Ce billet est le 6e d’une histoire qui commence avec ce billet.
Deux semaines après mon audition, je recevais le document suivant:
COMPAGNIE des EXPERTS de JUSTICE
près la Cour d’Appel de [Ville]
(association régie par la loi du 1er juillet 1901)
CHAMBRE DE DISCIPLINE
Session du 5 décembre 2008
FAITS ET PROCEDURE
– Par lettre du 5 septembre 2008, le Procureur Général de la Cour d’Appel de [Ville] a saisi la chambre de discipline de notre compagnie concernant un de nos membres Monsieur [Zythom].
Il est reproché à cet Expert informatique dans la tenue d’un blog de poser difficultés quant au respect, de la réserve, de l’impartialité et de la conscience professionnelle que sa fonction d’Expert Judiciaire lui impose.
En annexe de cet envoi figure des extraits du blog de Monsieur [Zythom].
– Le Conseil d’Administration de la Compagnie réunie le 19 septembre 2008 a pris connaissance de cette saisine.
Il a constaté que le grief était de nature générale, sur l’attitude et l’image que doit donner l’Expert Judiciaire de sa fonction.
– Dans cette séance, le Conseil d’Administration s’est étonné que le Président de la Compagnie des Experts de [Biiiiiip]1, lui-même Expert informaticien et à l’origine de la saisine, n’ait pas pris contact avec son homologue de [Ville] pour obtenir des renseignements sur le confrère en question, ou pour agir sur son comportement.
Le Conseil a souhaité être pleinement informé dans le cadre d’une procédure permettant à la personne mise en cause de s’exprimer.
Il a donc été décidé de convoquer Monsieur [Zythom] à une réunion de la Chambre de discipline le 5 décembre 2008 afin qu’il puisse être entendu.
– Le 9 octobre, Monsieur [Zythom] a été convoqué à cette réunion.
– Le 30 octobre, il interrogeait la Compagnie sur les griefs exacts qui lui sont faits.
– Par retour le Président de la Compagnie lui indiquait qu’il s’agissait de son obligation de réserve par rapport à la rédaction de son blog.
– Le 5 décembre 2008, le Conseil d’Administration transformé en Chambre de discipline à 14 heures a entendu Monsieur [Zythom], assisté de son Avocat, Maître [TheBest], Avocat au barreau de [ville].
A la demande du Président, Monsieur [Zythom] et son Avocat expliquent à la Chambre de discipline les motivations concernant la tenue du blog.
Ils demandent à la Chambre de discipline la teneur exacte de ce qui est reproché.
MOTIF DE LA DECISION
– Les membres de la Chambre de discipline ont tout d’abord constaté que le blog en question se présentait comme un roman et qu’à ce titre, il ne présentait pas de valeur technique. Il s’agit d’un divertissement littéraire.
– Dès avant l’audition, les membres de la Chambre de discipline, et notamment un expert informaticien, ont cheminé sur les différents blogs qui peuvent se rapprocher du monde de l’expertise judiciaire.
Ils ont constaté que le blog en question est accessible par un mot d’entrée générique tapé sur le clavier: «EXPERT JUDICIAIRE» et que pour obtenir cette accessibilité, il n’est pas anodin que ce blog comporte sur chaque page en haut «blog d’un expert judiciaire».
Au niveau du mode d’emploi du blog, la 1ère rubrique s’intitule «expertises judiciaires informatiques (Expert)», il n’y a aucune indication pour informer qu’il s’agit d’un roman. La personne qui recherche peut penser trouver des éléments purement techniques.
La Chambre de discipline en tire deux observations:
1) La majorité des personnes qui frappent sur leur clavier «Expert Judiciaire» n’ont pas pour objectif d’aboutir à un blog constituant un roman. Ils recherchent le plus souvent des éléments techniques attachés à l’exercice de l’expertise judiciaire.
2) La cadence de visite du blog est attachée, pour la plus grosse partie, à cette technique informatique qui fait que le moteur de recherche va faire ressortir le blog dans les premiers sites affichés à l’écran dans une recherche sur le générique «Expert Judiciaire».
– Les membres de la Chambre de discipline constatent qu’il existe de multiples blogs et sites qui constituent de véritables publicités non dissimulées pour leurs auteurs Experts judiciaires.
Il en existe notamment sur [Biiiiiip].
Il en existe notamment sur des spécialités informatiques.
– Les membres de la Chambre de discipline constatent:
- Que le blog est un moyen d’expression aujourd’hui très répandu et très libre au niveau de la rédaction.
- Que de nombreux professionnels en exercice, dont quelques Experts, Magistrats et Avocats en rédigent.
- Que dans la plupart des cas, les auteurs des blogs comme certains romanciers écrivent sous un nom d’emprunt, ce qui préserve, dans la majorité des cas et toujours dans un premier temps, l’anonymat.
- Que l’auteur du blog n’en tire pas avantage financier.
- Que les écrits consultés n’ont rien de différent de ce que l’on peut lire dans un roman.
- Que l’on ne peut pas rapprocher précisément des paragraphes du blog avec ce que serait la non observation de l’attitude de:
# Réserve,
# Impartialité,
# Conscience professionnelle.
DECISION DE LA COMMISSION DE DISCIPLINE
Après avoir délibéré, la Chambre de discipline décide d’émettre une RECOMMANDATION à Monsieur [Zythom].
Le caractère générique «Expert Judiciaire» donnant l’accessibilité à son blog, lui impose de donner une image de l’Expert conforme aux qualités premières qui doivent être celles des auxiliaires de Justice.
Cette image doit conduire au respect de la fonction et à la mise en valeur des qualités nécessaires à son exercice:
– conscience,
– compétence,
– impartialité,
– réserve,
– autorité.
Ces valeurs ne sont pas toujours celles que l’on développe dans l’écriture d’un roman qui recherche l’anecdote pour le divertissement.
La mention «roman» ou «anecdotes» pourrait utilement compléter le titre «expertises judiciaires informatiques (expert)» apparaissant au début du blog, afin d’éviter la confusion pour la personne qui effectue une recherche technique.
Le Président de la Chambre de discipline.
Le jour même de la réception de ce courrier, je me suis conformé à la décision du conseil d’administration de la compagnie des experts de justice réuni en chambre disciplinaire, en remplaçant dans le mode d’emploi situé en haut de ce blog la phrase:
– expertises judiciaires informatiques (Expert)
par la phrase:
– anecdotes d’expertises judiciaires informatiques (Expert)
Le premier qui dit « tout cela pour ça? »…
Billet suivant: Conclusions provisoires.
—————————
[1] Ce sera mon seul indice quant à l’origine de la plainte contre moi. Cet expert est également président d’une compagnie nationale d’experts que je tiens en très haute estime, à laquelle j’ai appartenu et pour laquelle je continue de faire de la publicité.
Je trouve le raisonnement discutable dans ses constatations, mais ne soyons pas mesquins. Je n’aurais que trois caractères à taper:
o/
On a un peu le sentiment que la commission de discipline, et en particulier son président, avaient une forte envie de prononcer la formule « non-lieu »… Il leur a fallu chercher (cette fois dans les détails) au moins une chose, non pas à imposer mais à recommander — c’est dire combien ils reconnaissent l’absence de caractère impératif à leur décision.
Je reste d’un avis contraire quant à la qualification de « roman ». Qu’ils considèrent que c’est une chronique littéraire s’ils le veulent, mais il manque à leur « roman » un caractère fictif. Ça existe, les experts judiciaires littéraires ? 🙂
Content que vous vous en soyez… pardon, qu’ils s’en soient sortis à si bon compte pour vous.
Bonjour,
Je suis content pour vous que cette histoire se termine de la sorte.
Concernant les recommandations de la commission de discipline, je ne suis pas d’accord avec eux que roman soit forcément décorrélé des qualités citées (conscience, compétence, impartialité, réserve, autorité). Je trouve même dans votre blog tout le contraire.
Merci à vous pour vos billets. Bonne et longue continuation
Bonjour Zythom, à la lecture de la décision rendue par la commission de discipline, je dirais que cette affaire a fait beaucoup de fumée pour aboutir à rien, en fait, un pétard mouillé, des rivalités exacerbées du Président de la Compagnie des Experts de [Biiiiiip], lui-même Expert informaticien, à l’origine de la saisine.
Pour ne pas perdre la façe, on vous oblige à changer quelques termes ! J’aime beaucoup le mot « Roman » utilisé plusieurs fois pour qualifier votre BLog! Nous dérivons et le bateau fait eau de toute part comme disait Audiard !
Bref ! encore une fois comme souvent en France, beaucoup d’énergie gaspillée pour rien. Si un jour, on pensait à essayer d’être efficace pour avancer globalement !
En tous les cas, continuez vos lecteurs apprécient.
Tout ca pour ca … D’ailleurs pourquoi n’ont ils pas fait un proces a Google car c’est lui qui donne le lien vers ce roman si on tappe « Expert Judiciare » 😉
En tout cas, je suis content que vos temoignages, oh pardon, que vos romans vont continuer 🙂
Bonjour a Sid au passage.
Bonjour,
En tant que lecteur régulier de votre blog depuis presque 2 ans et complètement étranger à l’univers judiciaire, je suis surpris de l’interprétation faite par ce conseil de discipline ! En effet, vos propos ont toujours été très clairs quant au contenu de vos propos et en particulier lorsque vous relatez des affaires, la raison de votre anonymat, etc.
C’est une des qualités qui font que vos écrits restent très intéressants : ce sont les leçons que l’on peut tirer de ces expériences que vous mettez en avant, et c’est passionnant !
Il me reste de la lecture de cette suite de billets un gout amer, comme si l’on avait mis en doute votre honnêteté, ce que je réprouve.
Excellente continuation en tous les cas !
Bien cordialement
Bonjour Zythom,
Ce récit est passionnant, à la hauteur de l’ensemble du blog, et je ne peux m’empêcher depuis le 1er billet de cette histoire de vous demander :
votre avocat [the best] est-il maître Eolas ??
Bon, il est sûr que vous n’y répondrez pas, mais qui cela peut-il être d’autre ?
Sérieusement, comme se sont des aspects qu’il aborde régulièrement…
Si je résume d’un point de vue technique, votre compagnie vous reproche… d’être bien référencé chez google?
Vite vite vite! Faites plein de fôtes de nortograf pour béC!
Ce ne serait pas aussi consternant si cette compagnie n’était pas une compagnie d’expert en informatique… -_-
@Tous: merci pour vos commentaires et d’avoir pris le temps de passer quelques minutes par ici.
@youp: Maître Eolas, qui me fait l’honneur de me lire, a déjà répondu à cette question ici…
Passé le commentaire à l’arrache du matin, je pense que la question qui motive cette affaire méritait d’être posée.
Par contre, en arriver à la commission de discipline est une perte de temps et d’énergie incommensurable au regard de la décision prise, sans parler de l’image que ça donne de la profession^H^H^Hactivité… Je trouve d’ailleurs le Conseil tout à fait conscient de cela quand il s’étonne que le « Président de la Compagnie des Experts […] n’ait pas pris contact avec son homologue de [Ville] pour obtenir des renseignements sur le confrère en question, ou pour agir sur son comportement ». Ne serait-ce pas une manière légèrement détournée de lui suggérer qu’il aurait été apprécié qu’il assume ses responsabilités de Président de la Compagnie au lieu de se défausser de la sorte ?
Comme les autres, je trouve que les histoire de roman et de motivation des requêtes Google de l’internaute lambda ne tiennent pas la route. Ce qui est dommage au demeurant, puisque comme je le disais, la question aurait pu susciter des arguments tellement plus intéressants et pertinents que ces derniers, ne serait-ce que pour profiter à d’autres qui se retrouveraient dans une situation similaire…
En tout cas, je suis content que ça se termine bien pour vous, c’est l’essentiel.
PS: Jan, coucou aussi 🙂
Mais qu’est-ce qu’ils ont à être obsédés par la référence au roman?
Bon, plus ça finit mieux, mieux c’est bien, mais quand même, toute cette absurdité opaque… Et effectivement, pour un tel résultat…
Désolé mais je me sens obliger de la faire … « tout cela pour ça ???!!! »
Mon dieu ! Il y a quand même une tonne de gens qui ne savent vraiment pas comment remplir leurs journées. Ce qui me choque le plus dans cette histoire, c’est l’impossibilité de savoir d’où vient la plainte, il n’y a rien de plus énervant ni de plus « lâche ». Cette obligation à prouver sa bonne foi sans savoir d’où part l’attaque est exaspérante. C’est malgré tout symptomatique de la façon dont la Justice française aime à se drapper, un relent d’histoire surement …
Content de continuer à vous lire dans la rubrique expert !
Maintenant attendez vous à ce que se soit la « Compagnie des Romanciers » qui vienne vous chercher des poux sur la tête sous le prétexte qu’un Romancier digne de ce nom ne peut se prévaloir d’afficher un autre titre honorifique tel que « Expert » !
Faudra trouver une autre expression comme « poésies judiciaires » ou « pensées profondes et expertises » ou quelque chose comme ça.
Ne vous inquiétez pas, nous restons à vos côtés pour vous soutenir et vous aider dans ce prochain combat !
Bonjour,
je viens de parcourir votre blog pour la première fois, et avec intérêt, et je suis tombé sur le document que vous reproduisez.
J'avoue mon ignorance des pratiques de votre corporation, mais la logique étant à priori la même pour tous, j'ai été plus qu'étonné par certains des propos.
Le premier est la reprise des griefs à votre encontre par le Procureur Général: "Il est reproché à cet Expert informatique dans la tenue d'un blog de poser difficultés quant au respect, de la réserve, de l'impartialité et de la conscience professionnelle que sa fonction d'Expert Judiciaire lui impose."
Or il m'avait semblé lire que vous n'aviez pas d'obligation de réserve, quant à l'impartialité et la conscience professionnelle, quelle est leur signification ici puisque vous ne rendez compte d'aucune affaire? Est-ce la reproduction factuelle d'une quelconque énonciation des qualités requises à votre exercice telle qu'elle apparait dans vos statuts? Est-ce votre témoignage concernant des propos rapportés quant aux conditions d'exercice optimal du point de vue de la technique pure?
J'ai trouvé cela étonnant comme formulation pour un Procureur Général.
Par curiosité encore, est-ce la procédure classique de saisine de la chambre de discipline? Le parquet doit-il impérativement être saisi?
Sur le fond de l'argumentation, j'avoue encore avoir été étonné, au sens le plus strict par l'interprétation qui est faite ou qui soutend l'analyse. Ainsi, votre blog est présenté comme un roman. Pourquoi ce choix particulièrement inadapté et réducteur? Est-ce la vision que la justice a des blogs, notamment au sens de la responsabilité de l'éditeur? Ou est-ce un moyen de circonvenir la difficulté de dire ce qui vous est effectivement autorisé ou non? Car enfin, toute cette argumentation ne tient pas, dans la mesure ou je pourrais fort bien éditer un blog en tout point similaire au vôtre (je ne parle pas de vos talent ou expérience bien sûr) sans pour autant être expert judiciaire ni encourir les foudres de la loi ou de la Compagnie pour autant, en particulier à partir du moment où un tel blog est un roman?
Je suis également interpellé par la remarque concernant votre éventuel profit. Il n'est point précisé qu'il serait à titre d'expert. Cela vous condamne-t-il à ne pas utiliser la publicité (c'est un exemple, un abonnement payant ferait aussi bien l'affaire) comme source de financement de votre écriture si vous le choisissiez?
Dernier point que j'aborderai, même si d'autres m'ont également dérangé: cette référence, ou plutôt cette inférence au classement dans un moteur de recherche. Je passe sur la nécessité de préciser qu'un de vos collègues expert judiciaire informatique a participé à la lecture des blogs, tant cette précision est dénuée d'intérêt en la circonstance, mais c'est également significatif de la corruption du sens qui préside par la suite. En effet, en quoi le fait de pouvoir accéder à un site par une expression particulière dans une recher revêt-il un intérêt particulier? C'est une erreur de logique pure. Quelle conclusion tirer du fait que l'on accède également à votre blog en première position d'une recherche google de l'expression "anodins, frivoles et vains" ? Vous reprocherait-on alors de donner une mauvaise image de votre Compagnie? On retrouve la même totale absence de logique dans les deux observations. La première serait succulente si elle n'émanait pas de personnages aussi éminents. Le plus grave est qu'elle témoigne d'une conception de la primauté totalement dépassée au sens de l'internet. Là encore se pose la question pour moi de savoir si c'est effectivement en ces termes que l'institution de l'expertise judiciaire conçoit internet?
Enfin, encore merci pour un bon moment en vous lisant, et comme l'ont unanimement écrit ceux qui m'ont précédé: tout est bien qui finit bien. A quand un roman, un vrai? Croyez moi, vos écrits valent largement ceux d'auteurs "réputés"…