Dans le rapport intitulé Les ingénieurs experts judiciaires (de Françoise Chamozzi, André Grelon, Lise Mounier- Juillet 2003), parmi plusieurs éléments très intéressants (dont un déjà cité dans le billet précédent), se trouve le passage suivant (p43):
L’expertise judiciaire peut être considérée également comme une activité économique, liée à un marché, et comportant les aspects habituels à toute économie de marché, concurrence, incitations ou soutiens divers.
– Concurrence
La répartition des missions, c’est-à-dire de la masse globale du travail, reflète la concurrence existant dans ce segment très particulier du marché du travail. Sur ce marché limité, et toute proportion gardée, on retrouve l’opposition entre «petits» et «gros», les gros poussant les petits à la faillite, suivant la loi du capitalisme libéral. Pourquoi ? Comme le dit un «petit» expert:
«On commence l’année en versant 15000 € ou 20000 € à l’URSSAF, etc. Il y a un problème de fiscalité, car quand on a tout payé, il reste 10%. Si le chiffre d’affaire est faible ou nul, car un expert peut rester une année sans être missionné, on est en déficit. Alors que si un expert est en société et si sa société fait par ailleurs un gros chiffre d’affaires, il peut absorber un déficit. Donc, pour s’en sortir, il faut vraiment travailler beaucoup, sans pouvoir prendre de recul, et on fait de mauvais rapports. Or la Justice a besoin de prendre son temps.»
La position des experts occasionnels exprime ainsi une tension sur le marché du travail: les experts à temps plein ne sont-ils pas ceux qui leur «prennent» des affaires potentielles? Ils utilisent bien sûr l’argumentation légale pour dénoncer cette pratique mais la complètent par une argumentation professionnelle, celle du travail bien fait. On arrive alors au lien entre quantité et qualité. Une grosse quantité d’expertises est-elle synonyme de dégradation de la qualité du rapport et inversement? Si c’est ce que prétendent des «petits» experts, cette étude ne permet pas d’y répondre. Nous ne pouvons que poser la question. Il faudrait faire une étude sur des dossiers de missions, avec le concours de juges, pour avoir leur opinion, qui seule permettrait de répondre à cette question.[…]
C’est amusant de penser que l’intérêt financier des experts judiciaires est assez rarement évoqué, alors qu’il est parfois au centre de leurs préoccupations.
Pour ma part, j’ai l’impression d’être le gogo de service, lorsque je paye mes cotisations URSSAF (à des montants beaucoup beaucoup plus modestes) alors que je paye déjà des cotisations sociales en tant que salarié (je vous rassure, lorsque je suis malade, je ne suis remboursé qu’une seule fois…).
Et parfois, les années où je n’ai effectué qu’une ou deux petites expertises judiciaires, il arrive que les montants des différentes cotisations et le coût des formations obligatoires dépassent largement les montants que je perçois. Pourtant, ces années là, je ne regrette pas le temps passé (facturé ou pas) à travailler sur ces dossiers.
Je m’étonne même de ne pas avoir à payer pour, tellement le défit technique est intéressant.
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Photo source zoned.dk
J’espère que les juges avec qui vous travaillez n’ont pas été mis au courant de votre véritable identité, ou au moins ne suivent pas votre blog.
Vous pourriez regrettez ce que vous venez de dire.
Soit dit en passant, merci de signaler qu’il y a du boulot intéressant. Je lis trop the dailywtf.com en ce moment, et je commençais presque à me demander si je veux vraiment continuer en informatique.
Est ce qu’il ne faudrait pas choisir le régime autoentrepreneur?
https://www.auto-entrepreneur.fr/
Mais je crois me souvenir que le tribunal est censé payer les charges liées à l’expert, non? Je sais qu’il ne le fait. On doit même pouvoir retrouver des jugements qui ont donné tort à l’administration fiscale qui réclamé des cotisations à des experts…
Vous devez payer des cotisations à l’Ursaff mais à quel titre ? je croyais que les experts recevaient une indemnité (comme un élu par exemple) Mais à combien se monte votre cotisation en pourcentage d’une expertise par exemple ? Si vous en êtes au final de votre poche, je comprends pourquoi des experts finissent par arrêter au bout de 2 ans…
C’est sans aucun doute la raison pour laquelle je préfère les activités bénévoles… Je suis certain de ne pas gagner grand chose, mais au moins je n’ai pas à cotiser aux différentes caisses… Et puis les aspects techniques sont intéressants (quoi que la subtilité des dossiers d’expertise surpasse certainement ce que je fais).