Ce billet est le 4e d’une histoire qui commence avec ce billet.
Quatre mois s’écoulent.
Pendant ces quatre mois, j’ai ouvert avec fébrilité tous les courriers en provenance de la justice. A chaque fois, il s’agissait de désignations pour des missions d’expertise. A chaque fois j’ai eu à cœur de tenir le serment que j’ai prêté, et qui orne le fronton de ce blog: « Je jure, d’apporter mon concours à la Justice, d’accomplir ma mission, de faire mon rapport, et de donner mon avis en mon honneur et en ma conscience. »
Pendant ce temps, je continuais malgré tout de tenir ce blog, et de rédiger quelques billets plus ou moins en rapport avec ma probable « radiation pour cause de blog »:
– La tenue d’un blog nuit-elle à la santé?
En même temps se jouait un autre drame de ma vie, en trois temps: candidature, puis espoir et finalement la fin d’un rêve…
Puis les vacances sont enfin arrivées… Et avec la reprise du travail, cette lettre:
——————
Monsieur,
Vous avez été entendu par M. le Conseiller chargé des relations avec les experts judiciaires le [date] dernier.
Au terme de cette audience, et au regard des éléments portés à ma connaissance, je vous informe que je saisis ce jour la chambre de discipline de la compagnie des experts judiciaires du ressort de la Cour d’Appel de [Ville] car j’estime que la tenue de votre blog contrevient au respect des principes, notamment de moralité et de conscience professionnelle, définis par ladite compagnie.
Je souhaite vous rappeler que votre fonction d’expert judiciaire vous impose le strict respect d’une obligation de réserve que la tenue de votre blog ne permet pas.
Je vous prie de croire, Monsieur, de croire à l’assurance de mes salutations distinguées.
P. le procureur général, [nom et signature], Substitut Général.
——————
Bon, je m’y attendais un peu, mais j’espérais quand même le classement sans suite après l’audition.
Ma curiosité l’emporte sur la consternation. Je discute avec mon avocat qui me remonte le moral. Je suis pris entre de nombreux désirs contradictoires. Ma crainte la plus forte est d’être pré-jugé, de ne pas être réellement entendu, de ne pas être écouté par mes pairs. J’ai l’impression d’être coupable, par la tenu de ce blog, d’avoir utilisé une liberté de parole qui s’apparente à l’utilisation de poil à gratter.
Bref, d’être considéré comme un emmerdeur.
Quelques mois plus tard, je suis tombé sur ce billet de Maître Mô, (sur des dossiers bien plus graves que ma petite affaire) qui résume parfaitement mon état d’esprit.
Extrait:
———————————-
[…] un type arrive devant ses juges avec une histoire et une vie, qui obéissaient jusqu’à cet instant à des milliers de règles différentes, logiques et illogiques, sensées et moins sensées, cohérentes entre elles ou pas, construites de réflexions et de coups de folie, bref, ma vie, la vôtre, le destin, le chemin parcouru, vos excès, vos humeurs, vos ressentis, vos passions, vos logiques, vos raisonnements…
Strictement rien d’analysable, juste tout ce qui vous fabrique, bonnes ou mauvaises raisons.
Et tout à coup c’est fini : vous êtes soupçonné.
Et à compter de ce moment, ces milliers d’éclats et de rondeurs qui vous composent ne sont plus étiquetables, strictement, que de façon absolument, totalement, désespérément et connement binaire.
Que ce soit devant un policier, devant un procureur, devant un juge d’instruction, et a fortiori devant vos juges finaux, ceux qui vont dire si vous avez commis les faits et qui vont voter votre condamnation, vous n’avez soudainement plus droit qu’à avoir eu, toute votre vie, et particulièrement autour de la commission des faits concernés, que deux attitudes.
Deux.
Sans aucune autre alternative. La bonne ou la mauvaise.
Et toute votre vérité, toute la réalité de votre vie, toute celle du moment où le drame dont on vous reproche à présent d’avoir été l’acteur, tout ne s’explique soudain plus qu’à la seule lumière de la bonne attitude, ou à la noirceur de la mauvaise attitude.
La Justice, qui connaît si bien le noir et le blanc, ne connaît pas le gris.
[…]
———————————-
Billet suivant: Commission de discipline.
——————–
Crédit images darkroastedblend.com
« Je souhaite vous rappeler que votre fonction d’expert judiciaire vous impose le strict respect d’une obligation de réserve que la tenue de votre blog ne permet pas. »
C’est sans doute un détail sans réelle importance, mais autant jusque là le Procureur avait explicitement établi qu’il émettait une opinion, autant ici il donne l’impression d’énoncer un fait établi… Il aurait pu écrire « […] de réserve, et je considère que votre blog ne le permet pas », ça n’aurait pas dénaturé son propos, tout en étant plus fidèle à la réalité du moment.