Un petit week-end

Elle est vêtue de vêtements chatoyants et court sur une route de terre. Plusieurs personnes courent avec elle. La vidéo n’est pas de très bonne qualité. On ne distingue pas bien ce que ces personnes tiennent à la main.

Le vidéaste zoome maladroitement.

Optiquement la femme s’approche de moi, simple téléspectateur sur mon écran d’ordinateur, et je constate que les personnes qui courent avec elle sont des hommes, munis de machettes, qui courent après elle.

L’un d’eux la rattrape et lui plante la machette dans le crane.

Les yeux de la femme sont exorbités alors qu’elle hurle en tombant. La vidéo n’a pas de son mais son cri me saute au yeux. L’homme itère son geste et lui fait éclater le crane.

Des morceaux de cervelle s’éparpillent sur la piste, alors que les derniers poursuivants arrivent à sa hauteur.

Ils rient.

Et moi, malgré mes dix années d’expérience comme expert judiciaire, je pleure.

Cette séquence, je viens de la subir en visionnant le contenu d’un disque dur mis sous scellé. Comme d’habitude, le magistrat m’a missionné pour analyser le disque dur à la recherche d’images et de films pédopornographiques. Et comme d’habitude, je visionne un nombre important d’images et de films, parmi lesquels se trouve un nombre important d’images et de films pornographiques, parmi lesquels peuvent se trouver cachés un certain nombre d’images et de films pédopornographiques… et ce film tourné probablement pendant les massacres du Rwanda.

Et je dois visionner chaque film pour remplir ma mission correctement.

Ceux qui pensent que la violence présente à la télévision ou au cinéma banalise la violence réelle se trompent. Je regarde avec frissons « Le silence des agneaux », « Hannibal », « Alien » ou tout autre slasher movie. Mais tout est faux. « C’est du cinéma ». Même quand c’est tiré d’un fait réel, le spectateur sait qu’il assiste à une mise en scène.

Mais quand on « sent » que c’est vrai, que les images sont réelles, c’est très différent. On assiste à la mort violente d’une personne et on n’y est pas préparé. Peut-on s’y préparer d’ailleurs? Même les 20 premières minutes de « Il faut sauver le soldat Ryan » ne m’ont pas préparé à ça. Et pourtant elles m’ont secoué.

J’ai survolé très rapidement le reste de la vidéo pour m’assurer qu’aucune scène pédopornographique n’avait été insérée au milieu de ces scènes de massacres. Il n’y en avait aucune. Je n’en ai pas trouvé d’ailleurs sur ce disque dur. Juste de la pornographie. Et cette vidéo de massacres dans un fichier portant un nom de film pornographique.

Mais cette scène restera gravée dans mon esprit.

La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part. J’ai eu ma part pour ce week-end.

C’était juste un petit week-end pour un petit expert judiciaire de province.

10 réflexions sur « Un petit week-end »

  1. Bonjour,

    J'ai peur que ce post ne vous soit reproché. Il traite d'une affaire en cours, même si on ne peut savoir laquelle. Or si un lecteur parvenait à associer ce blog à votre nom réel, il pourrait de ce fait avoir plus d'informations qu'il ne le devrait.

    Ceci étant dit, je vous souhaite bien du courage. Vous accomplissez une mission on ne peut plus noble, mais aussi on ne peut plus dure. Je pense que ceci est mal connu, et probablement – comme pour les magistrats et auxiliaires de justice – mal considéré.

  2. @Sofienne: Qui vous dit qu'il s'agit d'une affaire en cours? Qui vous dit qu'il s'agit du dernier week-end? Qui vous dit même que cette histoire n'est pas inventée de toute pièce? Qui vous dit d'ailleurs que je suis réellement un expert judiciaire?
    Allons, internet, c'est le diable. Il ne faut pas croire tout ce que vous y trouvez si cela n'a pas été validé par des personnes qualifiées et autorisées.

    Je fais toujours en sorte que mes dossiers restent strictement confidentiels car mon nom ne l'est pas.

  3. Bonjour Zythom, je partage entièrement votre avis par rapport aux propos de Sofienne.
    En tous cas, bon courage… Il est évident que ces expertises ne doivent pas être une partie de plaisir, à chaque fois.

  4. Je crois que je préfère m'en tenir aux audits intrusifs :/

    Pas obligé de tout regarder et c'est plus planant d'avoir comme objectif de trouver les salaires des employés ou des numéros de carte bleue non protégés.

    Heureusement qu'il y a des gens comme vous qui arrivent à faire ce travail.

    Je pense qu'il y a des métiers assez moches dans le monde :
    – thanatopracteur (qui s'occupe de rendre présentables les corps pour le deuil)
    – médecin légiste (et les autres aussi)
    – nettoyeur post-meutre (je ne connais pas le nom exact)
    – militaire ?
    – enquêteur
    – expert judiciaire
    – plein d'autres encore

    Il y a certains métiers qui ouvrent les yeux sur la cruauté dont sont capables les humains.

  5. Pour tous les massacres, filmés ou non, qui ont encore lieu, et ceux qui vont avoir lieu, il faudrait qu'on puisse faire quelque chose, …d'efficace.
    Il faudrait vraiment.
    Si vous pouviez fonder un collectif avec des juristes, vous ou quelqu'un d'autre, une sorte d'observatoire des comportements dangereux, individuellement ou surtout, collectivement, je n'ai pas les compétences pour ça, mais je vous suivrais de près…

  6. @Zythom

    Tant mieux.

    C'est qu'en lisant votre post, Zythom ,je me suis demandé sans en être certain si vous n'aviez pas écrit trop vite sous le coup de l'émotion. Qui, même aguerri, n'a jamais écrit trop vite sur le net ? Ca ne coûtait rien de poser la question, et si ça peut éviter une gaffe.

    Pour tout le reste, le "diable", les certitudes que vous évoquez… je suis bien au fait de tout cela mais vous ne pouviez pas le savoir. Je ne peux donc que vous remercier pour cette mise en garde.

    A vous lire

  7. Justement, si vous tombez sur des fichiers prohibés autres que ceux qui concernent l'expertise demandée, est ce que vous pouvez/devez les signaler ?

  8. Bonsoir Zythom, une astuce qui pourrait vous servir pour trouver des scènes insérées dans un film. Ouvrez ledit film avec Windows Movie Maker (ou un autre logiciel de retouche vidéo). Il présente le film séquence par séquences et il devient assez facile de vérifier quelle séquence contient quoi. Amicalement

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