Je ne résiste pas à l’envie de détourner un excellent billet de Philippe Bilger destiné aux auditeurs de justice. Le remplacement de quelques mots peut faire glisser la sémantique d’un billet… qui reste écrit par son auteur à 99,999%. Merci à Monsieur Bilger de m’avoir donné son autorisation.
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Vous allez devenir experts judiciaires et c’est une formidable chance. N’écoutez pas les oiseaux de mauvais augure qui veulent vous décourager, prétendent que c’était mieux avant et que les jeunes gens que vous êtes seront forcément inférieurs à leurs aînés auto-proclamés remarquables. Vous avez choisi une grande fonction et les pessimistes n’auront jamais gain de cause auprès de vous. Vous ne quitterez pas non plus le service de la Justice pour venir vous abriter sous l’aile des puissants qui, ayant de l’argent, vous en donneront. Vous serez au-dessus de cela. Vous serez des experts judiciaires, des êtres pour qui le seul capital estimable est l’humain.
Je devine que certains d’entre vous sont peut-être déjà inscrits auprès de compagnies. Loin de moi l’idée de méconnaitre l’importance de ces structures, de ces réflexions collectives mais puis-je vous inviter à vous défier des connivences, des réseaux, des coteries, des groupes et des agrégats. Comptez plutôt sur vous, sur l’élan de votre être et la singularité, plus riche que toutes les massifications, de votre personne. La solitude est une force. Vous avez sans doute déjà entendu et on vous répètera qu’une justice réussie est un Himalaya à gravir, que la cour d’assises exige des qualités exceptionnelles et que votre angoisse est normale puisque l’obsession des gens d’expérience est de laisser croire que ce qu’ils ont accompli, souvent médiocrement, sera bien au-delà de votre portée. Fuyez les « recettes », d’abord parce que personne ne peut vous en offrir, ensuite parce que le bonheur du métier d’expert judiciaire réside au contraire dans une découverte passionnante et forcément imprévisible du réel. Vous ne disposerez d’aucune lampe de poche pour explorer l’inconnu dont vous aurez la charge, seulement de votre esprit et de votre cœur, de la technique et de la science. Vous n’aurez heureusement à compter que sur vous et ne vous laissez pas égarer par ces poncifs modernes du genre « travail en équipe » comme si la pensée naissait, s’élaborait et s’écrivait « en équipe ».
Vous rencontrerez, au fil du temps, des magistrats et des avocats de toutes sortes, des brillants, les plus modestes et les plus courtois, des moins bons, des franchement mauvais, en tout cas des hommes et des femmes passionnés et certains au fond d’eux-mêmes qu’ils ont choisi et qu’ils assument la part noble de la justice. Sans doute ne serez-vous pas d’accord avec eux sur ce plan mais il n’empêche que dans la quotidienneté judiciaire vous devrez les prendre au sérieux, pour des partenaires légitimes et nécessaires de l’acte de justice qui sans contradiction authentique n’est rien. Les magistrats et les avocats ne seront jamais pour vous des intrus irremplaçables mais des auxiliaires de vérité. Vous vous battrez pour la justice, pas contre eux. Vous prendrez garde à cette tendance lourde qui, même chez les plus lucides, est susceptible de dégrader le pouvoir en abus et la procédure pénale en sadisme soft.
Au fil de votre carrière, vous aurez des compagnons nécessaires et curieux, parfois ignorants, compétents souvent, assez satisfaits d’eux-mêmes, persuadés de détenir le vrai dans leurs questions et au fond peu soucieux de vos réponses. Les journalistes. Rien ne serait pire que de les battre froid systématiquement. Que vous le vouliez ou non, ils constitueront les intercesseurs privilégiés entre l’opinion publique et vous et si vous vous passez d’eux, vous manquerez l’une de vos missions qui est de tenter d’éclairer, de faire comprendre, de défendre ou de dénoncer – d’être vivants dans un monde qui n’aime rien tant que l’atonie sans risque et la parole sans danger. Une grisaille confortable. En même temps, je vous en conjure, ne surestimez pas les médias. Répondez à leurs interrogations mais n’oubliez jamais que la pensée, l’idée, l’analyse, c’est vous et qu’eux se contentent de transmettre ce que vous avez l’obligeance intellectuelle de leur communiquer. Ne prenez pas au sérieux leur classement des grands experts judiciaires, des techniciens emblématiques. Ils continuent à nourrir l’illusion que l’épais dossier, l’affaire médiatique sont forcément réservés à un « grand » expert judiciaire alors que le professionnel indiscutable est au contraire celui qui fait de n’importe quelle procédure l’occasion d’un approfondissement et d’une investigation exemplaires. Ne fuyez pas les journalistes mais vous avez plus à leur donner qu’ils n’ont à vous livrer.
Enfin vous devrez être obsédés par le citoyen. On vous en parlera mais on fera comme s’il n’était pas au-dessus de vos esprits en permanence pour vous juger. Pourtant, c’est lui que vous devrez servir et dont la satisfaction ou non constituera le critère décisif pour évaluer vos entreprises. Vous serez tentés, parfois, de vous retirer dans votre tour d’ivoire et de vous enivrer de la perfection formelle de vos démarches techniques. Ces dernières n’auront guère de prix si elles ne sont pas inspirées par l’unique souci de répondre vite et bien aux attentes du justiciable. Ce citoyen ne supportera pas de vous voir, lui qui subira quelquefois la honte ou la détresse d’être jugé, avec une apparence et un comportement négligés et désinvoltes. L’honneur minimal qu’on doit à autrui, avec le pouvoir qui sera le vôtre, sera de lui présenter une image qui d’emblée ne le fasse pas douter de ses juges. La justice véritable, au fond, n’est qu’une forme suprême du savoir-vivre et du savoir-être et si nous sommes discrédités ici ou là, c’est que nous avons trop souvent laissé l’allure et ses exigences au vestiaire. Elles ne sont pas non plus portées à leur pinacle quand pour protester et montrer que nous sommes comme les autres, nous portons nos robes et crions des slogans aussi peu efficients sur le plan politique que néfastes dans notre relation au peuple. Vous vous abstiendrez de ces manifestations qui paradoxalement révèlent plus de faiblesse que de force et risqueront de vous ancrer dans un défaitisme revendicatif, morose et pleurnichard.
Ce qui vous attend est l’exercice d’une charge capitale pour la République. L’avenir ne dépendra que de vous. Vous n’êtes tenu par rien ni personne si ce n’est votre conscience, votre intelligence, votre écoute et votre compassion. Vous obéirez à vos compagnies si celles-ci en valent la peine. Vous travaillerez comme si tout était difficile mais rien impossible. Les grands soirs espérés, les révolutions, les brutales métamorphoses, heureusement, sont passés à la trappe. Vous aurez l’énergie modeste. Personne ne vous fera peur et vous ne ridiculiserez personne. Vous concèderez tout au professionnel et rien au personnage, tout à l’orgueil de la fonction et rien à la vanité de la position. Vous serez fiers et humbles à la fois. Vous inscrirez dans vos esprits les pensées fortes d’Elisabeth de Fontenay et d’Amartya Sen (Marianne 2, Le Point) démontrant que ce qui compte pour chacun, c’est de faire à sa place qu’il y ait le moins de mal possible, de ne pas ajouter une pierre négative à la misère du monde. Vous n’oublierez pas que la culture générale devra vous irriguer chaque jour, faute de quoi vous ne seriez que des gestionnaires infirmes du particulier.
Qui ose vous dire de vous attrister parce que demain vous allez prendre en charge beaucoup de destinées humaines coupables, victimes ou en demande? Certes vous pourrez être critiques mais sans enthousiasme vous perdriez tout ce qui fait le prix d’une vie, l’intensité d’une passion et l’honneur du service. La justice ne recevra pas d’avis de jeunes gens amers. Elle mérite mieux que cela. Elle vous mérite.
Soyez vous-mêmes.
Wow … ça donnerait presque envi …
C'est beau, émouvant, motivant…
encore faut-il avoir l'occasion de mettre ces préceptes en pratique.
Je suis expert judiciaire à Paris depuis début 2008 et je viens d'être renouvelé pour 5 ans. En 2008, j'ai eu deux (petites) expertises (par l'intermédiaire de la compagnie dans laquelle je suis inscrit), depuis rien. J'ai prospecté, j'ai essayé de me faire connaître, en vain.
Des plus expérimentés m'ont dit qu'il fallait attendre 2 ou 3 ans avant que ça vienne.
J'avais cru que l'autorité judiciaire recrutait les experts en fonction de ses besoins (c'est du moins ce qu'ils disent)…peut-être ont-ils besoin d'un petit coup de main pour les prévisions…
je vais lire ce texte écrit P. Bilger sauf une faute d'accord peut-être : si le texte original fait 2 000 mots et qu'il n'a été retouché que sur par 0,001 %, ça veut dire qu'il y a moins d'un mot différent. Ce n'est plus de la citation, ni du plagiat, c'est de la copie intégrale.
Benoît
@Anonyme: A quelques mots près, c'est une copie intégrale. L'idée m'a plu quand même.
Ave Zythom. Je suis ex-expert de l'année 2009. Et oui, avec honneur, j'ai prêté serment en Février de cette année et avec stupéfaction, je n'ai pas été réinscrit en 2010…. Aucune expertise. Par contre, je me suis inscrit dans la compagnie, étudié le civil et le pénal dans les cours, bouquiné, emprunté du temps à ma famille, et acheté quelques matériel (bloqueur et autres tampons….). Je n'ai qu'une envie celle d'être dégouté. Je n'avais aucune idée concernant une résiliation durant la première année probatoire. Faute à moi et mon enthousiasme de bien faire.
En résumé, Ingénieur que je suis, Enseignant à mes heures, je laisse mon expertise judiciaire informatique & telecom.
Bien à vous.
L'inconnu.