Sonnette d’alarme

Cette anecdote est 100% véridique et est publiée avec l’accord du responsable informatique concerné.

PREAMBULE

Je suis parfois appelé dans le cadre d’expertise privée. Je n’aime pas particulièrement cela, dans la mesure où j’ai fait le choix de servir la justice (relire le serment de l’expert judiciaire en tête de ce blog) plutôt que de mettre en place une activité d’indépendant pourtant beaucoup plus lucrative. Etre inscrit sur la liste des experts judiciaires, cela donne beaucoup de responsabilités (et de soucis), des honoraires payés parfois à 400 jours et des soirées à trier de tristes images.

Mais c’est aussi une certaine visibilité pour les personnes souhaitant faire appel aux services d’un informaticien compétant à l’esprit indépendant (au sens « donnant son avis en son honneur et en sa conscience »). C’est pourquoi quelques personnes choisissent de faire appel à mes services parce qu’ils ont vu mon nom sur la liste des experts judiciaires. En général, je refuse poliment, en expliquant que je travaille exclusivement avec les magistrats ou les OPJ.

Dans le cas présent, mon interlocuteur m’a expliqué qu’il était face à un problème incroyable sur lequel tout le monde séchait. C’était donc « mission impossible » et cela m’a intrigué.

FIN DE PREAMBULE

Le système informatique de l’entreprise Diaspar[1] présente un dysfonctionnement dont personne n’a pour l’instant trouvé la cause. La panne appartient à la plus terrible des catégories: panne aléatoire non reproductible.

A mon arrivée sur les lieux, mandé par le Directeur de Diaspar, je rencontre le responsable informatique, Mr Alvin, qui me décrit le tableau suivant:

« Nous avons tout vérifié: le câblage, les actifs, les branchements. Nos différents fournisseurs sont intervenus à tous les niveaux. Le réseau a été audité, ausculté, monitoré. Nous avons dessiné le diagramme d’Ishikawa. Nous avons utilisé les cinq pourquoi. Rien n’y fait, le problème est toujours là. Le système fonctionne normalement et paf, les serveurs sont injoignables. Notre seule solution est de rebooter les hubs… »

A la mention de « hub », je dresse l’oreille. Après vérification, le cœur de réseau de l’entreprise est assez ancien: ethernet 10 Mb/s non commuté. Bienvenu dans le monde réel.

Je passe la matinée à étudier les vérifications effectuées par les différentes personnes intervenues avant moi.

Mr Alvin m’invite à déjeuner (c’est l’avantage des expertises privées[2]). Pendant le déjeuner, je pose quelques questions sur le réseau et son historique. Mr Alvin m’apprend alors quelque chose d’intéressant. Le câblage est utilisé par trois systèmes distincts: informatique, téléphonie et vidéosurveillance. Chaque système est indépendant avec ses propres serveurs: serveur informatique pour l’un, PABX pour l’autre et régie vidéo pour le dernier. Un câble réseau dans l’entreprise est donc affecté (exclusivement) à l’un de ces trois réseaux. Cette affectation est décidée à l’aide d’une « rallonge » dans une armoire de câblage (on parle alors de jarretière de brassage, qui a dit que les techniciens n’étaient pas poètes[3])…).

Je me dis que je tiens quelque chose: n’y aurait-il pas eu confusion dans une armoire de brassage? Une caméra ne serait-elle pas branchée sur le réseau informatique? Hélas, Mr Alvin n’étant pas né de la dernière pluie, il avait déjà pensé à ce cas de figure et fait vérifier l’intégralité des armoires de brassage.

Je m’accroche néanmoins à cette idée et par la force de l’expérience, pose la question suivante: n’y aurait-il pas eu des modifications d’affectation de pièces, un bureau transformé en atelier par exemple?

Mr Alvin réfléchit et m’indique que l’ancien bureau du contremaitre a effectivement été transformé en atelier lors de l’agrandissement de la zone de production. Mais à quoi bon, toutes les prises ont été débrassées, testées et réaffectées, puis vérifiées…

Le subconscient (de Murphy) faisant son travail, je réattaque sur le sujet lors de la visite de l’entreprise, l’après-midi. Face à l’ancien bureau transformé en atelier, je pose quelques questions au contremaitre.

Zythom: « Y a-t-il eu des modifications apportées sur le câblage dans votre bureau? »

Le contremaitre: « Ben, ya bien la sonnette du téléphone. »

Zythom: « La sonnette? »

Le contremaitre: « Oui. Comme j’entendais pas le téléphone sonner quand je travaillais dans l’atelier adjacent, j’ai fait ajouter une sonnette dans l’atelier reliée à mon téléphone. La preuve, regardez, elle est toujours là. Mais elle sert plus parce que j’ai changé de bureau et que j’ai un téléphone portable. »

Sur le mur de l’atelier trônait toujours une grosse sonnette en forme de cloche.

En suivant les fils de la sonnette j’aboutis à l’ancienne prise de téléphone. Et sur cette prise se trouve maintenant branché un ordinateur de contrôle d’une machine outils.

Avec l’accord de Mr Alvin, je démonte la prise et nous découvrons un superbe branchement (avec dominos) de la sonnette sur le réseau informatique…

Dès que les échanges informatiques du réseau atteignaient une valeur critique, la self de la sonnette interagissait avec le système et flanquait la pagaille.

J’ai toujours regretté de ne pas avoir demandé au contremaitre si la sonnette sonnait de temps en temps.

Mais je suppose que non…

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[1] Diaspar est le nom de la Cité éternelle du roman « La Cité et les Astres » de Sir Arthur Charles Clarke. Le héros s’appelle Alvin.

[2] Dans le cadre des expertises judiciaires contradictoires, il est interdit de manger avec l’une des parties. Vous pouvez manger avec toutes les parties, mais en général, elles ne souhaitent pas se trouver autour d’une table de restaurant et partager un moment de convivialité… Avec les avocats, ce serait parfaitement possible, mais en général leurs clients ne comprennent pas qu’ils puissent se parler IRL. Donc, c’est sandwich en solitaire.

[3] Et bien sur, honi soit qui mal y pense.

3 réflexions sur « Sonnette d’alarme »

  1. En général, plus le bug résiste, et plus son origine est trivial et énorme. Tellement énorme que l’on ne le voit pas.

  2. Un réseau informatique qui plante à cause d’une sonnette ? c’est cloche !

    Sinon, bravo pour votre perspicacité et votre polyvalence. Cet été vous aviez déjà endossé fièrement le costume d’Indiana Jones et vous enfilez maintenant celui de Sherlock Holmes avec un incontestable succès !

    Quel rôle n’avez-vous donc encore pas joué ?… Celui de cosmonaute peut-être ?
    Ho pardon, je ne voulais pas vous faire de peine en vous rappelant ce regrettable souvenir !

    Ps : c’est vrai que c’est poétique « une jarretière de brassage ». C’est un peu comme une jarretelle mais en plus discret… c’est ça ?

  3. Très belle histoire, preuve que l’homme est le coeur des soucis informatiques ! Ca me rappelle une autre histoire assez similaire, où des dysfonctionnements aléatoires du serveur informatique de l’entreprise avaient fait passer des journées entières d’angoisse aux techniciens de la société en charge de la maintenance, qui ne parvenaient pas à comprendre pourquoi l’ordinateur s’arrêtait brusquement à certaines heures, puis redémarrait à d’autres.

    Puis vint un jour où ils eurent la vision qui les sauva de leurs angoisses… Les reboots intempestifs semblaient liés aux phases de la lune. Véridique ! Pris d’une soudaine frénésie d’en savoir plus, ils investiguèrent dans cette direction (la lune!) et eurent tôt fait de constater que la lune était bel et bien la cause de ces reboots :
    l’entreprise en question était située en bord de mer, et l’artisan électricien avait, lorsque le serveur informatique était arrivé là, procédé au câblage électrique en tirant un nouveau câble relié à la terre… mais pas n’importe laquelle ! Sans le savoir, il s’était raccordé à un ancienne connexion sortant du bâtiment, puis plongeant dans le puits voisin. Malheureusement, la nappe phréatique alimentant le puits s’était plus ou moins épuisée et avait été remplaçée par l’eau salée de la mer, qui, suivant le flux et reflux des marées, montait et descendait dans le puits. Comme il y avait bel et bien un court-circuit dans l’installation informatique, lors de la marée montante, la tige de la prise de terre entrait alors en contact avec l’eau salée et faisait disjoncter le circuit…

    Comme quoi il ne faut pas toujours être bon en informatique pour dépanner des ordinateurs. J’ai également connu un technicien expérimenté chez IBM qui « réparait » certains serveurs en déposant une feuille d’aluminium entre le chassis et l’alimentation… moyen de combattre un petit souci d’électricité statique !

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