Au nom de la commune

20h30, c’est le début du conseil municipal. Comme d’habitude, tous les conseillers sont là ou presque. Le pompier arrivera en retard, à cause de son métier. L’infirmière aussi.

La liste des sujets à débattre est longue, et le conseil municipal risque fort de se terminer tard dans la nuit. Mais nous sommes là, tous les 26, assis dans cette grande salle avec les tables en carré.

Parmi les sujets du jour du soir, un point qui fait débat dans la commune depuis plusieurs années: la construction d’une aire d’accueil de gens du voyage.

La commune où j’habite vient juste de franchir la barre des 5000 habitants. C’est un seuil important, et parmi les nouvelles obligations de la commune, il y a celle de mettre à la disposition des gens du voyage un endroit où pouvoir séjourner. Le conseil municipal précédent avait déjà débattu de la question, mais sans pouvoir trouver un endroit adéquat.

Le maire, conscient des difficultés à fédérer les conseillers sur un projet particulier, a choisi d’inviter au conseil municipal le spécialiste de l’accueil des gens du voyage de la communauté d’agglomération à laquelle la commune appartient.

Cette personne nous a présenté pendant une heure les différents aspects de la communauté des gens du voyage, bien loin des clichés que pouvaient avoir certains conseillers. Il nous a parlé des difficultés rencontrées par cette communauté, de sa richesse culturelle mais aussi de sa pauvreté, de son illettrisme parfois. Il nous a montré les contradictions de notre société qui souhaite sédentariser ces populations pour permettre la scolarisation réussie des jeunes, et qui considère les aires d’accueil comme des lieux de passage.

Il nous a expliqué leur mode de vie, leur travail et leurs aspirations. Par exemple, il nous a montré que beaucoup d’aires d’accueil de notre communauté d’agglomération étaient construites sur un modèle architectural identique, avec des défauts (blocs sanitaires utilisés pour le stockage de nourriture, pas d’emplacement prévu pour un lave linge, pas de rangements…)

Il s’est dit étonné et particulièrement heureux d’avoir appris que notre conseil municipal avait décidé de passer par un bureau d’étude auquel nous avions demandé l’établissement de plans pour notre future aire d’accueil. Il était surtout content d’avoir pu participer à la critique du projet avant sa réalisation, afin de nous faire profiter de son expérience de plus de dix années à son poste.

Enfin, il était content de l’emplacement choisi par le conseil municipal lors d’une délibération précédente: près du centre culturel et sportif de la commune, près d’un arrêt de bus pour l’école et près des commerces.

Le conseil municipal étudie alors avec soin les travaux de la commission voirie qui avait en charge le suivi du travail du bureau d’étude. L’aménagement de l’aire d’accueil retenu par la commission est voté par le conseil municipal à l’unanimité. Celle-ci sera végétalisée et permettra l’accueil de 16 familles.

Le maire nous lit alors la pétition qui circule dans la commune et demandant le déplacement de la future aire d’accueil à un endroit « moins visible », près de la 2×2 voies qui traverse la commune. Le maire explique que l’endroit choisi par les organisateur de cette pétition se trouve dans la zone des 100m inconstructibles de la voie rapide et répond point par point à tous les arguments de la pétition.

Le maire a conclu sa présentation en ces termes: « nous travaillons sur ce projet depuis des mois, voire des années. Il se termine alors que le gouvernement de la France est en pleine polémique sur une catégorie de gens du voyage. C’est triste, mais c’est comme cela. Je vous propose une chose simple: lorsque l’aire sera terminée, nous irons tous accueillir en personne, ensemble et au nom de la commune les premières familles qui viendront s’y installer. » Sa proposition a été acceptée par tous.

Dommage qu’il n’y avait personne dans le public, car ce soir là, nous avons appris beaucoup sur les autres.

Fin du conseil municipal: 2h du matin.

32 réflexions sur « Au nom de la commune »

  1. Merci pour ce beau billet.
    Si seulement ce genre de conseil municipal pouvait avoir lieu près de chez moi!
    La médiatisation de cet accueil serait intéressant je pense.
    "le spécialiste de l'accueil des gens du voyage de la communauté" pourrais-je avoir son nom, un email? j'aimerais m'entretenir avec lui.

  2. Comment ça aucun commentaire ? Juste bravo à cette commune. J'espère qu'il en existe d'autres des comme elle, et que ce n'est pas un simple petit village gaulois, seul contre tous …

  3. CJe dois avouer que reserver pour les gens du voyage me gene. Les terrains ne sont pas gratuits et c est les contribuables qui payent tous pour une minorite.

    • Les places et consommation (eau, elec) sont payantes pour les utilisateurs, comme pour un camping… il n'y a rien de gratuit.

  4. Un seul mot : Bravo ! Vous me redonnez la fierté d'être citoyen de ce pays, ce qui est une gageure en ces temps pestilentiels…

    C'est un tweet de Me Eolas qui a attiré mon attention vers votre blog. Encore une fois mes félicitations et tous mes encouragements pour la suite de votre mandat !

  5. Merci pour ce billet! Je travaille depuis 15 ans au coté d'élus de terrain qui pensent avant tout à l'intérêt général comme votre conseil municipal, ça fait du bien de lire de temps quelque chose d'autres que le "élus = tous pourris" !

    Bonne idée aussi d'aller chercher un retour d'expérience pour la conception de l'aire d'accueil. J'ai dans mon secteur le triste cas d'une aire que les gens du voyage refusent d'utiliser : pas d'herbe (gravier et bitumes), grillage de 2 mètres de haut, etc…

  6. @Promethee: Votre propos sans cœur vaut pour toutes les minorités: les grands brulés, les paysans, les handicapés, etc. Je ne suis pas sur que vous compreniez bien les trois mots qui sont gravés sur le fronton de nos mairies.

  7. C'est aussi Maître Eolas qui a attiré mon attention sur ce post, et ma foi j'en suis fort aise. Merci, ça fait du bien de lire ce genre de choses qui changent de la tonalité ambiante…

  8. @Zythom : allons, ça vaut aussi pour les terrains de tennis et les bacs de fleurs : je n'aime pas ça et ce sont les contribuables qui payent pour une minorité, quel scandale !
    Et aussi pour les hôpitaux, je ne suis pas malade.

  9. @Anonyme: Bonjour cher Troll ! Le discours qui consiste à dire que l'on ne veut pas financer les hôpitaux parce que l'on est jamais malade est absolument désopilant.

    Chers lecteurs, ne répondez pas à ce type de propos.

  10. Vraiment intéressant. Il me semble que ce conseil municipal fait du bon travail en intelligence et avec le respect de l'avis de chacun.
    bravo a vous

  11. Merci,
    Vous m'avez donné envie de m'impliquer plus dans la vie communale.
    Merci aussi à ce peuple européen d'avoir su préserver sa différence et sa culture. A ma connaissance la Hongrie et l'Espagne ont le mieux réussi leur interface avec les Rroms.
    Il y a peut être aussi des idées à prendre de ce coté.

  12. Bravo à ces conseillers municipaux qui sont pleinement conscients de l'importance du "devoir citoyen".

    J'aimerais tellement voir dans les "grands" médias ce genre d'exemple. Sont-ils rares ces bons exemples, ou est-il plus sensationnel de montrer ce qui va mal ??

    Merci de nous montrer qu'il existe encore des raisons d'être fiers de notre pays, des Français et de notre devise.

  13. @Zythom – 22 septembre 2010 10:52

    Je pense que le message Anonyme du 22 septembre 2010 10:16 est une ironie.
    Hmm, à moins que votre réponse en soit une indirecte qui vise finalement la remarque de Prométhée ..

    Enfin en tout cas, apparemment, la notion de fraternité perd une part de son sens pour certaines personnes.
    Personnellement je le vois englobant, entre autres : solidarité, hospitalité.

  14. Je pense comme floydpaper que le discours de l'anonyme était ironique et allait dans votre sens, à savoir une réponse cinglante à Prométhée.

    En tout cas, bravo au conseil municipal pour cette délibération, pleine de dignité – et aussi de bon sens !

  15. @zythome: etres 'gens du voyage' est un choix que font ces personnes. Un choix sur lequel je n ai pas d'opinion, je tiens a le preciser. Mais c est a eux d'assumer les couts de ce choix. Imposer ce cout sur les autres n est pas acceptable. On ne chosie pas de devenir grand brule. L etat offre simplement une assurance a tout le monde et les grands brules en beneficient comme tous le monde. Pour les handicapes c est la meme chose on paye tous au cas ou on le deviendrait… les paysans par contre, ils n ont qu a pas devenir paysans… c est un choix qu ils nous font payer.

    En ce qui concerne le coeur et la fraternite, je suis pret a piocher dans ma poche pour aider les autres volontier. Mais piocher dans la poche des autres sans le leur demander me gene profondement. La meme chose quand on viens piocher dans ma poche sans me laisser choisir.

    Desole, mais je suis liberal et je trouve genant d etres genereu avec l argent des autres.

  16. @FloydPaper : Malheureusement pour certains la fraternité s'arrête au sens propre de la racine latine du mot, à savoir les liens du sang…

  17. @PRomethee: "Etre gens du voyage est un choix que font ces personnes". Quand vous affirmez cela, vous connaissez bien mal ces peuples. On nait "gens du voyage", ce n'est pas un choix. Je crois que vous confondez avec les retraités qui font du camping car.

  18. A-t-on des statistiques sur l'illettrisme dans cette communauté?

    (Il y a quelques années, un homme des "gens du voyage" m'a demandé, assez impoliment d'ailleurs, de lui lire des documents alors qu'il était au téléphone avec, si je me rappelle bien, une administration…)

  19. Est-ce que Prométhée croit que les "gens du voyage" ne paient pas d'impôts? Que l'usage des aires de stationnement est gratuite? (En fait il paient un forfait, variable selon les communes, incluant emplacement, eau et électricité?)
    En plus les caravanes sont désormais assujetties à une taxe d'habitation (à taux élevé: 5 euros le mètre carré!) ALORS MEME que l'état refuse de les reconnaître comme logement de plein droit ouvrant droit aux aides, aux permis de construire, au raccordement à l'eau et à l'électricité sur leur propre terrain…
    Bref, il y a bien plus de discrimination à l'encontre des gens du voyage que d' "avantages".
    Vous ne voulez pas d'aires de stationnement? Alors reconnaissez aux "gens du voyage" le droit de s'installer sur les terrains publics ou sur leurs propres terrains…

    • Merci pour cette réponses, beaucoup de lecteurs ne savent pas qu'il faut payer pour utiliser ces places de stationnement.

  20. ça à l'air simple de faire les choses correctement. Pourvu que tout soit aussi facile.
    @Prométhée, ils payent, quel est le problème? on peut pas reprocher de faire un campement illégal et ne pas donner des espace d'accueil.

  21. En effet, mes commentaires sont motives par l'idee que ces stationnements sont soit 1. Gratuits 2. Reserves aux gens du voyages 3. En parti finance par la commune a perte. Si j'ai tort, je retire mes objections.

    @zythome: on nait peut etres "gens du voyage" mais on choisie bien sur de le rester ou non. Rien n empeche ces personnes de se sedentariser…

  22. A Prométhée:
    1) Gratuites, les aires d'accueil? Non, jamais, même quand les conditions de vie y sont indécentes (imaginez par exemple un espace entièrement bétonné, entre la voie ferrée et l'autoroute, avec des sanitaires collectifs bouchés et des grillages de 2m de haut… ce genre de choses existe – et les gens du voyage sont obligés de les utiliser – la présence d'une aire leur interdit le stationnement en toute autre lieu de la même commune)
    2) Réservées au gens du voyage? Certes. Etant donné aussi que tous les autres espaces leur sont interdits (Y COMPRIS les terrains privés qu'ils peuvent posséder, ou dont ils auraient le droit d'usage de la part des propriétaires – ils peuvent en être expulsés pour infraction au plan d'occupation des sols…). Et que la plupart des campings les refusent. Les aires d'accueil sont donc les SEULS endroits où ils peuvent stationner, ce qui est d'ailleurs un problème également…
    3) En partie financées par la collectivité? Re-certes. Sur les impôts. Nos impôts, avec un joli "nous" collectif qui inclut les gens du voyage – ils paient des impôts, figurez-vous…
    Dites-moi, ça vous dérange aussi d'utiliser des routes payées par les impôts? D'envoyer vos enfants dans des écoles payées par les impôts? Parce que si ça vous pose un problème, vous pouvez aussi rester cloîtré chez vous, hein.

    Quant à la sédentarisation. Pourquoi DEVRAIENT-ils se sédentariser?

  23. @frederic:
    1) merci de m'en informer.
    2 et 3) l'un n'excuse pas l'autre. Qu'on leur interdise d'utiliser les terrains qui leur appartiennent est scandaleu. On ne respecte pas leur propriete et ensuite, magnanime, on leur offre un terrain paye par le contribuable. Je prefererais qu on les laisse s'installer sur leurs propres terrains et qu'ils forment une association qui detiennent les terrains collectivement qu'ils pourrait ensuite utiliser selon les regles de leur association. Pas besoin d'y meler etat et contribuable.

    Et oui. Nous payons tous des impots pour les routes. Mais nous pouvons tous les utiliser. Les routes ne sont pas reserves a une categorie de la population. Les aires pour les gens du voyage si.

    En ce qui concerne la sedentarisation, je n'ai jamais dit ou pense qu'il devrait le faire, mais simplement qu'ils le pouvraient et que donc, etres "gens du voyage" est un choix.

  24. Un de mes amis n'a commencé sa scolarité qu'à l'âge de 14 ans. Son père n'avait pas le permis, il conduisait donc un tracteur et vadrouillait sur les routes. Ils côtoyaient donc les gens du voyage qui les laissaient venir chez eux. En discutant avec lui, j'ai eu un autre point de vue, différent bien sûr de beaucoup d'autres qui sort des clichés…

    J'ai aussi eu l'occasion de me promener en France avec mon vélo couché, j'ai croisé à plusieurs endroits une "colonne" de gens du voyage. Tous m'ont salué, klaxons… c'était sympa (ça me changeait du comportement d'autres personnes).

  25. Un commentaire qui arrive un peu tard mais bon…
    Il y aussi des aires d'acceuil pour les gens du voyage sédentaires. Notre commune en possède une et "nos" gens du voyage n'ont pas bougé un orteil depuis 5 ans. Une population qui est donc bien gérée avec les servies sociaux, etc…
    C'est une autre vision de cette communauté qui cherche de plus en plus souvent à se sédentariser.

  26. Chez nous c'est un peu pareil @Guillaume, les gens du voyage sont "du coin", ils tournent sur 3-4 communes, et au vu des tombes au cimetière de Lesneven, ils font partie des plus vieilles familles de cette ville :-p
    On naît gens du voyage, je ne suis pas sûre qu'on le devienne, et cela doit être très difficile de ne plus l'être. Une question de choix? Pas sûr.
    En tout cas, je suis fière que dans ma commune, l'aire d'accueil soit juste au pied de l'école publique, à 300m de 2 supermarchés, et que certaines animations communales soient aussi étendues à eux. Comment peut-on leur donner l'envie de se sédentariser en les stigmatisant constamment pour ce qu'ils sont? Et je rejoins Frédéric Sarter ci-dessus, pourquoi devraient-ils se sédentariser??

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