Informatique embarquée

Il est 9h ce samedi là, je suis au commissariat de Police à la demande d’un magistrat. Je ne sais rien de l’affaire qui me concerne à part qu’il y aura des ordinateurs à inspecter chez un particulier, j’ai donc rempli le coffre de ma voiture avec l’indispensable.

J’appréhende toujours ce type de mission. Débarquer chez les gens avec la police ou la gendarmerie n’est pas quelque chose d’agréable. Pourtant, quand j’y réfléchis, j’ai prêté serment d’apporter mon concours à la Justice, et cela quelles que soient les circonstances.

L’opération a lieu un samedi à cause de moi car j’ai des difficultés à me libérer les jours de la semaine. Le dossier est assez simple en apparence: il s’agit d’un travailleur indépendant qui aurait fait des malversations informatiques. Le policier gradé m’explique le dossier en détail et je l’écoute attentivement. Une fois ses explications effectuées, je lui pose quelques question sans illusions: quel type d’ordinateurs allons nous inspecter, quel volume de données, quel est le niveau technique du propriétaire… Aucune de ces question n’a de réponse. Je lui explique l’importance de ce type d’informations, il comprend et compatit. Nous partons pour la perquisition.

Je suis la voiture de police banalisée. Le policier a souri à la vue de ma vieille Peugeot 205 en disant « c’est solide ces voitures là » d’un air entendu. Il semble s’y connaître en automobile, aussi je coupe court à la conversation d’un « oh vous savez, moi, du moment qu’elle démarre et qu’elle m’amène là où je veux aller… »

Nous sortons de la ville. La circulation est dense et j’ai perdu de vue la voiture de police. Le policier qui est monté avec moi m’indique le chemin jusqu’au bord d’une rivière où je découvre que la perquisition va avoir lieu sur un bateau!

Le ponton est désert, et parmi les quatre bateaux arrimés, un seul semble habité. A défaut d’huis, les policiers frappent sur un panneau du ponton près du bateau. Le propriétaire sort de la cabine et nous regarde surpris: face à lui nous sommes quatre, trois policiers en uniforme et moi (en costume).

Le gradé se présente et explique la raison de la perquisition. Les épaules de l’homme s’affaissent et il nous laisse le passage. Nous voilà à cinq sur un bateau de 6 mètres. Je reste sur le pont du bateau pendant que les policiers pénètrent dans la cabine avec le propriétaire. Le bateau bouge au gré des masses humaines qui s’agitent à l’intérieur. Je m’assois et observe la scène. Les policiers font un inventaire rapide des lieux sans mettre de désordre. Ils ouvrent les rangements (et sur un bateau, il y en a beaucoup), ils soulèvent des trappes, poussent des battants et ouvrent des tiroirs. Pendant ce temps là, je regarde l’extérieur du bateau et le paysage avec ma mallette d’intervention sur les genoux.

Au bout d’un quart d’heure, les policiers m’appellent et je pénètre dans la cabine. J’entre dans l’intimité d’un homme seul. L’intérieur est propre malgré l’age apparemment avancé du bateau. Tout ce qui ressemble à du matériel informatique a été rassemblé sur la table à cartes qui sert de table à manger et de bureau. Les hommes sortent pour nous laisser de la place car l’espace est exigu.

Je passe les deux heures suivantes à ausculter les disques durs, cédéroms et autres supports de stockage. Je fournis en direct les éléments pouvant intéresser l’enquêteur. Le propriétaire commente les données et donne ses explications. Je me concentre sur la partie technique, effectue les copies de données pour investigations ultérieures et fouille les recoins des disques avec quelques outils de recherche de chaines de caractères.

Avec le recul des années, je perçois les avancées (à venir) des droits de la défense. Cet homme était seul face à nous. Le policier a été parfaitement correct dans son interrogatoire et ma présence « neutre » peut en témoigner. Mais je n’aurais pas aimé être à sa place: il était sous pression, sa voix dévoilait une tension certaine et il était visiblement mal à l’aise.

En fin de perquisition, alors que l’enquêteur mettait de l’ordre dans sa procédure, je me suis permis de discuter avec le propriétaire. La naïveté de mes questions a réussi à le faire sourire: « mais comment faites vous pour recharger votre ordinateur? », « comment accédez-vous à internet? », « et pour le courrier postal, vous le recevez comment, vous avez une adresse fixe? », « vous faites comment pour le nettoyage de la coque? », « vous n’avez pas peur d’être agressé quand vous êtes tout seul sur la rivière? »… Il me montre les astuces techniques, les aménagements du bateau qu’il a réalisé. Il me parle de barrots et de barrotins. Il reprend vie.

Il aurait parfaitement pu être accompagné par un avocat. Mes investigations techniques auraient été les mêmes, les questions du policier probablement aussi. La tension aurait sans doute aussi été présente, mais partagée avec une personne de confiance, avec un soutien.

Je ne vois vraiment que des avantages à la possibilité de se faire assister par un avocat, à tout moment de quelques procédures que ce soit. Pour ce que j’en sais, aucun élément n’a été découvert contre lui.

Ce soir là, je suis rentré moins sûr de moi.

17 réflexions sur « Informatique embarquée »

  1. "Je ne vois vraiment que des avantages à la possibilité de se faire assister par un avocat…"

    Le cas echéant… qui paie? Le perquisitionné je suppose!

    La fin du propos illustre que l'avocat aurait plus été un soutien moral que d'une utilité certaine, surtout si la personne n'avait rien à se reprocher… et j'immagine qu'un travailleur indépendant vivant seul sur un vieux bateau n'a pas forcément les moyens de ceux pour qui sont réellement faites ces jolies lois: La bande du Fouquet's… et autres du même pédigrée, avec cabinet d'avocat sous astreinte 24h/7j, qui comptent plus sur l'erreur de procédure relevée par l'avocat présent que leur innocence!

  2. @Anonyme: Vous avez déjà entendu parlé de l'aide juridictionnelle qui permet aux plus démunis de se faire assister par un avocat?

    Mon propos n'est pas d'aborder le problème de l'accès à la justice dans notre pays, mais de constater que si la présence d'un avocat était obligatoire, certaines souffrances seraient évitées. C'est du vécu, pas des propos de bistrot.

  3. "Pour 2010, la moyenne mensuelle des revenus perçus en 2009 doit être :

    * inférieure ou égale à 915 euros, pour l’aide juridictionnelle totale ;
    * comprise entre 916 et 1 372 euros, pour l’aide juridictionnelle partielle."

    ****

    Autant dire que l'aide juridictionnelle ne va pas au delà d'un smic!

    Je sais que notre pays tombe bien bas, mais il reste quand même bien du monde exclu de ce système sans pour autant avoir les moyens d'une Patek Philippe… et d'un avocat au tarif WE+horaire "amis du petit déjeuner".

    Dire, dans ce cadre, qu'obliger la présence d'un avocat serait malvenu (surtout si l'on sait n'avoir rien à se reprocher) n'a rien d'un propos de comptoir. Mieux vaut laisser le choix au justiciable.

    Car vu les moyens que l'état consacre à la justice (le 25/10 est sorti un rapport classant notre budget justice 37è sur 43 en europe, derrière l'Arménie!), il est illusoire de penser que cette présence rendue obligatoire serait prise en charge par l'état!

  4. @Anonyme: Avec des propos comme les vôtres, on ne verrait pas beaucoup avancer la justice sociale: je me bats politiquement pour que la présence de l'avocat soit obligatoire afin de préserver les droits de chacun à être défendu et soutenu devant des machines étatiques parfois incontrôlables et inhumaines.

    Et j'espère bien que la collectivité soutiendra les plus faibles financièrement.

    Ainsi les démunis n'auront pas à faire ce que vous appelez "un choix".

  5. excusez moi d'être direct, mais si à chaque expertise vous développez un syndrôme de Stockholm vis à vis de la personne mise en cause, comment faites vous pour continuer ? Vous expertiser à charge et à décharge, à charge et à décharge, sans préférence.

  6. @Anonyme: Vous me prêtez un rôle que je n'ai pas: je ne suis pas juge d'instruction. Je donne mon avis en mon honneur et en ma conscience.

    Et excusez moi d'avoir mal quand je vois des personnes malheureuses.

  7. Excusez moi encore, mais un expert travaille à charge et à décharge, oui, comme le juge d'instruction. Et je suis aussi expert, depuis 2004.

    Oui, l'empathie est bien, vis à vis des victimes comme des 'suspects', mais si cette empathie devient envahissante alors il y a soucis.

    Si vous en êtes à souffrir, faites vous plaisr et arrêter. Ou changez pour devenir policier/juge/prêtre/psy/etc (et je ne suis pas ironique).

  8. Je ne suis pas du tout d'accord avec ce point de vue, et je vous trouve bien maladroit pour quelqu'un qui se prétend expert et qui donne de tels conseils (et je ne suis pas ironique).

    Un expert ne travaille pas à charge et à décharge: le magistrat lui confie un ensemble de mission et il doit y répondre sous la forme d'un rapport dans lequel il donne son avis en son honneur et en sa conscience. Dans mon domaine, l'informatique, la méthode scientifique est parfaitement utilisable, et les réponses sont souvent claires et simples à faire: "y a-t-il présence de fichiers contenant telle ou telle information?" Ma réponse sera: "j'en ai trouvé" ou "je n'en ai pas trouvé".

    Je suis toujours effrayé quand un expert calque son attitude sur les magistrats qui le missionnent, c'est souvent la preuve que l'expert n'a pas bien compris le rôle qui est le sien. Surtout s'il exerce depuis plusieurs années.

    Quant à la souffrance que je ressens, je tiens ce blog pour la partager, pour l'évacuer par l'écriture. Je ne pense pas que mon empathie soit envahissante dans mon activité d'expert, mais lorsque cela sera le cas, je ne demanderai pas ma réinscription.

    Enfin, j'ai trop de respect pour les métiers de policier, juge, prêtre ou psy pour croire avoir les compétences pour pouvoir les pratiquer.

    Passez votre chemin et allez troller ailleurs.

  9. @Zythom: Certes, mais si la question posée est non pertinente ou mal posée, que faites-vous ?

    On m'a déjà demandé une "opinion d'expert" (pas en justice) sur une question à côté du sujet.

  10. @DM: La mission, rien que la mission. Un expert judiciaire n'a pas le droit de sortir du chemin tracé par le magistrat.

    C'est pour cela que je préfère appeler le magistrat avant de commencer les missions. L'idéal étant quand le magistrat me contacte pour la rédaction des missions.

  11. D'accord. Donc vous ne pouvez pas sortir de la question posée, mais en revanche vous pouvez discuter avec le magistrat avant qu'il ne vous la pose officiellement afin qu'il vous pose une question pertinente?

  12. @DM: Oui, si le magistrat prend la peine de me contacter avant de rédiger les missions. Heureusement, souvent les magistrats prévoient une porte ouverte sous la forme d'une phrase du type "l'expert fera toutes remarques utiles à la manifestation de la vérité".

  13. Je viens de découvrir votre intéressant blog. J'aime beaucoup la manière dont vous voyez l'avocat dans cette affaire et mettez en évidence le rôle social (psychologique diraient certains) important de l'avocat. Et auquel il n'est souvent pas suffisamment préparé.
    L'avocat est parfois le seul qui aiw pris le temps d'écouter sans juger une personne en prison ou d'accompagner quelqu'un à une audience ou un audition. Le simple fait de savoir qu'il est là apporte plus de sérénité et permet un meilleur déroulement des choses

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