En me promenant sur Internet, je suis tombé sur ce document[1] que j’ai trouvé très intéressant. Extraits:
Les compagnies d’experts n’ont pas de pouvoir décisionnel sur la nomination d’un expert mais elles peuvent donner leur avis. Il s’agit d’une procédure récente et qui tend à se systématiser. Elles mènent leur propre enquête sur un candidat à l’expertise, en utilisant les ressources de leurs membres :
« J’ai un collègue ici, comme il savait que j’étais expert, qu’il y en avait d’autres, il a voulu se présenter. Ce que vous écrivez en 15 lignes, il l’écrit en 2,5 lignes… Je ne devrais pas le dire mais j’ai quand même écrit à la Compagnie pour dire: attention, il se présente mais ça ne peut être qu’une catastrophe. Récemment un autre, pas d’ici, mais qui travaillait comme sous-traitant, s’est présenté, et c’est un autre expert qui a été contacté par la compagnie pour l’approcher, pour voir ce que le gars avait dans le ventre. On va au devant du postulant pour savoir ce qu’il a dans le ventre. Il a donné un certain nombre d’explications tellement intéressantes que mon confrère m’a appelé: « Tu connais Untel ? Parce qu’il travaille pour vous et il ne te connaît pas ». J’ai vérifié, il travaillait bien chez nous mais il n’était pas de la société, et il s’est présenté comme s’il était de la société. Et puis d’autres choses par derrière qui prouvaient… j’ai complété sa vision. » (un Ingénieur Expert Judiciaire interviewé)
Aujourd’hui, les compagnies souhaitent que les juges n’inscrivent pas sur les listes des experts qui n’auraient pas reçu un avis favorable de leur part (l’avis d’une compagnie n’est pas motivé car elle pourrait être attaquée pour diffamation) mais elles n’ont évidemment pas le pouvoir d’imposer une inscription, bien qu’il semble qu’il puisse exister des coteries. On a donc ici un élément, contrôle des impétrants et auto-contrôle du milieu par lui-même, qui va dans le sens de la professionnalisation du milieu.
Cette source d’information et de contrôle est essentielle car les juges n’ont guère, surtout à Paris, de contact direct avec les experts judiciaires et l’enquête de moralité, tout comme un extrait de casier judiciaire, ne disent rien sur une réputation, bonne ou mauvaise, qui est par contre connue des pairs.
« – De toutes façons, il y a une enquête de police ?
– Oui mais elle dit simplement que votre casier est vierge ou pas vierge. Elle ne dit pas, j’allais dire si vous êtes bien pensant ou mal pensant, ce sont des mots peut-être d’un autre temps mais enfin, il y a des gens qui peuvent poser problème et qui ne sont pas forcément des gens malhonnêtes vis-à-vis de la justice ou de la police. On peut avoir un casier impeccable et ne pas être fréquentable.
– On peut faire de la créativité comptable ou quelque chose comme ça ?
– Non, ou disons qu’ils peuvent avoir des pratiques affairistes qui sont pas forcément souhaitées dans le milieu, c’est une question d’éthique. C’est plutôt ça qu’on redoute, des pratiques affairistes, des relations dans certains réseaux qui peuvent nuire ou qu’on considère comme telles. » (un Ingénieur Expert Judiciaire interviewé)
Parlant de la sélection effectuée par sa compagnie, cet ingénieur dit encore:
« – Ce n’est pas une chambre d’enregistrement. On rejette des candidats au recrutement, on rejette des candidats en cours de route, voire en fin de stage. On est sévère. Oui, on en rejette pas mal. En cours de route, sur une dizaine de stagiaires, on en a 1 ou 2 qui tombent en fin de 1ère année, voire en 2ème année.
– Vous fixez un nombre par année ?
– On sait qu’on a une capacité à former qu’il ne faut pas dépasser. On sait qu’on peut former une dizaine de personnes par an. Notre structure n’est pas organisée pour plus. Mais les choses vont évoluer puisque se met en place un centre de formation en partenariat avec la cour d’appel et d’autres compagnies.»
Plus largement, les rapports entre les compagnies et les juges sont évalués positivement, d’un côté comme de l’autre. Les magistrats considèrent les compagnies comme des partenaires indispensables, pour servir de réseau d’information lorsqu’ils sont en recherche d’un expert très spécialisé, pour donner leurs appréciations sur les candidats lors du renouvellement des listes, pour aider à assurer la formation, et plus généralement pour participer à l’évolution de la pratique de l’expertise judiciaire. Mais les magistrats rappellent également leur position de domination par rapport aux compagnies qui n’ont qu’un rôle de consultation et de proposition :
«- On fonctionne sur un mode de compromis car les compagnies sont des associations de la loi 1901 et donc elles n’ont aucune reconnaissance dans les textes. Donc c’est uniquement à titre prétorien que nous avons décidé de faire appel à leur savoir, en considérant qu’elles sont bien placées pour nous dire si les candidats sont compétents ou pas. C’est vraiment un apport qualitatif important. Autrement, ils donnent leur sentiment. On fait appel de façon bénévole à leurs services et contrairement à ce que bien souvent on craint, il n’y a pas de politique de refus de nouvelles candidatures. Bizarrement, les compagnies d’experts, peut-être parce qu’on a une politique malthusienne, ne nous réclament plus de nouvelles inscriptions. Donc leur réponse n’est jamais pour se protéger.
– Quand vous leur demandez leur avis, d’une certaine façon, rien ne vous y oblige, c’est une coutume?
– On leur demande leur avis, rien ne nous y oblige, on ne tient pas toujours compte de leur avis. Puisque on a aussi notre grille de lecture qui nous permet de savoir que dans telle discipline, chez les médecins par exemple, ils apprécient beaucoup les titres universitaires, les fonctions universitaires. Nous, ce n’est pas forcément ce qu’on recherche. On a aussi cette lecture-là, mais ça ne fait rien, ils nous disent ce qu’ils estiment intéressant dans le dossier et ce qui met en valeur les capacités de l’intéressé.» (un Magistrat à la cour d’appel de Paris interviewé)
Je n’ai pas la chance de connaître de magistrat, ni d’être au cœur du fonctionnement des compagnies d’experts, mais j’ai trouvé très instructif la lecture de ce rapport. On y voit un peu les coulisses racontées par des magistrats et des experts judiciaires.
A lire.
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[1] Les ingénieurs experts judiciaires – Rapport final – Françoise Chamozzi, André Grelon, Lise Mounier – Laboratoire d’analyse secondaire et de méthodes appliquées à la sociologie (LASMAS)
CNRS – EHESS – Université de Caen (UMR8097) – Recherche réalisée avec le soutien du
GIP «Mission de Recherche Droit et Justice» Juillet 2003
“Encore un coup des forces de coalition Néo-Trotskyste-Judéo-Maçonnique !”
Interessant. =)