Quand les juges n’ont point vu le crime, quand l’accusé n’a point été saisi en flagrant délit, qu’il n’y a point de témoins oculaires, que les déposants peuvent être ennemis de l’accusé, il est démontré qu’alors le prévenu ne peut être jugé que sur des probabilités. S’il y a vingt probabilités contre lui, ce qui est excessivement rare, et une seule en sa faveur de même force que chacune des vingt, il y a du moins un contre vingt qu’il n’est pas coupable. Dans ce cas il est évident que des juges ne doivent pas jouer à vingt contre un le sang innocent. Mais si avec une seule probabilité favorable l’accusé nie jusqu’au dernier moment, ces deux probabilités, fortifiées l’une par l’autre, équivalent aux vingt qui le chargent. En ce dernier cas, condamner un homme, ce n’est pas le juger, c’est l’assassiner au hasard.
Voltaire – La méprise d’Arras.