Obligation de réserve

Je ne résiste pas au détournement d’un billet de Philippe Bilger sur son blog « Justice au singulier« . Il faut lire le billet d’origine qui s’applique bien évidemment aux magistrats, et excuser le pillage que j’en ai fait. S’il apprend un jour mon existence, j’espère qu’il me pardonnera. Surtout que lui agit à visage découvert, et moi pas.

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Depuis plusieurs mois, sur un mode qui me critique ou m’approuve, des sollicitations me sont faites pour que je tente de définir ce que représente selon moi l’obligation de réserve de l’expert.

D’abord, je dois admettre qu’entendre parler d’obligation de réserve crée chez moi dans l’instant, une sorte de méfiance instinctive, un refus irraisonné, comme si naturellement, derrière la volonté peut-être légitime de limiter l’expansion intime et intellectuelle de l’expert, se dissimulait le désir de brimer l’imprévisibilité et la liberté possibles de la personne, comme si l’être humain faisait peur et qu’il convenait de s’assurer de lui. Sans doute cela vient-il du fait que je n’ai jamais éprouvé de dilection particulière pour les vertus négatives de l’abstention et de l’effacement, préférant, quoi qu’il en coûte, les qualités positives de l’affirmation. Pour résumer, affronter les risques de l’intelligence me semble plus gratifiant que de bénéficier des faiblesses de la complaisance. Mais, tout de même, puisque l’obligation de réserve existe et qu’elle est si bien admise qu’elle paraît consubstantielle à l’expertise, il n’est pas inutile de voir à quoi elle peut correspondre aujourd’hui.

Sa définition nous interdit tout manquement aux devoirs de notre état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité. C’est à la fois noble et vague, flou et plein d’une rectitude idéale. On ne peut pas soutenir que ces généralités offrent une lumière claire et décisive aux experts qui voudraient lucidement s’aventurer hors du champ de la technique pure. Qui voudraient formuler ce qu’ils pensent de leur pratique, dénoncer les dysfonctionnements de l’institution ou favoriser ses impulsions bienfaisantes, donner leur avis sur les projets ou propositions de lois. Bref, se comporter en citoyens non partisans en demeurant dans le cadre, même élargi, de leur sphère d’activité.
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Jamais je n’aurais su exprimer cela en ces termes. Mais ce texte détourné (où j’ai simplement remplacé le mot « magistrat » par « expert ») rend bien compte de l’état d’esprit du présent blog. Je demande à mes lecteurs de m’excuser de ne pas avoir ce talent d’écriture.

Edit: Je précise aux ronchons de service que Monsieur Bilger m’a gentillement donné l’autorisation d’exploitation de son billet.