
Je
n’ai pas su si le fournisseur avait été condamné à payer au moins
l’expertise, mais j’ai appris récemment que cette personne a
complètement perdu la vue et qu’elle utilise toujours l’informatique
pour parcourir le web.
Peut-être écoutera-t-il ce billet.
Je sais au moins que le fond noir de ce blog ne perturbe pas son logiciel de lecture…
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Source photo https://www.azurs.net/photoblog/a/2008/05/post_4.html
bas-relief du portail sud de la cathédrale de Metz
"Ces dix doigts connaissaient le clavier par cœur"
-C, +S
Petite faute d'inattention. 😉
C'est corrigé, merci.
Pourriez-vous s'il vous plaît citer la source de la photographie illustrant votre billet (par un hasard surprenant je suis à la fois lecteur régulier de votre blog et parl'auteur de la photo en question). Merci d'avance.
J'ai trouvé la photo sur un site marocain. Suite à votre commentaire, j'ai modifié le billet pour indiquer la vraie source.
Désolé et merci pour le partage.
Merci ! Je vous lis toujours avec plaisir.
Joli billet. Etant malvoyant moi-même je me contente juste de changer les couleurs de l'OS (quand je le peux) pour forcer un fond sombre et du texte clair. Je n'utilise pas de tels logiciels mais je peux comprendre que d'autres plus malchanceux que moi en aient besoin (regarder l'écran de près me suffit.)
"Je sais au moins que le fond de ce blog ne perturbe pas son logiciel de lecture…"
Erf, je me souviens avoir fais une remarque dans ce sens dans un commentaire de ce blog :p
Une histoire très touchante. Je me rappelle avoir discuté informatique avec un presque aveugle une fois, mais sans vraiment connaître la personne (sans connaître précisément sa manière d'utiliser l'outil). J'ai été très surpris de pouvoir aborder tout un tas de domaines techniques sans jamais me demander comment il pouvait faire pour utiliser une machine sans rien y voir. On en oublierais presque qu'on parle à un aveugle si il n'y a cette étrange manière de vous "regarder" quand ils parlent ou s'il ne fallait leur mettre les objets dans les mains.
C'est toujours un plaisir de vous lire.
C'est un article que j'ai pu lire avec délectation,
Moi-même en étant dyslexique je dois utiliser un soft de synthèse vocale et reconnaissance vocale pour écrire,
Je connais très bien ce monde des fabricants de soft, qui spécule sur la misère humaine en vendant des soft Très onéreux et que la moitié du temps ne fonctionne pas correctement vu la qualité médiocre de l'écriture du code.
Je suis content que de temps en temps quelques personnes apportant justice s'est-elle spéculateurs de misère.
Je rappelle que ces personnes le bon fonctionnement d'un programme synthèse vocal ça signifie la liberté de pouvoir lire ce qu'on désire