Il n’est pas fréquent que les magistrats soient en colère.
Plusieurs d’entre eux ont publié des billets hébergés sur le blog de Maître Eolas.
Je souhaite ici apporter ma petite lumière d’expert judiciaire.
Etre expert judiciaire, ce n’est pas une profession. Je suis un citoyen comme les autres, salarié dans une entreprise, inscrit dans la Cour d’Appel dont je dépends géographiquement sur la liste des personnes habilitées à apporter aux magistrats un éclairage sur un point technique de leurs dossiers (liste des experts judiciaires).
De ce fait, il m’arrive de rencontrer des magistrats sur leur lieu de travail, pour être entendu en audition ou pour discuter (un peu) avec eux lors d’une remise de scellés.
Etant indépendant du monde judiciaire, je peux le regarder d’un oeil relativement objectif.
Les magistrats du siège, les juges d’instruction et les greffiers que j’ai rencontrés font un travail remarquable.
Peu de moyens, un dévouement exemplaire, des locaux vétustes, des piles de dossiers incroyables dans tous les coins possibles et imaginables…
Lors de ma première rencontre avec un magistrat, je venais juste de prêter serment et souhaitais me présenter par correction. Le magistrat qui m’a reçu a commencé l’entretien par les mots suivants: « Bonjour Monsieur l’Expert, j’ai 5mn à vous consacrer, quel est le problème? »
Moi qui était déjà très impressionné par cette première rencontre avec un magistrat, je suis resté un peu « bête »:
« heu, et bien, je venais me présenter par politesse puisque je viens juste de prêter serment ».
Lui: « Ah, bien. Connaissez-vous le monde judiciaire, avez-vous déjà ouvert un code de procédure, quelle est votre formation juridique? »
Moi: « Je ne connais pas le monde judiciaire, je n’ai jamais ouvert un code de procédure et ma formation juridique est nulle. Mais mon épouse est avocate et j’ai souhaité mettre mes connaissances techniques d’ingénieur en informatique au service de la justice, qui est son monde à elle. Un moyen de travailler ensemble en quelque sorte. »
Lui: « Bien, donc elle saura vous guider dans les procédures, notamment sur le respect du contradictoire. Soyez clair dans vos rapports, et respectez bien les délais impartis pour le dépôt de vos rapports. Maintenant, je dois vous laisser, car mon emploi du temps est très chargé. Merci et bon courage. »
Cela m’avait un peu refroidi, car j’avais imaginé un accueil plus enthousiaste, je pensais qu’il allait s’intéresser de près à mes compétences pour pouvoir les exploiter au mieux. Je pensais qu’on allait discuter une petite heure de ma petite personne. J’avais tort et j’ai compris pourquoi très vite.
Je rencontre très rarement les magistrats. Ce sont des personnes très occupées pour qui chaque minute compte. Lisez leurs histoires ICI et vous comprendrez. Idem pour les greffiers qui sont les garants du respect de la procédure et que j’ai longtemps pris pour des secrétaires. Ce sont surtout des femmes et des hommes à tout faire.
Je souhaite leur apporter ici tout le soutien dont je suis capable, même si ce n’est que le point de vue d’un petit expert judiciaire.
Bravo pour tout ce dévouement.
Mais je sens bien que la coupe est pleine.
Il me semble, mais je peux me tromper, que vos billets qui évoquent la justice ne suscitent pas beaucoup de commentaires ; c’est au moins le cas de celui-ci. (c’est vrai aussi que le blog d’Eolas concentre bcp les commentaires sur la justice en ce moment !)
Je crois aussi que le malaise de la justice dépasse un peu le justiciable de la rue ; c’est au moins mon cas.
Je connais un peu le monde judiciaire, quelques avocats dans la famille, un proche expert judiciaire comme vous et un juge.
Lors des repas de famille, quand la discussion en vient au monde judiciaire (c’est inévitable), seuls les initiés comprennent de quoi ils parlent.
Le Droit requiert une logique qui peut choquer le justiciable de base dans certains cas (ex. ce présumé innocent, ou présumé violeur, c’est selon, relaché sur une erreur de rédaction de décision judiciaire). Le débat qui s’ensuit parait être d’un ridicule… Ceci-dit il traduit au moins un vrai malaise.
Pour avoir fait la pénible expérience de croiser le fer judiciaire, je confirme qu’ « un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès », ou pire je pense maintenant « qu’il vaut mieux accepter de perdre quelques finances que de vouloir faire valoir ses droits en justice ».
Pour le justiciable de la rue, une victoire judiciaire est bien souvent une victoire à la Pyrrhus.